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Imaginez. Vous vous promenez à Copenhague (en tant que touriste, militant écologiste, journaliste, ou accompagnateur d’un négociateur ou d’une diplomate, qu’importe). Le vent froid et humide, chargé du sel de la mer Baltique, qui souffle sur les quais interrompt votre contemplation de la célèbre sirène et vous pousse à vous réfugier dans un sombre pub. Les effluves d’aquavit et de bières scandinaves, à peine troublées par un léger fumet de hareng échappé de la cuisine, vous guident instantanément vers le comptoir. Un groupe est attablé à proximité, costumes cravates et tailleurs, smartphones en pagaille posés sur la table. La lumière des flux ininterrompus de SMS se réfléchit sans discontinuer sur leurs visages. Ils semblent conspirer. Vous tendez l’oreille… Mais ne saisissez que des bribes d’un étonnant et mystérieux langage aux termes plus repoussants que le viking ancien :
– « L’AOSIS et le G77 me les brisent. Leur critique envers ceux de l’Annexe 1 a fait chuter mes cours ETS. Je vais devoir me ruiner et investir dans de nouveaux MDP pour choper des CER », entendez-vous de celui qui semble le plus émêché.
– « Encore un coup de ces catastrophistes du GIEC. Ils n’arrêtent pas de leur monter le bourrichon sur les GES et voient les PPM se multiplier partout. Moi, ma boîte a explosé son PNAQ. Déjà que ces charognes des ONG ne nous lâchent pas avec REACH. Marre de ces mous de la COP 15 ! »
– « Calmos papa. Le G20 vient à notre secours avec son idée de REDD+. Cela va nous permettre d’engranger des UREC aux dépens des autochtones en pagnes avec leur foutu FSC. L’Annexe B pourrait les suivre sur le sujet. »
– « Vivement que cette satanée UNFCCC se termine que je puisse lancer mon CF et aller tranquillement jouer au casino sur les MPEN ».
– « Ne laisse pas tomber comme ça l’or noir, le GSCT œuvre en coulisse, il est en train de pourrir les réunions de l’AWG-LCA. Et 50 euros le baril de pétrole contre 14 euros la tonne de carbone, y a pas photo ! »
– « Gaffe ! Un chevelu de la CSI et une emmerdeuse d’ATTAC viennent de s’attabler au comptoir. Allons émettre du NO2 plus loin ».
Une traduction s’impose. Ces mystérieux termes ont envahi les discours, rapports, articles et communiqués de presse dès qu’il s’agit d’évoquer le réchauffement climatique et les moyens mis en œuvre pour le freiner. Comme s’il fallait tout enrober d’une novlangue incompréhensible pour le commun des mortels. Heureusement, Basta! vous propose une traduction.
AOSIS :
Facile à retenir, puisqu’il s’agit d’un anagramme d’oasis. Des oasis qui sont menacés par la montée du niveau des mers, liée à la fonte des glaciers du Groenland ou de l’Antarctique, et à la dilatation des océans en cours de réchauffement. L’AOSIS (Alliance Of Small Island States) regroupe 39 îles pays, de Cuba à Vanuatu, des Maldives à Haïti, des Bahamas aux Îles Salomon. Il sont donc en première ligne face aux conséquences possibles du réchauffement, y compris la multiplication d’évènements météorologiques extrêmes (tempêtes, ouragans…), et font pression pour des engagements forts et contraignants pour réduire les émissions de CO2.
G77
Le « groupe des 77 » réunit 77 États au sein de l’Onu depuis 1964. Il s’agissait alors des pays du « tiers-monde » dominés par le nord capitaliste ou soviétique : anciennes colonies et pays dits « en développement ». Aujourd’hui, le G77 illustre des réalités très disparates entre le Niger, l’un des pays les plus pauvres du monde, et le Brésil, nouvelle puissance latino-américaine, entre la Corée du Nord et le Koweït. Certains membres du G77 sont également membres de l’AOSIS, ou du G20, tels l’Argentine, l’Afrique du sud, l’Arabie Saoudite, le Brésil, l’Inde et l’Indonésie. Ils souhaitent que les pays du Nord, qui émettent le plus de CO2 par habitant, fassent les plus gros efforts pour ne pas trop entraver leur propre développement économique.
Annexe 1
Ce sont les pays cités dans l’annexe I de la « Convention cadre sur le changement climatique » de l’Onu, et soumis à des obligations de réduction de leurs émissions de CO2. Cela comprend les pays « riches » occidentaux [2]. Et les pays « en transition vers une économie de marché », à l’Est de l’ancien rideau de fer [3]. Ces pays cherchent à ne pas trop menacer leur « compétitivité » économique en acceptant des mesures trop contraignantes, tout en limitant celle de leurs nouveaux concurrents, en particulier la Chine. Plusieurs ONG (voir ci-dessous) souhaitent que les pays riches reconnaissent leur « dette écologique » et engagent des efforts supplémentaires pour réduire leur pollution tout en aidant les pays pauvres.
ETS
« Emissions Trading System » ou Marché européen des droits d’émission de carbone. Un marché du carbone mis en place en Europe en 2005 où 11 000 entreprises concernées achètent et vendent des « droits à polluer » ou « droits d’émissions ». Chaque entreprise ne doit pas dépasser un plafond d’émissions de CO2 fixé nationalement. Celle qui reste en dessous de son plafond peut vendre son surplus à une entreprise qui l’a dépassé. Deux bourses européennes concentrent les principaux échanges : l’European Climate Exchange, basée à Londres (70% des parts de marché), et BlueNext basée à Paris (20%). La « tonne équivalent carbone » s’échange en ce moment aux alentours de 14 euros. Les entreprises qui ne peuvent rembourser leur dépassement de quota paient une amende de 100 euros/tonne. Mais les quotas fixés (voir PNAQ) sont largement au-dessus de la réalité, laissant aux entreprises une grande marge de manœuvre, et permettant des enrichissements qui ne reposent sur… rien, tel Lakshmi Mittal, propriétaire d’ArcelorMittal.
MDP
Le « mécanisme de développement propre » concerne les pays et entreprises de l’Annexe I, qui ont ratifié le protocole de Kyoto. Il leur permet d’investir dans des projets écologiquement « propres » - en théorie - dans les pays du Sud (centrale photovoltaïque, champs éolien, reforestation, recyclage des déchets, transports en commun...) en échange de « CER » (voir ci-dessous). Ce mécanisme est censé favoriser les investissements du Nord vers le Sud et le transfert de technologies moins polluantes. L’Afrique est pour l’instant le grand laissé pour compte de ces projets – 3 % d’entre eux en 2008 – contre 66% à l’Asie et 30% à l’Amérique latine. Polémique, soulevé par un de nos articles : l’énergie nucléaire et certains OGM pourraient être inclus dans les projets « MDP ». Construire une centrale nucléaire en Iran, au hasard, pourrait permettre de revendre en Europe ses droits à polluer.
CER (ou UREC)
Pour « Certified Emission Reduction » ou « Unités de réduction d’émissions certifiées » (UREC), appelés également « droits à polluer ». En soutenant financièrement des projets entrant dans le « mécanisme de développement propre », un État ou une entreprise du Nord obtient des « UREC ». Exemple : une entreprise du BTP construit une cimenterie au Maroc et érige un champs d’éoliennes pour l’alimenter en électricité. On va estimer que cette énergie renouvelable fait économiser tant de tonnes équivalent CO2. L’entreprise en question pourra soit augmenter son plafond d’émissions d’autant, soit vendre ses « UREC » sur un marché carbone. Idem si c’est un État. Exemple : l’Allemagne installe d’immenses panneaux photovoltaïques dans le Sud algérien. Les UREC obtenus lui permettent d’augmenter d’autant son plafond national d’émissions (voir PNAQ). Reste à savoir comment et par qui ces « économies » d’émissions de CO2 sont calculées.
GIEC
Le Groupe d’experts environnemental sur l’évolution du climat (IPCC en Anglais) a été créé en 1988 et dépend de l’Onu. Il fait régulièrement le point sur l’état des recherches scientifiques en cours sur le changement climatique. Plusieurs milliers de scientifiques du monde entier - climatologues, météorologues, océanographes ou glaciologues - alimentent, par leurs travaux, les rapports du GIEC. Ceux-ci sont cependant régulièrement critiqués par une poignée de scientifiques qui contestent la réalité du réchauffement (ou sa cause industrielle).
GES
Les « gaz à effet de serre ». Ils comprennent des gaz « naturels » (présents avant l’apparition de l’homme) qui peuvent également être émis par les activités humaines : le H2O (vapeur d’eau), le CO2 (gaz carbonique) ou le CH4 (méthane), qui n’est autre que le « gaz naturel » utilisé pour se chauffer ou cuisiner. Ces gaz perdurent dans l’atmosphère entre 12 ans (méthane) et 120 ans (C02). Les GES sont aussi des gaz artificiels, émis en particulier par l’industrie chimique et pétrolière, dérivés des hydrocarbures, fluor ou chlore. Ils peuvent rester présents dans l’atmosphère pendant… 50 000 ans ! L’hexafluorure de soufre est, par exemple, utilisé dans la sidérurgie ou pour fabriquer des semi-conducteurs. Son « potentiel de réchauffement global » est 20 000 fois supérieur au CO2.
PPM
Une « partie pour million ». C’est l’indicateur utilisé pour mesurer la concentration de gaz à effet de serre, dont le CO2, dans l’atmosphère. Cette concentration de CO2 était de 290 ppm en 1870. Elle est aujourd’hui à 385. Son niveau détermine en partie la température à la surface de la terre. Le niveau maximal de concentration de CO2 au cours des 420 000 dernières années - mesurée grâce à l’air prisonnier des glaces en Antarctique – n’a jamais dépassé les 300 ppm. Un niveau bas (moins de 200 ppm) correspond à chaque fois à une ère glaciaire. D’où la conclusion que la forte augmentation de CO2 enregistrée depuis un siècle est principalement liée à l’activité industrielle et non à un cycle naturel. Au siècle prochain, les projections les plus pessimistes tablent pour 700 ppm en 2100, le double d’aujourd’hui. Soit une augmentation des températures comprises entre 1,9°C et 11,8°C ! (voir à ce sujet les cartes de Philippe Rekacewicz du Monde Diplomatique)
PNAQ
Le Plan national d’affectation des quotas d’émissions de CO2 est en vigueur au sein de l’Union européenne depuis 2005, comme le marché carbone. Chaque pays soumet son quota d’émission de CO2 à la Commission européenne, qui doit le valider. Ce quota est ensuite réparti entre chaque secteur économique puis entre chaque entreprise en fonction des émissions qu’elles ont produites par le passé. En France, par exemple, EDF a un quota fixé aux alentours de 20 millions de tonnes de CO2, qu’elle est censée ne pas dépasser, sauf si elle achète des droits d’émissions sur les marchés carbone (voir aussi notre article). Ces PNAQ seront-ils demains plus contraignants pour les États, et donc les entreprises ? Seront-ils étendus à d’autres pays, qui s’en étaient jusqu’alors exonérés, comme les États-Unis, ou désormais fortement émetteurs de CO2, comme la Chine ? C’est l’un des enjeux cruciaux d’un éventuel accord qui sortirait du sommet.
ONG
Organisations non gouvernementales, regroupées dans différentes coalitions se mobilisant pendant le sommet, comme « Ultimatum climatique », « Climate Justice Now » ou « Urgence climatique – Justice sociale ».
REACH
C’est la réglementation européenne appliquée aux produits chimiques : « Enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques ». Entrée en vigueur en 2007, elle oblige les entreprises de l’industrie chimique à fournir des données sur les nouvelles molécules et substances qu’elles produisent. En fonction de leur risque cancérigène ou toxique, ces substances seront ensuite classées par dangerosité, voire interdites. L’industrie chimique s’est acharnée, avec succès, à réduire la portée de cette réglementation.
COP 15
À ne pas confondre avec les plaques d’immatriculations des habitants de Copenhague. COP, c’est pour « Conference Of Parties » (Conférence des parties) ou – en plus compliqué – « Conférence des parties de la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques » (UNFCCC)… Ouf ! Et pourquoi 15 ? Tout simplement parce que Copenhague accueille la 15e conférence. La COP 14 avait eu lieu à Poznan en Pologne, en décembre 2008, et la COP 16 aura lieu à Mexico l’année prochaine. Le protocole de Kyoto a été élaboré lors de la COP 3 en 1997… Et ainsi de suite. La COP 15 est plus importante que les précédentes puisqu’un nouvel accord international doit y être conclu, s’il n’est pas saboté par certains États, pétroliers notamment, comme l’Arabie Saoudite, à la fois présente dans le G77 et le G20.
REDD+
Là, ça se complique. Ce sont les initiales de « reducing emissions from deforestation and forest degradation in developing countries », ou réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement. La déforestation est responsable de 20% des émissions de gaz à effet de serre, d’où l’importance de la freiner. Les « REDD » sont des mécanismes similaires au « MDP » (voir plus haut) et spécifique à la préservation des forêts. Une entreprise investissant dans la gestion durable de forêt sera créditée de droits à polluer qu’elle pourra utiliser ou revendre. Ce mécanisme est contesté par plusieurs ONG qui lui reprochent d’inclure les plantations nouvelles et de privatiser de fait les forêts. Exemple : je rase 1 000 hectares de forêt primaire en Indonésie, je plante à la place des palmiers à huile OGM pour produire des agrocarburants, et je bénéficie en plus de « droits à polluer » car je plante et entretient une forêt. Mais adieu la biodiversité et les communautés rurales expropriées grâce à un petit dessous de table à l’administration locale. Merci REDD+ ! Des « REDD++ » et « +++ » sont également prévus, intégrant encore d’autres possibilité que nous vous détaillerons ultérieurement.
UREC
Voir CER
Annexe B
L’Annexe B du Protocole de Kyoto énonce les engagements chiffrés des pays de l’Annexe 1 (vous suivez ?). Mais des « avenants » à l’annexe ont été ajoutés pour inclure de nouveaux États : Croatie, Slovénie (qui n’existaient pas avant), République tchèque et Slovaquie (issus de la Tchécoslovaquie), le Liechtenstein et Monaco.
UNFCC
Voir COP
FSC
C’est un label (« Forest Stewardship Council ») qui sert à certifier le bois issu de forêt géré selon certains principes environnementaux et sociaux, et censés notamment respecter les droits des peuples autochtones.
MPEN
Marché de permis d’émissions négociables (voir ETS).
CF
« Carbon Fund » : des fonds spéculatifs sur le carbone qui servent d’intermédiaires sur les marchés ou pour gérer les « droits à polluer » issus des « mécanismes de développement propre ». Pour comprendre ce qui risque de se passer, relisez la chronologie de la crise des subprimes et des fonds spéculatifs financiers.
GCST
Pour « Global Climate Science Team », un discret lobby financé à coup de millions de dollars par la plus grande compagnie pétrolière du monde, ExxonMobil, et qui vise à discréditer les recherches sur le réchauffement climatique. Pour plus de détail, lire l’article de Paul Moreira ou celui de Novethic.
AWG-LCA
Le lecteur ou la lectrice qui répond correctement à ce que signifie ce sigle, et à quoi cela sert, gagnera un agenda de la solidarité internationale 2010 (édité par nos partenaires de Ritimo). Envoyer un courriel avec la mention « grand jeu Basta Copenhague » à notre adresse.
CSI
Confédération syndicale internationale, qui regroupe des syndicats du monde entier (dont en France la CGT, la CFDT et la CFTC) et qui vient de publier un rapport intitulé « une croissance verte pour l’emploi et la justice sociale ». Voir aussi l’interview d’une permanente de la CSI sur les questions que posent la transition économique en terme de préservation et de création d’emplois.
ATTAC
L’« Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens » est l’une des principales organisations altermondialistes hexagonales. Comme bien d’autres ONG, Attac est présente à Copenhague. L’association a publié un long rapport (un peu ardu pour les non spécialistes) expliquant pourquoi le recours au marché est une fausse solution pour répondre aux enjeux posés par le réchauffement climatique : « Le climat dans la tourmente des marchés ».
NO2
Le dioxyde d’azote est un gaz souvent oublié dans la liste des gaz à effet de serre. Le NO2 est un gaz irritant et toxique, issu des combustions automobiles, en particulier les moteurs diesel, industrielles et thermiques (chauffage au fuel dans les habitations). Dans son Plan de protection de l’atmosphère, la région Île-de-France s’est fixée comme objectif en 2001 de réduire de 32% les émissions de NO2, une pollution qui depuis l’avènement du règne de l’automobile, pèse sur la santé des franciliens. En 2010, le but était de descendre au niveau du seuil de qualité minimal de concentration de NO2 dans l’air francilien, soit 40 microgrammes/m3. En 2006, selon Les Amis de la terre, ce seuil était encore largement dépassé, les concentrations enregistrées étant de l’ordre de 80 microgrammes/m3. Soit près du double. Selon Airparif, les plus grandes concentrations de dioxyde d’azote, liées à l’augmentation de l’ozone, sont relevées sur les boulevards périphériques, les Champs-Elysées et les grands boulevards.
Vous êtes arrivez au bout ? Vous êtes désormais prêt à suivre le sommet et comprendre les subtiles logiques qui se dissimulent derrière ces technocratiques abréviations. Et faire valoir votre avis !
Ivan du Roy