Avec sa décision d’une sortie du nucléaire en 2022, la chancelière allemande revient au calendrier adopté il y a dix ans par le gouvernement SPD-Verts de Gerhard Schröder. Angela Merkel avait fait machine arrière à l’automne 2010 et choisi de prolonger la durée d’exploitation des centrales du pays de 12 ans en moyenne (8 ans pour les plus anciennes, 14 pour les plus récentes), ce qui repoussait la fin de l’énergie atomique en Allemagne à 2036. Mais Fukushima a radicalement changé la donne.
De graves défauts de sécurité
Le nouveau projet de loi, présenté le 6 juin, passera devant le Bundestag le 8 juillet. Le texte s’appuie sur le rapport de la commission éthique installée en mars [1]. La première étape du plan est immédiate : le pays ne va pas relancer les 8 réacteurs mis à l’arrêt en mars suite à la catastrophe japonaise. L’un d’entre eux pourrait toutefois être maintenu en veille jusqu’en 2013, pour faire face à de possibles pics de consommation, particulièrement dans le sud du pays.
L’Allemagne possède aujourd’hui 17 réacteurs nucléaires, dont 11 à eau pressurisée, 6 à eau bouillante. Le plus ancien, Biblis A, en Hesse, est entré en fonction en 1975. Le plus récent en 1989, en Bade. Tous se trouvent dans l’Ouest du pays. Les quelques réacteurs est-allemands ont fermé juste après la Réunification, dans l’effroi de Tchernobyl. Mais l’état des centrales ouest-allemandes laisse aussi à désirer. Certaines sont d’ailleurs au repos forcé depuis plusieurs années déjà, comme les deux réacteurs de Biblis. L’ONG environnementale BUND a encore pointé dans une étude publié en mars les failles de deux réacteurs anciens de Bade-Wurtemberg, Neckarwestheim 1 et Philippsburg 1
Les énergies renouvelables déjà au-delà du nucléaire
La filière nucléaire allemande a produit un peu plus de 22 % de l’électricité du pays en 2010. Loin, très loin, des plus de 80 % de l’électricité française. 43 % de l’électricité allemande provient encore du charbon (de la lignite, énergie locale, et de la houille, importée aux trois quarts). Et 13 % vient du gaz naturel. Une fois retirée la contribution des huit réacteurs arrêtés depuis mars, soit 8,5 gigawatts (GW), sur les 20 GW fournis par l’atome, la part de l’électricité nucléaire tombe déjà sous celle des énergies renouvelables. 17 % de l’électricité allemande provient aujourd’hui des énergies vertes (environ 6 % de l’éolien, 3 % de l’hydraulique, 5,5 % de la biomasse, 2 % du photovoltaïque [2].
La filière renouvelable, qui représentait seulement 6 % en 2000, est en pleine croissance. Elle emploie plus de 300.000 personnes, quatre fois plus qu’en 1998. Angela Merkel prévoit d’augmenter la part des renouvelables à 35 % en 2020, 80 % en 2050. Et sans importations d’énergie française. A l’heure actuelle, l’Allemagne exporte plus vers la France que le contraire [3].
Outre le développement des énergies renouvelables, le plan allemand s’appuie sur la maîtrise de la consommation d’électricité. La chancelière prévoit une baisse de 10 % d’ici 2020. Autre pilier de la transition énergétique : des réseaux électriques plus performants et de meilleures capacités de stockage de l’énergie.
La fin du charbon d’ici 2040
Pour de nombreux experts, le gaz naturel doit également jouer un rôle clé. « Le gaz se combine facilement avec les énergies renouvelables, explique Claudia Kemfert, directrice du département énergie et environnement à l’Institut d’étude économique DIW. Les centrales à gaz sont beaucoup plus flexibles que les nucléaires. On peut les mettre en marche ou à l’arrêt rapidement selon les besoins. » « Et elles peuvent se construire en seulement deux ans », souligne Lutz Mez, du centre de recherche sur l’environnement de l’Université libre de Berlin.
Tous ces éléments pourraient même permettre à l’Allemagne de sortir du nucléaire bien avant 2022. En 2017, affirment les Verts. Ou 2014 selon le parti de gauche Die Linke, et 2015 d’après un plan de Greenpeace. L’ONG préconise de construire 16 centrales à gaz, d’ajouter 5.000 éoliennes aux 21.000 existantes, dont 1.200 offshore, et d’installer 600.000 nouveaux panneaux solaires. Pour Greenpeace, il est possible d’aller encore plus loin : sortir du charbon en Allemagne dès 2040. Pour cela, plus de 4.000 nouvelles éoliennes, un demi-million de panneaux solaires et plusieurs centaines d’installations géothermiques seront nécessaires. Et le pays pourrait même, une fois la transition vers les renouvelables effectuée, se passer du gaz naturel à l’horizon 2050. A cette date, la filière des énergies renouvelables emploierait un million de personnes.
Coût de la sortie du nucléaire : 25 euros par an par foyer
La transition représente une véritable chance économique. « Une sortie avancée du nucléaire pousserait les groupes énergétiques à construire plus vite des centrales plus performantes, notamment pour le gaz, explique Sascha Samadi, co-auteur d’une étude sur le prix de la transition énergétique réalisée en mai par l’institut Wuppertal [4]. La transition favoriserait aussi la concurrence sur le marché de l’énergie, alors qu’aujourd’hui quatre grands groupes [E.on, RWE, Vattenfall et EnBW] concentrent 80 % de la production d’électricité. Compte tenu de ces facteurs, on peut penser qu’une sortie rapide du nucléaire facilitera la stabilisation, voire, sur le long terme, la baisse des prix de l’électricité. »
Selon les chercheurs de l’Institut Wuppertal, une sortie rapide du nucléaire aura un effet limité sur l’augmentation des prix de l’électricité. Elle entraînerait une hausse maximum de 25 euros par foyer, sur la facture annuelle. « Les prix devraient de toute façon augmenter, sous l’effet, par exemple, de l’amélioration des réseaux électriques, indispensable, et de la hausse attendue des prix du charbon, du gaz et des certificats d’émission de CO2, poursuit Sascha Samadi. Mais l’effet de la seule sortie du nucléaire pourrait être déjà amorti quelques années seulement après l’arrêt de la dernière centrale. »
Car l’énergie atomique coûte plus cher qu’il n’y paraît. Selon une étude du Fös (Forum pour une économie de marché écologique et sociale) publiée en avril, la filière nucléaire allemande a reçu 186 milliards d’euros de subvention depuis 1970, contre seulement 28 milliards pour les énergies renouvelables. Ce qui équivaut à plus de 4 centimes par KWh pour le nucléaire, contre 2,2 centimes aux énergies vertes. Et ce calcul ne prend pas en compte les frais de stockage des déchets radioactifs. L’Allemagne est d’ailleurs encore à la recherche d’un site approprié. Celui de Gorleben, en Basse-Saxe, est toujours provisoire. Le gouvernement envisage aujourd’hui d’autres lieux d’enfouissement. En première ligne : la jolie Bavière.
Rachel Knaebel