L’attaque a débuté le 3 janvier et a duré plusieurs jours. Au moins 15 villages de l’agglomération de Baga, dans l’extrême-Nord-est du Nigeria, ont été rasés. La commune abritait le siège d’une force armée régionale. Selon les récits des témoins du dernier massacre perpétré par le groupe armé islamiste Boko Haram, des centaines de personnes ont été tuées. Des rumeurs faisaient même état de milliers de victimes possibles. « Il semble que l’attaque contre Baga et les localités alentour pourrait être la plus meurtrière à ce jour d’une série d’actions de plus en plus haineuses menées par le groupe », écrit Amnesty International quelques jours plus tard. Le samedi 10 janvier, une bombe posée sur une fillette explose dans un marché de l’État de Borno. Sans revendication, mais tous les regards sont à nouveau tournés vers la secte islamiste.
Les attaques de civils par le groupe armé Boko Haram se multiplient ces derniers mois dans cette région du nord-est du Nigeria. En juillet 2014, l’ONG Human Rights Watch comptabilisait 2 053 victimes civiles de Boko Haram pour les seuls six premiers mois de l’année, au cours de 95 attaques. Ces violences ne se dirigent pas uniquement contre les chrétiens de la région.
Boko Haram pratique aussi les enlèvements. En avril 2014, le rapt de plus de 200 adolescentes dans leur école de Chibok avait choqué le monde entier. Ce n’était pas un cas isolé. « Ce groupe a enlevé plus de 500 femmes et filles depuis 2009 et a intensifié les enlèvements depuis mai 2013, déclarait Human Rights Watch en octobre 2014. « Les femmes et les filles enlevées par le groupe armé sont contraintes de se marier, de se convertir et sont victimes d’abus physiques et psychologiques, de travail forcé et de viol en captivité », soulignait aussi l’ONG. Le mouvement qui était à l’origine une secte islamiste semble aller toujours plus loin dans la violence.
Des exactions qui augmentent avec l’état d’urgence
Mais d’où vient cette secte qui s’est muée en groupe armé ? Boko Haram est né au début des années 2000 dans le nord-est du Nigeria, une région proche des frontières du Niger, du Tchad et du Cameroun, pays aujourd’hui eux aussi touchés par le phénomène. Le groupe devient plus particulièrement violent à partir de 2009, quand son leader, Mohammed Yusuf, est exécuté par la police sans autre forme de procès. Boko Haram s’est d’abord attaqué à des policiers et à des prisons. En 2011, le mouvement revendique un attentat à la bombe contre le bâtiment des Nations Unis à Abuja, la capitale fédérale du Nigeria. C’est à partir de là qu’il attire l’attention internationale.
Sa violence s’est encore accrue avec l’instauration de l’état d’urgence en mai 2013 dans trois États du nord-est du pays, Yobe, Adamawa et Borno. Depuis, les agressions massives et répétées se multiplient contre les populations civiles, dans des écoles, des marchés, des lieux de prières. Human Rights Watch en dénombre plusieurs centaines ces deux dernières années. Il s’agit souvent d’attaques contre des villages suspectés d’avoir collaboré avec les forces de sécurité. En 2014, le nord-est du Nigeria est ainsi devenu la région la plus meurtrière du pays « alors qu’avant 2009, le Nord était paisible et les violences se concentraient dans le Sud », note le dernier rapport du groupe d’étude sur la violence au Nigeria Nigeriawatch. Le Sud, où le groupe armé du Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger (MEDN) était par exemple actif dans les années 2000, et s’attaquait principalement aux installations pétrolières.
Pauvreté massive en pays pétrolier
Les régions du nord du Nigeria font surtout partie des plus pauvres. Dans le pays le plus peuplé d’Afrique (178 millions d’habitants aujourd’hui), deux-tiers de la population vit avec moins d’un dollar par jour [1]. Le Nigeria dispose pourtant d’un riche sous-sol. C’est le cinquième pays exportateur de pétrole au monde [2] ! Mais c’est aussi l’un des pays les plus corrompus de la planète : il est classé à la 136e place sur 175 par Transparency International. Pour comparaison, l’Afrique du sud se trouve au 67e rang.
La manne pétrolière ne profite donc pas à tout le monde, loin de là, et surtout pas aux États du nord du pays, puisque les puits de pétrole se trouvent dans le Sud. Résultat : 70% de la population du nord-est vit avec moins de 1 dollar par jour, contre moins de 60% dans le sud. Moins d’un quart des femmes et seulement la moitié des hommes savent lire dans le nord-est, contre 80 et 90% dans le Sud.
Records nationaux d’analphabétisme
C’est dans ce contexte de grande pauvreté, de fortes inégalités régionales et d’analphabétisme que prospère Boko Haram depuis quinze ans. Un terreau qui explique aussi en partie son refus de l’éducation. Le fondateur de la secte, Mohammed Yusuf, demandait en effet à ses fidèles « de renoncer à fréquenter les établissements privés d’inspiration occidentale et les écoles publiques nigérianes héritées du système colonial britannique », explique Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chercheur à l’université Paris 8 et spécialiste du Nigeria [3].
Il ajoute : « La critique de Boko Haram contre le monde moderne se rattache donc à un courant de pensée anticolonial, et pas seulement islamiste et obscurantiste. En effet, l’échec du modèle éducatif occidental est particulièrement flagrant dans le Borno. À l’échelle du Nigeria, le Nord-Est est l’une des régions les moins bien pourvues en la matière, avec des records nationaux d’analphabétisme et d’absentéisme : près de la moitié des enfants n’y sont jamais allés à l’école primaire et plus d’un tiers n’y suivent pas non plus d’enseignements coraniques. »
Violences systématiques de la police et de l’armée
Boko Haram est souvent qualifiée de « secte » islamiste. L’une des premières revendications du mouvement est l’application intégrale de la Charia, déjà en partie appliquée dans le nord du Nigeria. Mais, « lorsqu’elle s’enracine à Maiduguri au début des années 2000, la secte est d’abord et avant tout un mouvement de protestation sous l’égide d’un leader spirituel », souligne Marc-Antoine Pérouse de Montclos.
Le groupe armé se développe-t-il avec l’aide de groupe terroristes islamistes internationaux tels qu’Al-Qaïda ? « Il faut être très prudent sur l’existence de liens structurels entre Boko Haram et Al-Qaïda dans le nord du Nigeria. D’une part, nous n’en avons pas de preuve. D’autre part, il existe des divergences doctrinaires très importantes entre les deux mouvements. Le cœur de cible de Boko Haram, ce sont les forces de sécurité nigérianes et les « mauvais » musulmans alors qu’Al-Qaïda cible les Occidentaux », analysait le chercheur dans une interview au Monde il y a quelques mois. Marc-Antoine Pérouse de Montclos souligne plutôt le rôle des violences arbitraires de l’armée à l’encontre des populations civiles. « À force d’exactions, l’armée s’est mis à dos la population : de nombreux habitants refusent de dénoncer les membres de Boko Haram, certains ont même rejoint ses rangs. »
Les violences systématiques de la police et de l’armée sont de plus en plus dénoncées par les organisations internationales. « Human Rights Watch et d’autre groupes nationaux et internationaux de protection des Droits de l’homme ont documenté des abus des forces de sécurité nigérianes perpétrés depuis 2009 dans leur réponse aux attaques de Boko Haram », note ainsi l’ONG . Des exactions telles que « des incendies des habitations, abus physiques, exécutions extrajudiciaires des personnes suspectées de soutenir Boko Haram ». Les forces de sécurité sont par exemple accusées par Amnesty International d’avoir exécuté des centaines de détenus pour la plupart non armés qui s’étaient enfuis d’une prison suite à une attaque de Boko Haram en mars 2014 à Giva Barracks dans l’État de Borno.
Tortures de suspects et « chasse aux sorcières du Moyen-Âge »
En septembre 2014, Amnesty publiait par ailleurs un rapport accablant sur la pratique de la torture par les forces de sécurité du Nigeria. « Les soldats arrêtent des centaines de personnes, cherchant celles qui ont des liens avec Boko Haram, puis torturent les suspects durant un processus de « tri » qui ressemble à une chasse aux sorcières du Moyen-Âge », déclarait le directeur de recherche d’Amnesty Netsanet Belay.
Dans ce contexte, Human Rights Watch demandait cet été au gouvernement nigérian de « reconnaître qu’il doit protéger sa population tout à la fois de Boko Haram et des membres de ses propres forces militaires et de police qui se rendent coupable d’abus ». Au moment où les attaques sanglantes du groupe islamiste se font quasi-quotidiennes dans le nord-est et où le président Goodluck Jonathan vient de lancer sa campagne pour sa réélection au scrutin de mi-févier, l’appel de l’ONG sera-t-il entendu ?
Rachel Knaebel
Photo : Enfants réfugiés nigérians du camp de Gagamari au Niger où 16 000 réfugiés sont pris en charge par les Nations Unies et le programme humanitaire européen Echo (European Commission humanitarian aid and civil protection department) / CC ECHO.
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