Le parc éolien coopératif de Béganne, dans le Morbihan, verra-t-il bientôt le jour ? Lancée il y a huit ans, cette aventure à rebondissements multiples pourrait voir les pâles de ses quatre éoliennes tourner dès 2012. Le visa autorisant l’appel à épargne populaire, délivré le 19 septembre dernier par l’Autorité des marchés financiers, va en effet permettre de boucler le budget de fonds propres, qui s’élève à 2,9 millions d’euros (sur un total de 12 millions d’euros).
C’est l’association nationale Énergie partagée qui va se charger de collecter cette épargne populaire, via son « Fonds citoyen d’investissement ». Pour la distribuer ensuite à différents projets, dont celui de Béganne. Créée en juin 2010, ce fonds d’investissement pas comme les autres a pour objet d’aider les citoyens à changer de système énergétique, en finançant la production d’énergie renouvelable, de manière solidaire.
L’écologie avant le profit
Gérée par la Nef, Enercoop, Solira Développement et portée par une vingtaine d’organisations, Énergie partagée cède des actions à 100 euros minimum. « Avec la possibilité de choisir le projet que l’on souhaite financer », précise Joël Lebossé, directeur général d’Énergie partagée. Actuellement dotée d’un capital d’1,2 million d’euros, l’association ambitionne de collecter 3 millions d’euros d’ici à septembre 2012. Objectif : 3 000 à 5 000 souscripteurs. Pour souscrire, il faut acheter au moins une part à 100 euros, à laquelle s’ajoutent des frais de dossier allant de 5 à 500 euros selon le nombre d’actions.
Les sommes récoltées seront versées pour compléter les fonds propres de projets de production d’énergie renouvelable. Ceux-ci doivent remplir plusieurs conditions : ancrage local, finalité non spéculative, démarche écologique, gouvernance démocratique, économie sociale et solidaire… Pour le moment, celui de Béganne est le plus avancé. Plusieurs installations photovoltaïques sont prévues, malgré le sévère coup d’arrêt qu’a enregistré la filière, à la suite du moratoire imposé l’an dernier par le gouvernement. Un petit retour sur investissement (environ 4 %) peut être attendu, mais au bout de cinq à sept ans seulement. Si l’on retire son épargne avant (ce qui est évidemment possible), on prend le risque de ne rien gagner du tout, voire de perdre un peu d’argent.
Achetez une électricité 100 % renouvelable
« Nous visons la mixité dans les territoires et dans les tailles des projets », détaille Joël Lebossé. Le parc éolien de Béganne devrait recevoir 500 000 euros d’Énergie partagée. Mais l’argent récolté servira aussi, par exemple, à poser une toiture d’école en panneaux photovoltaïques. Le retour sur investissement sera en revanche lissé sur tous les projets. La solidarité fait partie des engagements forts du fonds citoyen, pour qui l’accès de tous à l’électricité est un bien commun à protéger.
En France, c’est Enercoop qui a ouvert en 2005 le bal de l’énergie coopérative. Depuis l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence, cette Société coopérative d’intérêt collectif (Scic) s’engage auprès de ses clients à produire de l’électricité totalement renouvelable. Dans l’incapacité de tracer « physiquement » l’électricité, puisque le réseau de transport et de distribution est national et commun (l’électricité nucléaire se mélange à l’électricité hydraulique ou éolienne), Enercoop injecte sur ce réseau autant d’électricité d’origine renouvelable que ses clients en consomment. « La traçabilité est financière, explique Enercoop. Vous avez la garantie que votre argent va aux énergies renouvelables, en rémunérant les producteurs de la coopérative via votre facture d’électricité. »
Coopératives énergétiques ou renationalisation du secteur ?
D’abord réservés aux professionnels, les abonnement se sont ouverts aux particuliers en 2007. Enercoop dépasse aujourd’hui les 10 000 abonnés. Dont 7 000 sont sociétaires. En plus de consommer « vert », ils souhaitent participer au développement de la coopérative. Moyennant l’acquisition d’au moins une part à 100 euros, les sociétaires peuvent participer à l’assemblée générale annuelle d’Enercoop et élire – sur le principe une personne égale une voix, quel que soit le montant de son investissement financier – les membres du conseil d’administration.
Après des débuts un peu difficiles, la coopérative atteint l’équilibre financier en 2010. L’objectif, désormais, est de poursuivre le développement autour de coopératives locales. Des antennes existent déjà en Champagne-Ardenne, en Rhône-Alpes, dans le Nord-Pas-de-Calais, et bientôt en Languedoc-Roussillon et en Bretagne.
D’aucuns ont reproché à Enercoop son caractère privé, y voyant le signe d’un renoncement définitif au service public, qui permet à chacun d’avoir accès à l’électricité pour un prix commun (et modeste). « Enercoop ou Énergie partagée sont des réactions citoyennes à la privatisation, à la disparition du service public, rétorque Joël Lebossé. Nous sommes 100 % d’accord avec le service public, insiste-il. Et le jour où une renationalisation se profilera, nous serons les premiers à en défendre le principe. En attendant, nous souhaitons démontrer qu’il existe des alternatives au tout-nucléaire centralisé. »
Certains regrettent aussi les tarifs élevés proposés par Enercoop. 50 % de plus, au départ, par rapport à une offre classique. « Aujourd’hui, ce surcoût n’est plus que de 30 % », affirme un sociétaire-client d’Enercoop depuis 2007. « Et l’objectif, c’est aussi d’apprendre à consommer moins. » Produire autrement de l’énergie n’est pas le seul objectif d’Énergie partagée, qui entend aussi lutter en faveur de la sobriété, et contre la précarité énergétique. Par des actions pédagogiques, pour le moment. « Si on regarde ce qui se passe en Belgique [1], l’électricité collective est la moins chère de toutes, reprend Joël Lebossé. Alors qu’en France on va vers une augmentation du coût de l’énergie en général. Et de celle de l’électricité en particulier. »
Nolwenn Weiler