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Le secteur photovoltaïque français a, pendant quelques années, suivi une très belle courbe de croissance, dans la foulée du Grenelle de l’environnement, et grâce à des prix de rachat d’électricité fort intéressants et à une défiscalisation alléchante. Au point de faire craindre une bulle spéculative. Le risque est constaté dès 2009 par les professionnels de l’énergie solaire. Ils conseillent alors vivement au gouvernement de se saisir du problème. Mais au ministère de l’Environnement, Nathalie Kosciusko-Morizet fait la sourde oreille. Et en décembre 2010, tout s’arrête : un moratoire de trois mois gèle tous les projets de plus de 3 kWc [1].
Les installations des particuliers, dont la majorité sont calibrées en dessous de cette puissance (moins de 1 000 m2 de panneaux solaires), ne sont pas concernées. Mais les tarifs de rachat dégringolent. En mars 2011, ils sont inférieurs de 20 % à ceux qui étaient en vigueur six mois plus tôt. Ils sont en plus soumis à une baisse trimestrielle, et diminuent plus rapidement que le prix du matériel. Résultat : le retour sur investissement est de plus en plus lointain. Les banques rechignent à accorder des prêts, instabilité réglementaire oblige. « Les carnets de commande diminuent », constate Remi Oudoul, ingénieur dans le photovoltaïque. Certaines entreprises évoquent en effet une baisse de 30 à 40 %. « En plus de ces histoires de tarifs, l’énergie solaire est délégitimée, ce qui fait beaucoup de mal », ajoute-t-il.
Mort des PME du secteur
Les très gros projets (plus de 100 kWc) font désormais l’objet d’un appel d’offres. La première période de candidature s’est ouverte le 1er août 2011, jusqu’au au 20 janvier 2012. « Cela signifie qu’entre décembre 2010, le début du moratoire, et janvier 2012 – soit plus d’un an –, il y a une sorte de vide…, détaille Remi Oudoul. Comment les sociétés qui postulent vivent-elles pendant ce temps ? » Soit elles disposent déjà de parcs en exploitation (et donc de rentrées d’argent régulières), soit elles ont la chance d’être liées à un grand groupe, comme EDF Énergies nouvelles, filiale à 100 % d’EDF, ou encore Veolia.
Pour les PME, c’est évidemment plus compliqué. Richard Loyen d’Enerplan, association professionnelle de l’énergie solaire, ne décolère pas :« Plutôt que d’encourager les PME et les PMI dans leurs investissements, on préfère étouffer ce tissu industriel, au bénéfice des grandes entreprises. Des start-up se sont montées, avec des ouvriers qualifiés, dont les emplois n’étaient pas délocalisables. Des PME et des PMI y ont mis leur argent et leur âme. Elles ont cru à la croissance verte et aux promesses. Et tout s’est écroulé. Il n’y a pas de vision politique et énergétique en amont. Et, sur le terrain, on compte les pertes. »
Sur les 20 000 emplois créés depuis 2006 [2], entre 5 000 et 7 000 ont disparu en moins en un an, estiment Enerplan et le Syndicat des énergies renouvelables. Selon Marc Jedliczka, directeur général d’Hespul, ce sont 10 000 à 15 000 personnes qui ont été licenciées à la suite des décisions politiques prises en 2010 et en 2011, pointe-t-il dans un entretien accordé à nos confrères d’Actu Environnement. « Ce phénomène passe inaperçu parce qu’il touche de petites entreprises, qui n’intéressent pas les centrales syndicales », ajoute-t-il. Dans Le Télégramme, un autre entrepreneur breton s’insurge : « Pourquoi le gouvernement, sachant que le système n’était plus viable, a-t-il laissé des centaines d’entreprises aller droit dans le mur ? »
Quand le gouvernement favorise le solaire chinois
Parmi les objectifs affichés lors du moratoire, figurait pourtant l’émergence d’une filière française de production de panneaux photovoltaïques. « Mais dans l’appel d’offres, le prix fait partie des critères principaux de choix », s’étonne Rémi Oudoul. « Il y a donc peu de chance que les matériaux installés soient français. C’est incohérent. On veut une filière d’excellence, et en même temps on retient le prix parmi les critères de choix. »
Résultat : « Les gros appels d’offres entre 100 et 250 kWc, qui ne prennent en compte que le prix, ouvrent la porte à l’invasion chinoise, s’insurgeait carrément, le 20 juillet dernier, Thierry Miremont, PDG de Photowatts, une entreprise de plus de 400 salariés qui vient de déposer le bilan. Pour les installations au-dessus de 250 kWc, le prix compte à hauteur de 40 %, et le bilan carbone ne compte que pour 3 %. Cela favorise les couches minces produites ailleurs qu’en France par First Solar ou Saint-Gobain ! »
Nathalie Kosciusko-Morizet et Éric Besson ont bien lancé un nouveau label : Alliance qualité photovoltaïque (AQPV ). Piloté par le Syndicat des énergies renouvelables et les industriels français de la filière photovoltaïque, ce label a pour objectif de renseigner et de rassurer le consommateur face à la multitude d’offres proposées sur le marché. Il doit aussi défendre la production française. Mais selon Thierry Miremont, AQPV est moins intéressant socialement que le le label Made in France. « Pour pouvoir apposer le label Made in France, la valeur ajoutée qui est créée en France sur un module doit être supérieure à 45 % », précisait-il.
100 000 emplois en perspective si…
Problème : les assembleurs (ceux qui assemblent les différents composants d’un panneau), beaucoup plus nombreux que les fabricants, n’atteignent pas ce taux de 45 %. Ils peuvent cependant prétendre au label AQPV, qui stipule qu’il faut soit fabriquer, soit assembler en France. Bien souvent, seul l’assemblage est réalisé en France. « C’est un peu du patriotisme à la petite semaine », glisse-t-on dans le milieu.
« Avec la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments, le concept Bepos (bâtiment à énergie positive), le photovoltaïque est incontournable dans l’avenir », estime Richard Loyen, d’Enerplan. « Le vrai risque pour l’industrie française, c’est que l’on va importer, et c’est tout. Le challenge, aujourd’hui, pour ceux qui n’ont pas encore mis la clé sous la porte, c’est de ne pas mourir d’ici à mai 2012, avec l’espoir d’un vrai renouveau politique. » Pour les candidats intéressés, Enerplan propose un scénario photovoltaïque, avec 20 gigawatts installés d’ici à 2020 et 100 000 emplois créés. Un joli programme… loin d’être partagé.
Nolwenn Weiler