Le coup d’envoi du Mondial 2014 est donné ce 12 juin. Que l’on suive ou non les rencontres, cette coupe du monde aura au moins deux mérites. D’abord celui de mettre en lumière, bien plus que les précédentes, la dérive néolibérale et financière de la Fifa, grande organisatrice de l’événement. Cette dérive ne date pas d’hier comme le racontent Antoine Dumini, François Ruffin et l’équipe du journal Fakir dans le petit livre « Comment ils nous ont volé le football, la mondialisation racontée par le ballon » (6 euros de lecture instructive, à commander ici). Mais elle a pris une ampleur considérable : « Les footballeurs sont ainsi devenus des produits spéculatifs, avec un marché à risques, assez volatile. Avec Pepe, le défenseur du Real Madrid, les fonds ont fait la culbute : +147 % de rendement. Mais le nouvel attaquant de Monaco, le colombien Falcao, s’avère encore plus rentable : +164 % de retour sur investissement. Mieux que facebook sur le Nasdaq ! », écrivent-ils.
Une dérive qui touche la Fifa comme le Comité international olympique, comme nous l’expliquions dans notre enquête « Jeux Olympiques et Coupe du monde : terrains de jeux d’un néolibéralisme de choc ». « Considérés comme des moments festifs et consensuels, ces grands moments de compétition sportive sont devenus synonymes de débauche d’argent public, d’expulsions massives de pauvres urbains, de dégradation des conditions de travail dans le secteur des travaux publics, d’hyper sécurisation des espaces publics et d’inondation publicitaire à grande échelle. »
Le Brésil n’est qu’une étape. Cette logique devrait prendre encore plus d’ampleur avec l’organisation de la Coupe du monde en Russie en 2018 – après l’exemple des JO d’hiver de Sotchi en début d’année, sur fond de vaste corruption locale – puis au Qatar en 2022, toujours sur fond de présomption de corruption et, surtout, de travail quasi esclave (lire à ce sujet notre enquête : Coupe du monde : Bouygues et Vinci s’installent au Qatar, un pays qui recourt massivement au travail forcé). Un scandale qui suscitera probablement de fortes mobilisations internationales.
Le Brésil n’est qu’une étape. Mais une étape décisive qui a vu l’émergence d’une forte contestation sociale dans toutes les grandes mégapoles brésiliennes depuis un an. Et c’est là le second mérite de cette Coupe du monde : mettre en exergue le fossé qui sépare, d’un côté, la financiarisation du monde, et pas seulement du sport, au profit d’une très petite minorité, et la satisfaction indispensable des besoins essentiels des populations en matière de santé, d’éducation, de transports collectifs, d’accès à la culture... Et montrer que les populations, les classes moyennes comme les classes populaires, en prennent conscience et sont capables de se mobiliser. A Rio ou à São Paulo, les centaines de milliers d’habitants des favelas ou des banlieues populaires étaient, au mieux, considérés comme quantité négligeable, au pire vu comme des « bandits », forcément complices des gangs et des narcotrafiquants. La répression policière qu’ils subissent est désormais visible, et suscite l’indignation voire des actions de solidarité de la part d’ autres pans de la société (lire ce récit : Coupe du monde : ces dizaines de Brésiliens tués au nom du foot business). Cela était loin d’être le cas auparavant !
Cette Coupe du monde pourra peut-être également permettre à certains joueurs de prendre eux aussi conscience du rôle qu’ils peuvent jouer en dehors des pelouses, et de suivre l’exemple de quelques illustres prédécesseurs : Quand des stars du foot risquaient leur carrière, voire leur vie, pour la démocratie et la justice. Le mouvement pour plus de justice sociale, contre la corruption et le gaspillage est en tout cas lancé. La Fifa y aura contribué, bien malgré elle !
Ivan du Roy
Dessin : Rodho