Ils se sont enchaînés aux grilles d’une fenêtre de Matignon le 24 janvier aux aurores. Avant d’être délogés manu militari. Les salariés d’Arcelor Mittal du site de Florange en Lorraine refusent de tirer leur révérence. Ils ont remis aux conseillers de François Hollande une pétition de 31 000 signatures pour la nationalisation du site industriel mosellan. Ils ne croient pas au projet d’accord [1] signé le 30 novembre entre l’État français et ArcelorMittal, dans lequel le géant mondial de l’acier s’engage à réaliser un montant minimum d’investissements de 180 millions d’euros d’ici fin 2017. L’arrêt définitif des hauts-fourneaux est toujours prévu en mars 2013. Il entraînera la suppression de 1 500 emplois, sous-traitants compris. Mais rapportera des millions d’euros à ArcelorMittal grâce aux miracles du « capitalisme vert ».
Des droits à polluer très rentables pour ArcelorMittal
Car Florange fait partie des quelques 10 000 sites industriels européens qui ont été intégrés au système d’échange de quotas d’émissions de CO2 mis en place en 2005. Comment cela fonctionne-t-il ? Les gouvernements allouent à chacun de ces sites un quota d’émissions de CO2. Pour le site de Florange, il est de 4 millions de tonnes de CO2 par an. En fin d’année, si le site industriel le dépasse, il doit acheter des « droits à polluer » sur le marché carbone pour compenser ses émissions. S’il n’utilise pas tout son quota, il peut engranger et accumuler ses permis d’émissions pour ensuite les revendre à des entreprises qui ont dépassé leurs propres quotas (lire également : les marchés carbone, ou comment gagner des millions grâce à la pollution).
D’après un document que s’est procuré le magazine Terra Eco auprès du cabinet londonien Carbon Market Data, ArcelorMittal n’a pas dépassé son quota annuel en 2009, 2010 et 2011, économisant environ 4,7 millions de tonnes de CO2 [2]. Et ce, en partie grâce à la mise en sommeil de ses hauts-fourneaux de Florange. Même si le cours du CO2 s’est effondré sur les marchés, ce surplus de droits à polluer représente une belle aubaine. A environ 5 euros la tonne, ArcelorMittal pourrait empocher près de 24 millions d’euros s’il décidait de les vendre. Pendant ce temps, les salariés du site ont multiplié les périodes de chômage partiel, en partie indemnisées par l’État.
Au niveau mondial, ArcelorMittal est la compagnie qui a accumulé le plus grand excédent de quotas, selon l’ONG britannique Sandbag, avec près de 123,2 millions de tonnes. Alors que la multinationale de la sidérurgie est, par son activité, l’une des plus polluantes ! Chaque année, la multinationale valorise une part de ces surplus sur le marché du carbone et engrange des profits faciles : 140 millions en 2010 de dollars et 93 millions de dollars en 2011 [3].
Un cadeau de 19 millions d’euros en 2013
ArcelorMittal a prévu de fermer les hauts-fourneaux de Florange en mars 2013. Mais la multinationale devrait percevoir ses quotas comme si de rien n’était. « Lorsqu’une installation a cessé ses activités, l’État membre concerné ne lui délivre plus de quotas d’émission à compter de l’année suivant la cessation des activités », précise la réglementation européenne [4]
Le nouveau plan d’allocation français sur la période 2013-2020 prévoit bien un quota gratuit de 3,8 millions de tonnes de CO2 de permis à polluer pour le site de Florange. Un cadeau de 19 millions d’euros au cours du marché carbone actuel.
Dès avril 2012, la CFDT interpellait les pouvoirs publics « pour qu’ils mettent un terme au "pillage" orchestré par Mittal. L’État français ne peut plus accepter de payer avec l’argent public le chômage partiel, ne pas broncher sur les quotas de CO2 non utilisés et vendus en bourse sans oublier les multiples exonérations d’impôts accordées à Mittal ».
Sophie Chapelle
@Sophie_Chapelle sur twitter
Photo Florange : CC Benjamin Géminel