L’actuel projet de loi dite « Plein-emploi » discuté actuellement à l’Assemblée nationale renoue avec une vieille tradition. Il s’agit à la fois de complaire à la droite dure et de désigner des boucs émissaires face à l’angoisse sociale. La conception sous-jacente à ce projet est que le chômage de masse résulterait des comportement individuels, que les chômeurs et titulaires du RSA ne cherchent pas d’emploi, sont « découragés » et profitent du système.
Si Loin d’être nouvelle, l’idée était déjà au cœur des dépôts de mendicité aux XVIIIe et XIXe siècle. Le pauvre « valide » en âge de travailler « bénéficiait » du gîte et du couvert au sein d’un système disciplinaire carcéral fondé sur sa mise au travail. Ce système a été abandonné après avoir fait la preuve de sa totale inefficacité.
Mise au travail contrainte
Le texte propose notamment une mise au travail contrainte des personnes sans emploi à travers leur inscription automatique sur une liste unique des demandeurs d’emploi, qu’il s’agisse de chômeurs, de bénéficiaires du RSA, de personnes en situation de handicap ou de jeunes suivis par une mission locale.
Un modèle unique de contrat d’engagement leur est imposé afin de « rendre plus effectif les engagements des demandeurs d’emploi et d’intensifier leurs efforts d’insertion sociale et professionnelle ». En particulier, les bénéficiaires du RSA sont tenus d’accomplir au moins 15 heures d’activités hebdomadaires.
L’inscription automatique s’étend au conjoint même si celui-ci n’est pas demandeur d’emploi. Les données personnelles des chercheurs d’emploi peuvent être désormais transmis à de nombreux opérateurs publics et privés, en contradiction avec le règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD).
Durcissement des contrôles
Le texte mise principalement sur un durcissement des contrôles, avec la menace de décisions discrétionnaires du président du département de priver les personnes concernées de tout reste à vivre, sans respect du contradictoire, en cas de non-respect des contraintes imposées ou simplement d’absence. Cette dureté contraste avec la mansuétude envers les grandes entreprises ou la FNSEA.
En revanche, aucune programmation financière n’est prévue pour mettre en place les moyens humains et financiers nécessaires pour répondre à la très grande diversité des situations et mettre en pratique les objectifs de formation et d’insertion annoncés.. Bien au contraire, le gouvernement et le chef de l’État ne cessent d’insister sur la nécessité de diminuer les dépenses sociales, ce que concrétise la programmation financière des dépenses de l’État débattue de façon très symbolique dans l’hémicycle le jour même où débute l’examen de la loi plein-emploi.
En l’absence de moyens humains d’accompagnement et de formation, le risque est grand de parvenir à des contrats d’engagement stéréotypés et inapplicables, ignorant la fragilité économique et sociale des personnes concernées et les soumettant à des obligations d’insertion qu’ils ne sont pas en mesure de respecter, en contradiction avec les objectifs affichés. On peut également s’interroger sur la mise en application réelle de cette loi dès lors que les moyens correspondants ne sont pas dégagés. Beaucoup de choses se joueront dans la durée au niveau des textes d’application.
Pratiques discriminatoires
Tout cela reproduit et amplifie les pratiques de maltraitance institutionnelle constatées depuis deux ans au niveau des Caf : décisions automatiques, non-respect du RGPD et de multiples dispositions législatives, pratiques abusives, contrôles à charge, harcèlement. Ces pratiques illégales et discriminatoiresconcernent en premier lieu les femmes seules avec enfants, les plus pauvres, les personnes en situation de handicap, celles qui connaissent des situations professionnelles instables.
Les situations kafkaïennes engendrées par ces pratiques se traduisent aussi par de multiples problèmes de santé, addictions, anorexie, difficultés psychiques, stress dont les effets se prolongent parfois durant la vie entière. Elles risquent d’accroître fortement le non-recours, qui s’élève à 16 milliards d’euros sur les quatre principales prestations des Caf, c’est-à-dire un enjeu supérieur à celui de la réforme des retraites.
C’est donc l’avenir de toute une partie de la population qui est délibérément sacrifiée si cette loi est votée en l’état. Comme le souligne le Défenseur des droits, de nombreuses dispositions remettent en cause l’application de la Constitution de 1946, selon laquelle « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de sa situation s’est économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
Face à ces perspectives, la mobilisation va donc se poursuivre après le vote de la loi pour contester pied à pied les textes d’application et les modalités de leur mise en pratique.
Depuis 2019, le collectif Changer de Cap est une plate-forme d’appui et de mise en réseau pour les collectifs citoyens et les acteurs locaux, en mutualisant les actions porteuses d’alternatives et les réflexions. Il mène des actions de défense des droits pour donner une voix aux sans-voix face à des situations d’injustice, notamment dans leurs relations avec les Caisses d’allocations familiales.
Photo de une : ©Nicolas Lee/Encrage.