Mercredi 26 avril, le Premier ministre hongrois Viktor Orban était invité au Parlement européen pour y défendre sa politique menée depuis sept ans. Au cœur du débat : l’une de ses dernières mesures, la loi sur les universités, qui vise directement l’université américaine de Budapest (la Central european university), fondée en 1991 par le milliardaire et philanthrope états-unien George Soros. L’établissement accueille plusieurs milliers d’étudiants, venus de Hongrie et du monde entier. Avec la nouvelle loi, l’université devra fermer. C’est un nouvel épisode dans une longue série de mesures décidées par le gouvernement et le Parlement hongrois depuis 2010, resserrant un peu plus l’étau autoritaire du régime Orban sur la société et l’Etat.
« Qui a applaudi les propos d’Orban le 26 avril ? Les rangs de l’extrême droite, du groupe "Europe des nations", c’est tout », témoigne la députée française au Parlement européen Marie-Christine Vergiat – qui fait partie du groupe Gauches unies européennes. Parmi les députés issus de l’extrême droite qui siègent à Strasbourg, il y a vingt élus du Front national, dont Marine Le Pen, Florian Philippot, le maire d’Hénin-Beaumont Steeve Briois, ou encore Louis Aliot.
Retraite forcée pour 10% des juges hongrois
Viktor Orban et son parti, le Fidesz, sont arrivés au pouvoir en 2010, en gagnant une majorité des deux-tiers au parlement hongrois. Dès l’année suivante, son gouvernement lance des réformes affaiblissant la Cour constitutionnelle, contre-pouvoir chargé de contrôler la conformité des lois avec les règles de l’État de droit. Une réforme à laquelle Marine Le Pen a apporté son soutien. La même année, une loi envoie en retraite anticipée 10% des juges du pays, en l’occurrence les plus expérimentés. « Toute une génération de juges a été forcée de démissionner sans justification. Ils ont été remplacés par de nouveaux magistrats élus selon des règles établies par la même loi, souligne Elena Crespi, de la Fondation internationale des droits de l’homme (FIDH). L’impact sur la magistrature a été énorme. »
En parallèle, le gouvernement hongrois a légiféré pour mettre au pas les médias, et placé des proches du pouvoir à leur tête. En octobre 2016, un journal critique à l’égard du gouvernement, Népszabadság, a ainsi brutalement suspendu sa parution. Tous ses journalistes ont été licenciés. « Cette fermeture est intervenue quelques jours avant la vente de l’organe de presse à un entrepreneur proche du gouvernement », note Amnesty international dans son rapport annuel 2016.
« Une loi taillée pour tuer les ONG »
Autres ennemies du Premier ministre hongrois, les associations et ONG ont fait face à des attaques à répétition depuis plusieurs années. « Cela a commencé en août 2013, avec une campagne de calomnie initiée par des médias proches du gouvernement », retrace la FIDH dans un rapport sur la Hongrie. Les ONG, en particulier celles travaillant pour la démocratie et contre les discriminations, sont accusées d’œuvrer pour les partis politiques d’opposition. L’année suivante, un organisme gouvernemental lance une série d’audits sur les comptes des ONG hongroises ayant critiqué la politique d’Orban. La procédure a donné lieu à « des opérations de police, à la confiscation d’ordinateurs et de serveurs et à de longues enquêtes, mais rien de pénalement répréhensible n’avait été trouvé, relève Amnesty. En octobre, une décision de justice a enjoint à l’Office gouvernemental de contrôle (KEHI), censé être indépendant, de dévoiler les arcanes de l’audit. Il a ainsi été révélé que cet audit avait été ordonné personnellement par le Premier ministre. »
La pression sur les ONG ne s’est pas relâchée depuis. Bien au contraire. Début avril, le gouvernement a déposé un projet de loi visant à les obliger à rendre publiques toutes leurs sources de financement provenant de l’étranger, ainsi que le nom de tous leurs donateurs. Le texte est proche de celui adopté en 2012 en Russie, classant les ONG recevant de l’argent de structures non-russes comme des « agents de l’étranger »... En Hongrie, les organisations recevant des financements extérieurs, y compris en provenance de l’Union européenne, devront inscrire sur leurs travaux la mention « organisation civique financée par l’étranger ». « C’est une loi taillée pour tuer les ONG d’un point de vue financier », analyse la députée Marie-Christine Vergiat.
Les migrants systématiquement enfermés
Les organisations qui tentent d’aider les migrants sont parmi les premières visées. « Ce qui se passe en matière de migration en Hongrie, c’est une honte pour l’Union européenne, poursuit l’élue au Parlement européen. Le pays place, systématiquement, tous les migrants en détention, y compris les demandeurs d’asile. » Face à la vague de réfugiés de 2015, la Hongrie d’Orban a réagi par l’installation d’une clôture à ses frontières. Et par une violente répression. En plus de la rhétorique raciste qu’il cultive depuis des années, prônant notamment l’idée d’une supposée « homogénéité ethnique » hongroise, le Premier ministre a légiféré pour criminaliser les réfugiés.
Aujourd’hui en Hongrie, le simple passage de la frontière par des demandeurs d’asile est devenu un crime passible de trois années de prison. « Une telle criminalisation viole l’article 31 de la Convention de 1951 (convention internationale sur les droits des réfugiés) », souligne la FIDH. Fin novembre, un ressortissant syrien a été condamné à dix ans de prison pour des présumés « actes de terrorisme ». Il avait en fait forcé une clôture avec un groupe de migrants, un an plus tôt à la frontière serbo-hongroise. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des associations actives localement font par ailleurs état de mauvais traitements et de violences récurrentes perpétrées par les forces de l’ordre hongroises contre les réfugiés.
« Le gouvernement a dépensé plus de 20 millions d’euros en campagnes de communication pour dépeindre les réfugiés et les migrants comme des criminels et des menaces pour la sécurité nationale », ajoute Amnesty international. Dernier exemple : le référendum anti-immigration organisé par Orban en octobre 2016, qui a finalement été invalidé faute de participation. Ce référendum voulait s’opposer au processus de relocalisation des réfugiés mis en place par la Commission européenne, qui devait pourtant à l’origine permettre de relocaliser ailleurs en Europe une partie des nombreux réfugiés alors présents en Hongrie. Le député européen FN Nicolas Bay, secrétaire général du parti, avait alors qualifié ce référendum de « leçon de démocratie »...
Libéralisme économique et autoritarisme politique
En parallèle de cette politique xénophobe et autoritaire, le gouvernement d’Orban lutte-t-il contre le pouvoir des banques et de la finance ? Prend-il des mesures de redistribution des richesses vers les travailleurs et les plus pauvres ? Pas du tout. La dérive d’Orban s’accompagne au contraire de généreuses baisses d’impôt pour les entreprises. Fin 2016, le gouvernement hongrois a décidé d’abaisser l’imposition sur les sociétés de 19% à 9%, ce qui en fait le plus bas d’Europe ! Une aubaine pour les multinationales.
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« L’illibéralisme d’Orban, qui gagne du terrain en Europe, c’est le libéralisme sur le plan économique, et l’autoritarisme sur le plan de l’État de droit. C’est ce que l’on peut imaginer de pire. Et c’est proche du programme du FN », souligne Marie-Christine Vergiat.
En Pologne, main basse sur les médias, attaque contre les droits des femmes et la justice
En Pologne, la situation est toute aussi préoccupante. « Le pays a suivi le modèle hongrois. Mais ils ont été encore plus vite », constate Marie-Christine Vergiat. Le parti Droit et Justice (PiS), fondé par les frères Kaczynski, y règne en maître depuis qu’il a obtenu la majorité absolue aux élections législatives de 2015. Là encore, il s’est d’abord attaqué aux pouvoirs du tribunal constitutionnel, qui peut en principe bloquer les lois. Il a placé des fidèles dans les médias de l’audiovisuel public, il a tenté de restreindre l’accès du Parlement aux journalistes, et fondu la fonction de procureur général dans le ministère de la Justice, remettant en cause l’indépendance de la justice. Une mise au pas bien ordonnée des contre-pouvoirs.
Dans le domaine de la culture, le gouvernent du PiS fait également le ménage : en écartant les directeurs des institutions culturelles, des théâtres, des centres culturels polonais à l’étranger, pour y placer des proches, et promouvoir une vision nationaliste et conservatrice de l’art [1]. C’est encore une fois le modèle hongrois qui est suivi : à peine arrivé au pouvoir, Orban s’était empressé de placer deux figures de l’extrême droite néofasciste et antisémite à la tête du Nouveau théâtre de Budapest.
Une loi adoptée en 2016 en Pologne, dite « de lutte contre le terrorisme », a attribué de vastes pouvoirs à l’Agence de sécurité intérieure et donné une définition très large des infractions liées au terrorisme. « Les étrangers étaient particulièrement visés dans cette loi, qui autorise leur surveillance secrète, y compris par des écoutes et un contrôle des communications électroniques et des réseaux ou dispositifs de télécommunications, en dehors de tout cadre judiciaire, et ce pendant trois mois », explique Amnesty. Là aussi, le gouvernement surfe sur une rhétorique ultra-xénophobe, et refuse d’accueillir ne serait que quelques milliers de demandeurs d’asile dans le pays.
Un FN qui fait peu de cas de l’État de droit
Les droits des femmes sont également menacés. Ce n’est qu’après des mois de protestation que les Polonaises ont poussé le Parlement à rejeter un projet de loi visant à supprimer complètement le droit à l’avortement – qui est déjà particulièrement restreint en Pologne – et criminalisant les femmes et médecins qui y auraient recours [2]. Les atteintes aux droits et libertés sont telles que la Commission européenne a enclenché en janvier 2016 une « procédure de sauvegarde de l’État de droit » à l’encontre de Varsovie, un mécanisme censé œuvrer contre les dérives autoritaires.
Qu’en disent les députés FN au Parlement européen ? L’élu Édouard Ferrand, chef de la délégation française du groupe d’extrême droite « Europe des nations », a présenté en réaction une résolution pour « soutenir la Pologne attaquée dans sa souveraineté ». Sans un mot, évidement, pour soutenir les femmes polonaises attaquées dans leurs droits, la justice polonaise tenue en laisse, ni les réfugiés systématiquement mis à l’index.
Rachel Knaebel
Photo : © Serge D’Ignazio. Défilé du 1er mai 2017, Paris.
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