« On veut qu’il y ait davantage de Français qui travaillent, parce que ça permet d’augmenter les recettes. On reçoit plus d’impôts et de cotisations. » Le Premier ministre a trouvé un nouveau prétexte pour justifier une baisse des droits des demandeurs d’emploi : le redressement des comptes publics, après l’annonce mardi dernier par l’Insee d’un dérapage du déficit budgétaire de près de 16 milliards d’euros. Pour l’occasion, le Premier ministre déroule un nouvel argumentaire lors de son passage au 20-heures de TF1, le 27 mars. Cette fois, ce n’est plus le bobard mainte fois répété d’un chômage qui payerait plus que le travail. Dorénavant, le storytelling consiste à affirmer que pour atteindre le plein emploi, c’est-à-dire un taux de chômage inférieur à 5 %, il faudrait encore durcir les règles de l’assurance chômage pour « inciter à la reprise d’emploi ». Plus de personnes en emploi, ce sont plus d’impôts et de cotisations qui gonfleront les recettes de l’État et réduiront le déficit.
Cette démonstration est fallacieuse, mais s’appuie cependant sur un bout de vérité. En effet, plus de personnes en emploi est bien synonyme de recettes fiscales et sociales supplémentaires. Mais faut-il encore que des emplois soient disponibles en nombre suffisant. Et c’est là que le raisonnement de Gabriel Attal commence à prendre l’eau. Bien que, depuis deux ans, l’exécutif dramatise et amplifie les difficultés de recrutement rencontrées dans certains secteurs d’activités, les offres de postes non pourvues ne seraient pas en mesure de conduire au plein emploi si elles trouvaient acquéreur. Pour atteindre cet objectif, il faudrait que près d’un million d’inscrits dans la catégorie A de Pôle emploi retrouvent un travail.
Réduire l’assurance chômage crée-t-il des emplois ?
Le discours sur l’incitation à la reprise d’emploi par la réduction des indemnités chômage se fracasse sur une réalité : l’absence d’emplois disponibles en nombre suffisant pour permettre aux chômeurs de trouver du travail. Cette situation ne devrait pas se modifier. Au contraire, au début de son intervention sur TF1 la semaine dernière, Gabriel Attal expliquait les mauvais chiffres du déficit budgétaire par « un ralentissement économique européen ». Un ralentissement synonyme d’une baisse du nombre de créations d’emplois. Pire, cette détérioration de la situation économique devrait gonfler le nombre de demandeurs d’emploi. Selon les prévisions macroéconomiques de la Banque de France datées de septembre 2023, « le taux de chômage, qui s’est élevé à 7,2 % au deuxième trimestre 2023, augmenterait progressivement pour atteindre 7,8 % fin 2025 ».
Ce contexte économique morose est sans liens avec les comportements supposés de demandeurs d’emploi qui bouderaient le travail.« Réduire les droits à l’assurance chômage ne crée pas des emplois. Certaines personnes vont peut-être reprendre un travail plus vite, mais dans des conditions dégradées, en acceptant la première proposition venue », expliquait dans les colonnes du Nouvel Obs l’économiste Bruno Coquet. Pour le chercheur associé à l’Observatoire français des conjonctures économiques, « face à deux candidats, le recruteur prendra le plus qualifié pour un poste qui aurait pu être occupé par quelqu’un qui l’était moins. Ce dernier ne sortira donc pas du chômage. C’est donc seulement la file d’attente qui change. »
Il n’existe donc pas d’effet mécanique et massif entre la réduction des droits des chômeurs et la reprise d’emploi. Et ce, d’autant que seulement 36 % des personnes inscrites à Pôle emploi, devenu France Travail, reçoivent une indemnisation. Ce taux s’est effondré après l’entrée en vigueur des précédentes réformes de l’assurance chômage. « On n’a pas de preuve que cela marche ou ne marche pas. On peut admettre que cela va mettre des personnes en emploi qui ne l’auraient pas été, mais ce qui est sûr c’est que ça ne marchera pas pour tout le monde. Les personnes qui n’ont pas de solutions vont se retrouver appauvries », expliquait Michael Zemmour à Rapports de force le mois dernier.
Pour justifier ce nouvel affaiblissement de l’assurance chômage, l’exécutif tentera sans doute de s’appuyer sur plusieurs études réalisées en Europe et aux États-Unis, citées dans le rapport intermédiaire du comité d’évaluation de la réforme de l’assurance chômage. Celles-ci évaluent qu’un allongement de la durée d’indemnisation fait reculer la reprise d’emploi, mais dans des proportions très modestes. La reprise d’emploi pour cause d’indemnisation plus courte se fait, elle, très largement dans des emplois dégradés et précaires, qui renverront ensuite les personnes au chômage. Même dans la majorité présidentielle, la pilule ne passe pas pour tout le monde. Ainsi, Sacha Houlié, le président de la commission des lois à l’Assemblée nationale et député Renaissance de la Vienne estimait ce week-end sur le plateau du Grand jury RTL, qu’une réduction des droits relevait « plutôt d’une mesure d’économie que d’une mesure de retour à l’emploi ».
Un emploi réellement vacant pour seize chômeurs
Qu’importe pour le gouvernement. Pour faire diversion, celui-ci met régulièrement en avant l’augmentation du nombre d’emplois dits vacants, qu’il compare au taux de chômage. Ainsi, il suggère que les chômeurs ne font pas suffisamment d’efforts et resteraient volontairement au chômage. Mais qu’en est-il vraiment ?
Au quatrième trimestre 2023, ces emplois dits vacants étaient au nombre de 347 500 dans les entreprises de dix salariés ou plus, pour 15,56 millions d’emplois occupés, selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du Travail. Ces emplois « vacants » avaient très fortement augmenté après la pandémie de Covid-19, mais reculent depuis un an, avec près de 50 000 emplois « vacants » en moins par rapport au même trimestre de 2022. Parmi ces presque 350 000 emplois dits vacants, à peine plus de la moitié sont des emplois effectivement inoccupés, en attente de candidats ou candidates. Les autres sont des emplois nouvellement créés (26 % des emplois dits vacants) – qui n’ont pas encore trouvé preneurs – ou des emplois encore occupés sur le point de se libérer (21 %). Ce qui réduit quelque peu le volume d’emplois réellement disponibles.
Les emplois vacants sont ainsi bien moins nombreux que les demandeurs d’emploi : 5,1 millions de personnes étaient, fin 2023, inscrites à Pôle emploi, devenu France Travail, et tenues de chercher un travail (catégories A, B et C) en France métropolitaine. Parmi elles, 2,8 millions n’avaient pas du tout travaillé (catégorie A) et 2,3 millions avaient exercé une activité réduite. Il y a donc huit fois plus de chômeurs en catégorie A que d’emplois dits vacants. Et si on ne retient que les emplois réellement disponibles, on compte un poste pour seize chômeurs et chômeuses.
Les vrais freins à l’emploi : accès au logement et bas salaires
Il est donc mathématiquement évident que le comblement des emplois vacants ne résoudra pas la question du chômage. Le gouvernement a-t-il cependant raison de rendre les demandeurs d’emploi responsable de leur grand nombre ? La réponse est clairement non, s’il s’agit de pointer une absence de volonté de travailler des chômeurs, comme le laisse imaginer le gouvernement de façon démagogique.
« Les difficultés de recrutement viennent d’abord d’un déficit de compétences liées aux besoins des entreprises, mais aussi des conditions de travail proposées. Ce sont les sujets des bas salaires, des horaires décalés, des contrats courts, de l’accès difficile au transport et au logement qui sont à l’origine des difficultés de recrutement », analysait la CFDT au moment de l’annonce, en novembre 2022, de la réforme visant la durée d’indemnisation, qui déjà utilisait l’argument d’emplois vacants trop nombreux. Cette analyse des causes des difficultés de recrutement est corroborée par une étude du service statistique du ministère du Travail(Dares).
La tension sur le marché du travail a alors pour cause tout autre chose qu’une trop grande passivité des demandeurs d’emploi. Première cause dans plusieurs secteurs d’activité : l’intensité des embauches et un déficit de main-d’œuvre disponible. Le tout assorti d’enjeux de formation, notamment chez les ouvriers qualifiés et techniciens de l’industrie, les métiers du soin ou encore ceux des télécommunications et de l’informatique. À cela s’ajoutent des freins géographiques d’adéquation entre les aires d’emploi et la répartition territoriale de la main-d’œuvre. Avec comme conséquence des enjeux de logement ou de transport qui limitent la reprise d’emploi. Par exemple, une potentielle candidate aide-soignante ou assistante maternelle pour un poste à Paris ou en petite couronne aura de grandes difficultés à trouver un logement pas trop éloigné de son lieu de travail et financièrement accessible.
En plus de tous ces freins, celui de la qualité des emplois proposés n’est pas négligeable. « Inversement, pour les serveurs de cafés et restaurants, l’exigence d’une formation spécifique est moindre et davantage de demandeurs d’emploi sont disponibles. Toutefois, les conditions de travail et la non-durabilité de l’emploi y sont moins favorables », note la Dares. Le secteur de la restauration cumule souvent contrats courts, temps partiel, horaires fractionnés et rémunérations basses. « Être payé au Smic dans les stations balnéaires, alors que cela coûte un Smic de se loger, évidemment des gens n’y vont pas ! » rappelle comme une évidence Denis Gravouil, le négociateur CGT pour le dossier de l’assurance chômage.
Avec l’hypothèse exprimée par Gabriel Attal de réduire à douze mois la durée d’indemnisation, l’exécutif poussera les chômeurs à accepter n’importe quel travail, aussi dégradé soit-il. Mais c’est peut-être l’objectif, en plus de celui de faire des économies budgétaires. Et celles et ceux qui, nombreux, ne décrocheront pas d’emplois dits vacants risquent de sombrer dans la pauvreté.
Stéphane Ortega / Rapports de force
Photo : Xose Bouzas / Hans Lucas