Marie-Océane Bourguignon a vécu un calvaire. Attaques cérébrales, perte d’équilibre, paralysie, pertes de vue et d’audition, la jeune femme n’imaginait pas que sa vie serait bouleversée à cause d’un vaccin, le Gardasil (lire la première partie de notre enquête). Face aux épreuves, ses parents se sont d’abord sentis très seuls. Avant de découvrir que plusieurs jeunes femmes souffraient des mêmes maux, grâce à une page Facebook créée par Jean-Jacques Bourguignon, le père de Marie-Océane. « Je suis régulièrement contacté par des gens perdus, dans la galère médicale », souligne-t-il.
C’est souvent un véritable parcours du combattant qui se dresse devant les victimes. Elles sont ainsi plusieurs dizaines à tenter d’obtenir la reconnaissance de leurs effets secondaires et une indemnisation pour les préjudices subis [1], parfois grâce à une procédure judiciaire. Une voie juridique incontournable alors que les autorités et le monde médical semblent hermétiques à leurs revendications. Leurs symptômes seraient de toute façon apparus puisqu’elles portaient en elles la maladie, leur répondent les experts. L’aluminium n’est en aucun cas un problème. Alors pourquoi chercher plus loin ?
Jouer sur la communication plutôt que financer les recherches
Avant le tribunal, la bataille se mène sur le terrain de la communication. Loin d’être neutres, les autorités sanitaires y participent allègrement en faveur d’un certain point de vue. Leur but : dissiper les critiques qui entourent certains vaccins, plutôt que faire avancer les connaissances sur ces sujets ! En 2013, l’Agence de sécurité du médicament (ANSM) a par exemple accordé 282 065 euros à une « action de recherche » sur les perceptions de la sécurité et de l’efficacité des vaccins en France. L’objectif ? « Développer des stratégies de communication sur les vaccins prenant en compte les opinions développées sur ces sites (anti-vaccination), pour améliorer le contenu des sites pro-vaccination (…) » [2].
Une stratégie que Daniel Floret, le président du Comité technique des vaccinations, organe chargé de conseiller le ministère pour la mise sur le marché des vaccins, défend face aux « campagnes de désinformation » : « Il serait bon que les structures officielles soient présentes sur les réseaux sociaux, pour faire des réponses actuelles à ce qui circule, déclare-t-il à Basta!. Dans ces communications, il faut parler de ces maladies qui ont quasiment disparu et qui maintenant réapparaissent. »
C’est là le plus grand défi des agences de santé : si elles reconnaissaient qu’il y a parfois des effets secondaires, le doute et les critiques risqueraient de s’accroître. Au final, la couverture vaccinale pourrait diminuer, et certaines maladies seraient susceptibles de réapparaître. « Si on commence à dire qu’il y a de petits inconvénients, les gens vont commencer à se documenter, à aller voir le « docteur Google », explique le pédiatre Dominique le Houézec. C’est pourquoi le message du Ministère de la Santé doit être clair, ferme et sans nuance aucune, car il est envoyé à 60 millions de personnes. »
Des experts financés par les labos ?
Mais cette exigence de santé publique n’explique pas tout. Pour comprendre ce déni ou cette indifférence, il faut regarder du côté des experts chargés d’évaluer les vaccins. Plusieurs scientifiques du Comité technique des vaccinations (CTV) ont été soutenus, dans leurs travaux de recherche, par de grandes firmes pharmaceutiques. L’une d’entre eux, Brigitte Autran, a par exemple participé à un essai clinique du vaccin contre le H1N1 et à des essais pour des vaccins contre la variole, pour Sanofi-Pasteur. Une autre experte, Anne-Claire Siegrist, non membre du CTV, voit la chaire de vaccinologie qu’elle dirige à Genève recevoir en 2012 un soutien de la fondation Mérieux, dont Sanofi Pasteur est l’un des financeurs [3]. Elle anime le site d’information Infovac, qui se présente comme étant indépendant des firmes pharmaceutiques [4], et qui défend largement le système actuel de vaccination.
Daniel Floret, le président du Comité technique des vaccinations, est lui aussi pointé du doigt pour ses liens avec l’industrie pharmaceutique, notamment avec le laboratoire BioMérieux et la fondation Mérieux. « Bio Mérieux n’a jamais fait de vaccins, se défend-il. Je ne vois pas en quoi mon étude sur l’épidémiologie des infections virales en réanimation pédiatrique pourrait modifier ma perception sur le Gardasil et le papillomavirus humain. » Ces structures ne conçoivent pas de vaccins, mais la fondation Mérieux a comme partenaire industriel... Sanofi Pasteur. En 2013, l’entreprise productrice de vaccins abonde à hauteur de 17% du budget de la fondation.
Ces liens avec l’industrie pharmaceutique sont-ils susceptibles d’altérer le jugement des experts sur la question ? « Si les travaux que la personne a menés concerne un vaccin qui est étudié, elle est en conflit d’intérêts, elle ne participe pas aux débats, au sein du Comité technique des vaccinations chargé d’évaluer la balance entre les risques et les bénéfices d’un vaccin, précise Daniel Floret qui rappelle que chaque expert du CTV est obligé de déclarer publiquement d’éventuels liens d’intérêts avec les laboratoires. Ce n’est pas parce qu’il y a un conflit d’intérêts sur un dossier qu’il y en aura sur tout. »
Cela explique par exemple que Brigitte Autran puisse participer à la rédaction d’un rapport publié en février 2015 sur le vaccin Hexavyon, produit par Sanofi-Pasteur... alors que ses recherches ont déjà été subventionnées par ce laboratoire. « Même si l’experte n’a pas travaillé directement sur ce vaccin, il y a une proximité entre elle et l’industrie pharmaceutique », estime Didier Lambert, président de l’association d’entraide aux malades de myofasciites à macrophages (E3M), une maladie dont, pour ceux qui en sont victimes, la cause présumée serait l’aluminium présent dans les vaccins (voir le premier volet de l’enquête).
« Les industriels arrosent de fric les leaders d’opinion »
D’autres exemples sont encore plus éloquents. En novembre 2006, le Gardasil est examiné par l’Affsaps, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé [5], pour décider de sa mise sur le marché. Sur les 25 experts réunis autour de la table, six travailleraient ou seraient rémunérés par le groupe Sanofi, révèle en mai 2014 le magazine Lyon capitale [6]. Aucun débat n’a eu lieu, note le journal qui s’est procuré le rapport de la commission. Et cela, alors même que les études sur l’efficacité du vaccin ne sont à cette date pas achevées.
D’après Lyon capitale, au moins 13 experts ayant participé à cette commission auraient été, les années suivantes, rémunérés pour leurs travaux par Sanofi. « Les industriels arrosent de fric les leaders d’opinion qui ferment les yeux sur tout, qui ne voient rien, qui n’ont plus aucun avis critique, simplement parce qu’ils ont touché, cumulé sur cinq ans, 200 000 ou 300 000 € », accuse Bernard Dalbergue, un ancien employé d’un laboratoire pharmaceutique chargé de séduire les docteurs des CHU [7].
Le Gardasil, bientôt administré aussi aux garçons ?
Pourtant, les critiques sur le Gardasil ne manquent pas, notamment en haut de la hiérarchie. La gynécologue Diane Harper, qui a participé aux essais de ce vaccin aux États-Unis a dénoncé son inefficacité : « Comparé au nombre de décès liés au cancer du col qu’il permet d’éviter, ce vaccin a été associé à beaucoup trop d’effets secondaires graves » [8]. Aux États-Unis, en 2013, le système de pharmacovigilance relevait plus de 32 000 effets secondaires, dont 587 où le pronostic vital était engagé, et 148 décès. En France, l’eurodéputée écologiste Michèle Rivasi a demandé un moratoire sur le Gardasil. 500 médecins ont signé une pétition dénonçant son inefficacité [9]
Malgré tout, le Gardasil continue d’être administré. Les autorités envisagent même de le recommander auprès des jeunes garçons, afin de diminuer davantage les risques de propagation du papillomavirus humain [10] Pour les labos, les sommes en jeu sont faramineuses. Depuis sa mise sur le marché et jusqu’en 2014, plus de 130 millions de doses auraient été écoulées à travers le monde, dont plus de cinq millions en France. Rapportant plusieurs dizaines de milliards d’euros. D’après Les entreprises du médicaments (le Leem, qui regroupe 270 entreprises du secteur de l’industrie pharmaceutique), les vaccins représentaient 20 milliards d’euros de chiffres d’affaires, en 2012... et atteindraient 42 milliards en 2016 ! Principale productrice de vaccins dans le monde, l’Europe exporte 84% de ses vaccins. 271 nouveaux vaccins seraient en développement [11].
Des alternatives à l’aluminium ?
Bien que l’aluminium soit de plus en plus décrié, peu de laboratoires tentent de développer des vaccins à base d’autres adjuvants. Des alternatives sont pourtant possibles. A partir de 1974, le phosphate de calcium, un produit présent naturellement dans le corps humain a été utilisé comme adjuvant dans le vaccin contre la Diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (DTP), par l’institut Pasteur, suite aux premières alertes sur la nocivité de l’aluminium. En 1984, lors du rachat de l’institut Pasteur par l’institut Mérieux, ces vaccins au phosphate de calcium ont progressivement été supprimés afin de simplifier les modes de production. Cependant, jusqu’en 2008, un vaccin DTP sans aucun adjuvant était commercialisé. Mais Sanofi-Pasteur a décidé de le retirer du marché. Officiellement « suite à la survenue d’effets secondaires à une fréquence plus élevée [trois fois plus] comparativement à l’historique de ce vaccin », au cours de l’année 2008, après 47 années d’utilisation sans problèmes majeurs.
Ces effets secondaires, l’association E3M les a étudiés avec minutie. Pour elle, cette hausse des effets indésirables n’est autre qu’une manipulation statistique. En gros, des effets indésirables de 2007 auraient volontairement été transférés en 2008. De quoi justifier l’arrêt de la commercialisation et de la fabrication de ce vaccin. « L’objectif est d’éliminer tous les petits vaccins qui ne sont pas rentables », soutient E3M. Ce serait un choix industriel pour rationaliser les processus de fabrication... et accroître la rentabilité. « Dans une industrie, c’est toujours plus compliqué d’avoir différents produits qu’il faut mélanger, pas mélanger, éviter de mélanger, etc. C’est plus simple d’avoir une ligne unique », expliquait Marc Girard, directeur scientifique de Pasteur Vaccins, dans un documentaire diffusé sur France 5 [12].
Un arbitrage industriel au détriment de la population, qui ne peut plus choisir entre un vaccin contenant de l’aluminium et un autre qui n’en contient pas. Certaines personnes atteintes de myofasciite à macrophages ont décidé de porter plainte, avec l’association E3M, contre Sanofi-Pasteur. « Le retrait ou le remplacement des adjuvants à base d’aluminium nécessiteraient de longues et complexes études en termes de formulation, d’études précliniques et cliniques, indique Sanofi, par l’intermédiaire de son service de communication. Le profil de tolérance devrait être au moins égal à celui des adjuvants aluminiques. Le développement d’une alternative représente donc un vrai challenge et prendrait très certainement un minimum de 10 à 20 ans compte tenu de la complexité et du nombre de vaccins concernés. » De toute façon, juge le laboratoire, « les éléments disponibles (problématique franco-française et absence de lien entre aluminium et syndrome clinique décrit) ne justifient pas l’engagement de tels programmes de développement. ». Toute alternative est enterrée.
« Le ministère de la Santé m’incite à ne pas en parler »
Si les vaccins provoquent de nombreuses inquiétudes, c’est aussi parce que le corps médical semble parfois réticent à reconnaître l’existence d’effets secondaires. « C’est plus simple de ne pas en parler, ça évite des discours, des explications, ça fait gagner du temps de dire qu’il n’y a pas de problèmes, souligne le pédiatre Dominique le Houézec. Et puis ce sont les recommandations officielles : en tant que médecin, le ministère de la Santé m’incite à le faire. Si je ne le fais pas, je ne suis pas dans les clous. »
Les médecins sont aussi des cibles privilégiées des laboratoires. Et cela, dès leurs études : « Les enseignements post-universitaires sont souvent financés par l’industrie. Les visiteurs médicaux des laboratoires vont dans les services, ils paient à boire, vous présentent le produit, les internes sont là, les futurs médecins sont là : ils se disent que le produit présenté est plutôt pas mal... ! » Puis l’influence se poursuit dans les journaux médicaux que les médecins reçoivent à leur cabinet. « Les laboratoires ont des publicités dans tous les journaux médicaux (sauf Prescrire et Pratiques). » D’un tas de documents, Dominique le Houézec sort un numéro de la revue « Médecine et enfance ». Les trois premières publicités mettent en avant des vaccins combinés. « Le cerveau imprime : c’est subliminal », estime le pédiatre.
Des enfants vaccinés à l’insu des parents ?
Pourtant, de plus en plus de médecins semblent promouvoir une vaccination plus raisonnée. Ils regrettent le regroupement des vaccins dans une même injection, qui oblige souvent les parents à faire vacciner leur enfant contre l’hépatite B, à leur insu. « Beaucoup de parents ne savent même pas que leur enfant est vacciné contre cette maladie. Déontologiquement, ce n’est pas acceptable. Les médecins leur disent : « la prochaine fois, rapportez ce vaccin, et circulez ! », raconte Dominique le Houézec.
Ce dernier préfère expliquer aux parents qu’il n’est pas favorable à l’injection systématique de ce vaccin contre l’hépatite B chez les enfants. « On ne sait même pas si dans 20 ou 30 ans, quand le vaccin pourrait les concerner [l’hépatite B se transmet par voies sanguine et sexuelle], il serait encore efficace. En France, il n’y a pas de risque de contamination pour l’enfant, sauf si la mère est porteuse chronique du virus. Dans ce cas, il faut vacciner l’enfant à la naissance, car il y a un risque lors de l’accouchement, d’une contamination par le sang. »
Des précautions individuelles
En attendant que les autorités sanitaires et les laboratoires évoluent sur la question, les individus peuvent prendre des précautions. « Surtout, il ne faut pas être dans un état inflammatoire avant un vaccin, note Didier Lambert. Il ne faut pas non plus pratiquer une activité physique après la vaccination. » Boire de l’eau minérale chargée en silice aiderait également le corps à évacuer l’aluminium contenu dans l’adjuvant. Des conseils qui permettraient de réduire les risques...
Marie-Océane Bourguignon a aujourd’hui 20 ans. Elle est en classe de terminale et tente de reprendre un rythme normal. Reconnue handicapée à 79%, elle est toujours sujette à des insomnies, des vertiges ou de fortes fatigues, qui l’obligent parfois à suivre les cours à distance. « Dès qu’elle n’est pas bien, on a peur qu’elle fasse une attaque, indique son père. Mais l’encéphalomyélite s’est progressivement estompée. » La famille Bourguignon a refusé l’argent de l’Oniam, l’organisme chargé de l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux. « On allait recevoir 10 000 ou 20 000 euros, et être obligés de se taire, explique son père. Les gens devaient savoir. » Combien d’alertes devront être lancées pour que les autorités s’emparent réellement des problèmes posés par certains vaccins ? Et que des études indépendantes soient diligentées pour faire la part entre preuves scientifiques et sentiment d’inquiétude plus ou moins étayé ?
Simon Gouin
Photos (dans l’ordre de parution) :
CC Sanofi Pasteur : fabrication d’un vaccin contre la grippe aux États-Unis
CC Daniel Paquet