Ce n’est malheureusement pas un scénario de série B. Pour la première fois, des animaux génétiquement modifiés vont être commercialisés en milieu ouvert. Le Brésil est sur le point d’autoriser l’usage de moustiques génétiquement modifiés. Le 10 avril, la Commission brésilienne en charge des OGM (CNTBio) a approuvé, à 16 voix contre une, la dissémination dans l’environnement du moustique transgénique Aedes aegypti commercialisé par l’entreprise britannique Oxitec [1]. Le nom de code de cette lignée de moustiques génétiquement modifiés est OX513A. Pour les autorités brésiliennes, l’enjeu est de lutter contre la dengue, une infection virale potentiellement mortelle transmise à l’être humain par la piqûre de moustiques femelles. En 2013, 2,35 millions de cas de dengue, dont plus de 37 000 étaient des cas d’infection sévère, ont été signalés sur le continent américain, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
D’après la société Oxitec, qui a déposé la demande de commercialisation en juillet 2013, ces moustiques transgéniques permettraient de « contrôler » la population des moustiques porteurs de dengue en les rendant stériles. Des essais ont eu lieu dans plusieurs villes du Brésil depuis 2011, notamment à Juazeiro dans l’État de Bahia (nord-est du pays). 17 millions de moustiques mâles y ont été relâchés en deux ans, selon un reportage vidéo de France 24. C’est dans cette même ville qu’a été inaugurée à l’été 2012 l’usine Moscamed, co-gérée par le ministère de l’Agriculture brésilien, qui multiplie les œufs de moustique conçus par Oxitec. Du ministère de la Santé aux sociétés Oxitec et Moscamed, les propos sont unanimes : les lâchers de moustiques mâles génétiquement modifiés réduisent drastiquement – de 79% à 90% – la population de moustiques sauvages au bout de six mois.
Aucune étude indépendante
La technique utilisée par Moscamed consiste à insérer un gène perturbateur dans des œufs de moustiques qui les rend dépendants à un antibiotique, la tétracycline. Ce médicament est indispensable pour leur croissance, explique Oxitec. L’usine Moscamed se charge de détruire les œufs femelles et assure ne relâcher que les mâles qui ne peuvent pas piquer, donc transmettre la dengue. Ces moustiques mâles génétiquement modifiés sont censés s’accoupler dans la nature avec des femelles « sauvages » et engendrer des descendants non viables, contribuant ainsi à leur extinction progressive. « Ces moustiques, lâchés dans la nature en quantité deux fois supérieure à celle des moustiques non transgéniques, attireront les femelles pour copuler mais leur progéniture n’atteindra pas l’âge adulte, ce qui devrait réduire la population de l’Aedes aegypti », avance le ministère de la Santé brésilien.
Or, aucune étude indépendante n’a validé les données avancées par Oxitec. Pour de nombreuses organisations écologistes, « le dossier est lacunaire. Aucun plan de suivi post-commercial n’est fourni par l’entreprise, et les soi-disant "résultats probants" des essais en champs (commencés en février 2011) n’ont pas été publiés », rappelle l’association Inf’OGM. Les essais réalisés avec ce même moustique génétiquement modifié, dans les îles Caïmans, ont également montré que la technologie n’était pas si efficace, et qu’il faudrait plus de sept millions de moustiques génétiquement modifiés stériles, par semaine, pour avoir une chance de supprimer une population sauvage de seulement 20 000 moustiques [2].
Reproduction incontrôlée d’insectes OGM ?
N’y a t-il par ailleurs aucune chance que ces OGM, présentés comme « stériles », se reproduisent ? Selon un document confidentiel rendu public par l’ONG anglaise GeneWatch – qu’elle a pu obtenir grâce aux lois britanniques sur la liberté d’information –, les moustiques génétiquement modifiés par Oxitec ne sont pas aussi stériles que prévu. La tétracycline, le fameux antibiotique dont dépendent ces insectes, est très largement présente dans les eaux usées et dans la viande issue d’élevage industriel. « Or, les moustiques qui transmettent la dengue se reproduisent dans des environnements largement pollués par les eaux usées, souligne Christophe Noisette, d’Inf’OGM. En présence de cet antibiotique, leurs progénitures ont un taux de survie de 15 % environ et leur descendance sont capables d’atteindre l’âge adulte ».
L’étude citée par GeneWatch mentionne aussi que les moustiques GM peuvent survivre, même sans la présence de tétracycline, à hauteur de 3 %, ce qui rend impossible le contrôle de millions de moustiques lâchés dans la nature. « C’est un défaut fondamental de la technologie d’Oxitec qui devrait donc arrêter ses expériences », réagit Helen Wallace, directrice de GeneWatch. Aux côtés d’autres organisations [3], GeneWatch exprime également sa crainte que le nombre de « moustiques-Tigre » (Aedes albopictus), originaires d’Asie et également vecteurs de la dengue, n’augmente. Cette espèce extrêmement invasive pourrait en effet occuper la niche écologique laissée par l’élimination des moutisques Aedes aegypti. C’est sur la base de cette absence d’étude d’impacts indépendante qu’une pétition a été lancée en Floride où la firme Oxitec avait prévu des essais à ciel ouvert. La pétition a recueilli près de 130 000 signatures et l’expérience dans cet Etat américain a été repoussée jusqu’à nouvel ordre.
Du coté d’Oxitec, on assure que cette technique serait « réversible ». « Les moustiques sauvages reviennent lorsque l’on arrête de traiter la zone ». Et c’est là une des clés financières pour Oxitec. Car les moustiques OGM fonctionnent comme des insecticides : pour qu’ils soient efficaces, il faut inonder les zones à traiter en permanence, ce qui implique une production continue de millions de moustiques transgéniques. En bout de course, des millions d’euros pour Oxitec qui a le monopole de cette « technologie ». Et qui a d’ores et déjà breveté l’idée dans la plupart des pays touchés par la dengue. Or, la moitié de la population mondiale environ est exposée au risque d’après l’OMS. Il ne reste plus à Oxitec qu’à attendre la confirmation de l’autorisation par l’Etat brésilien avant de commencer à percevoir ses royalties.
Le moustique OX513A deviendra alors le premier animal OGM librement commercialisé. D’autres animaux génétiquement modifiés ont déjà été autorisés, comme des poissons transgéniques fluo, nommés Glofish et Night Pear, destinés à un usage décoratif en aquarium. Mais ils sont censés demeurer en milieu confiné.
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