« Les journalistes au bûcher, les barbus au bûcher ! ». Le slogan a été entendu par plusieurs journalistes et photographes lors du rassemblement de Beaucaire (Gard) auquel participaient principalement des militants du FN, estimés au nombre d’un millier, et transformé en meeting par Marine Le Pen. Dans d’autres villes, des militants d’extrême droite ont tenté quelques apparitions, le plus souvent en vain. A Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), le 7 janvier au soir, des militants du Parti de la France (PDF, fondé par l’ancien cadre du FN Carl Lang) ont tenté d’exhiber des pancartes islamophobes (« Islam dehors », « Stop Islam ») lors d’un rassemblement à la mémoire des victimes des deux attaques. Ils ont dû être évacués par les forces de l’ordre suite à l’hostilité de la foule (lire l’article du site antifasciste La Horde).
Au même moment à Lyon, environ 200 identitaires se sont rassemblés derrière une banderole « Islamisation : moins d’émotion, plus d’action ». Des slogans réclament même « le retour de Charles Martel » (sic). Le grand-père paternel de Charlemagne combattit, au 8e siècle, l’expansion musulmane de l’Andalousie vers le nord des Pyrénées et le Royaume des Francs, battant leurs armées en Poitou-Charentes… . Le hashtag « #JeSuisCharlieMartel » a d’ailleurs fait son apparition sur twitter, popularisé par Julien Rochedy, élu FN de Montélimar, et accompagné d’appels à se venger des « Français tués à Paris par les muz [les musulmans] et les collabos ».
A Paris, l’extrême droite traditionnelle ne s’est pas montrée lors des différents rassemblements. De son côté, Dieudonné a annoncé avoir participé à l’imposante manifestation de dimanche, célébrant à sa manière l’attaque antisémite et l’assassinat de quatre juifs dans le supermarché casher de Porte de Vincennes : « Sachez que ce soir, en ce qui me concerne, je me sens Charlie Coulibaly » (contraction du slogan « je suis Charlie » et du nom du meurtrier présumé Amédy Coulibaly), a-t-il écrit de manière temporaire sur sa page Facebook… Une enquête pour « apologie de terrorisme » a été ouverte.
Si les apparitions publiques de l’extrême droite sont, pour l’instant, demeurées marginales, plusieurs actes islamophobes et anonymes sont à déplorer depuis le 7 janvier. Une dizaine de mosquées et de salles de prière ont été la cible d’attaques ou de dégradations. Des coups de feu ont été tirés contre des salles de prière à Port-la-Nouvelle (Aude), près d’Albi (Tarn), contre une association cultuelle musulmane à Vendôme (Loir-et-Cher), contre les mosquées de Soissons (Aisne) et du Mans (Sarthe), où s’est rendu le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll. Un incendie s’est déclaré à la mosquée d’Aix-les-Bains (Savoie). Il a d’abord été qualifié d’accidentel par la mairie et la préfecture. Les enquêteurs privilégient désormais la piste criminelle.
D’autres mosquées ont été visées par des graffitis. Des insultes racistes – « Sales arabes », « Dehors les arabes » – se mêlant au slogan « Je suis Charlie », ont été taguées sur des mosquées à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), à Béthune (Pas-de-Calais), à Rennes (Ille-et-Vilaine) ou à Bischwiller, en Alsace. A Poitiers, un homme en état d’ébriété a été interpellé pour avoir tagué « mort aux arabes » sur la mosquée de Poitiers (rapporté par Slate). Des croix gammées ont été inscrites sur le chantier de la mosquée de Liévain (Pas-de-Calais) et sur le portail du siège du conseil régional du culte musulman, à Baleone en Corse. Une institutrice d’Ambérieu (Ain) a dû arracher une pancarte « Vive le FN, à mort les arabe (sic) » plantée sur un rond-point de sa ville. Un restaurant kebab a également été la cible d’une explosion criminelle à Villefranche-sur-Saône (Rhône).
Le Dauphiné Libéré rapporte aussi l’agression d’un lycéen de 17 ans à Bourgoin-Jallieu (Isère) pendant la minute de silence, le 8 janvier. D’origine maghrébine, « il a tout d’abord essuyé des propos racistes avant qu’un groupe de quatre à cinq jeunes ne lui tombent dessus, le plaquant contre une voiture et le rouant de coups de pied et de poing. Une enquête a été ouverte afin d’identifier les agresseurs », décrit le quotidien régional.
Ce regain d’islamophobie dépasse les frontières françaises. En Allemagne, le mouvement xénophobe Pegida ou le parti néonazi NDP récupèrent l’attentat de Charlie Hebdo pour le compte de leur programme raciste. Pegida appelle à manifester ce 12 janvier à Dresde – ils étaient 18 000 le 5 janvier – à la mémoire des morts de l’attaque contre Charlie Hebdo. Cible d’importantes contre-manifestations, le mouvement Pegida a osé déclaré que, dorénavant, manifester contre eux signifierait « cracher sur les tombes des morts de Paris » (lire ici, en allemand)
Injonction aux musulmans
« Peut-être que la plupart des musulmans sont pacifiques, mais jusqu’à ce qu’ils reconnaissent et détruisent leur cancer djihadiste, ils doivent être tenus pour responsables », a écrit le magnat de la presse australo-américain Rupert Murdoch, sur Twitter. « Je suis née chrétienne. Si cela me rend responsable de ce que dit Murdoch, je m’auto-excommunie », lui a rétorqué l’auteure de Harry Potter, l’écrivaine écossaise J.K. Rowling (lire l’article du Monde). Les propos du milliardaires anglo-saxon font échos en France aux quelques éditorialistes et personnalités, en particulier à droite, qui demandent aux musulmans de se désolidariser des attentats, comme s’ils en étaient a priori solidaires… A l’image d’Ivan Rioufol du Figaro qui, quelques heures à peine après l’assaut contre Charlie-Hebdo, lors d’un débat sur RTL, a exigé de la journaliste et militante Rokhaya Diallo qu’elle se désolidarise de l’attentat. « Non mais vous pensez vraiment que je suis solidaire ? Est-ce que vous osez me dire, ici, que je suis solidaire ? Vous avez vraiment besoin que je verbalise ? Donc, moi, je suis la seule autour de la table à devoir dire que je n’ai rien à voir avec ça ? », lui a-t-elle répondu (lire ici).
Faisant référence à la mobilisation du 11 janvier, le directeur du très réactionnaire hebdomadaire Valeurs actuelles s’est lui félicité d’avoir participé à une « marche républicaine contre l’islamisation aux côtés de [ses] amis du Crif et de la communauté juive de France ». Le Conseil représentatif des institutions juives de France a rapidement pris ses distances avec cette interprétation, rétorquant à l’intéressé qu’il s’agissait d’une marche « en hommage aux victimes, pour la République attaquée, contre le djihadisme. Et rien d’autre. » Loin de ces tentatives de récupération et des actes et propos racistes qui ont pu être perpétrés, l’impressionnante mobilisation du 11 janvier montre qu’une large majorité de citoyens ne partage pas l’amalgame souhaité par la droite extrême. Reste à voir comment la situation évoluera.
Dans son rapport 2013, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) notait qu’entre 2012 et 2013, le nombre des actes à caractère raciste, xénophobe et antisémite avait globalement diminué, à l’exception des actes « antimusulmans », en progression. L’institution relevait également que la religion musulmane est celle qui inspire le plus de connotation négative, plus que les religions juive et protestante et bien davantage que la religion catholique. Et de noter : « C’est parmi les hommes (53%), les personnes âgées de 50 ans et plus (56%), les sympathisants de droite (66%), les personnes qui habitent dans les communes où la proportion d’étrangers est la plus faible (56%) que les opinions sont les plus négatives vis-à-vis de la religion musulmane. »
Ivan du Roy
Photos : en une / marche du 11 janvier 2015 (CC Marina Landa) /
Croix gammée sur le chantier d’une mosquée à Liévin (via La Voix du Nord)