Dans une quasi indifférence médiatique, le monde agricole vient d’élire ses représentants dans les chambres d’agriculture, « sorte de mini-gouvernement de l’agriculture à l’échelle locale » [1]. Ce scrutin, qui a lieu tous les 6 ans, permet d’observer les rapports de force à l’œuvre entre différentes visions du modèle agricole, dans un contexte où le mal-être social des paysans est de plus en plus pesant. Pour les défenseurs d’une agriculture à taille humaine, moins polluante, privilégiant les filières courtes, la déception est de taille face aux partisans d’une agriculture productiviste, dépendante des intrants chimiques et des hydrocarbures, qui demeurent largement majoritaires.
Ainsi la FNSEA, alliée aux syndicat des Jeunes agriculteurs (JA), et grande défenseure des pesticides, poursuit sa domination avec près de 56 % des voix (contre 55,57 % en 2013). Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, a déclaré à la sortie de sa rencontre avec Emmanuel Macron, le 11 février, qu’elle attendait désormais du gouvernement « plus de reconnaissance du syndicalisme majoritaire ».
La Coordination rurale arrive en deuxième position, avec environ 21,5 % des voix, comme en 2013. Ce syndicat, dont la composition est très hétérogène – avec, localement, des représentants parfois proches des droites extrêmes – défend un certain protectionnisme doublé d’une dénonciation des trop grandes normes et contraintes qui pèseraient sur les exploitations. La Coordination rurale gagne trois départements : Vienne, Haute-Vienne et Lot-et-Garonne.
Courte victoire de la Confédération paysanne en Loire-Atlantique
Dans ce dernier, elle obtient près de 60 % des votes ce qui la renforce dans son combat en faveur du barrage de Caussade, une retenue d’eau artificielle controversée. Sa construction est quasi achevée alors que le tribunal a tranché pour l’arrêt du chantier. Plusieurs associations environnementales dont France Nature Environnement ont lancé l’alerte face à ce non respect de l’État de droit. Le 23 janvier, à l’appel de la Coordination rurale, environ 300 agriculteurs ont empêché les gendarmes d’exécuter les ordres de la préfecture, qui a annoncé vouloir mettre les engins du chantier sous scellés. « Nous sommes les gilets pare-balle des agriculteurs » affirme le futur président de la Chambre, promettant « d’autres retenues, d’autres lacs dans le département car il y a besoin d’eau »... Quelles qu’en soient les conséquences environnementales (notre enquête).
La Confédération paysanne, syndicat davantage sensible aux conséquences environnementales des pratiques agricoles que la FNSEA, et favorable aux filières courtes et biologiques, devrait dépasser la barre symbolique des 20 %, en très légère progression comparé à 2013. Elle conquiert deux chambres, l’une à Mayotte et l’autre en Loire-Atlantique, où se joue en ce moment l’attribution des terres de Notre-Dame-des-Landes. Dominique Deniaud, le futur président de la Chambre en Loire-Atlantique, confiait, quelques semaines avant le scrutin, que sa liste avait à cœur de défendre « le partage du foncier » [2].
La Confédération paysanne accompagne depuis plusieurs mois les porteurs de projets voulant s’installer sur la Zad, et se heurtent à des tensions « entre les paysans en devenir et des agriculteurs qui désirent exploiter des parcelles pour lesquelles ils ont touché des primes d’éviction ». En avril prochain, l’État va rétrocéder 895 hectares au département, terres ayant été initialement cédées pour construire l’aéroport. Cette victoire à la chambre pourrait changer la donne dans les discussions en cours avec l’État sur l’avenir agricole de cette zone. La « conf’ » réalise également de bons scores dans les zones d’agriculture de montagne (plus de 30 % en Ariège, en Ardèche, dans les Alpes de Haute-Provence ou dans l’Ain) au contraire des plaines céréalières franciliennes ou picardes où ses scores sont les plus bas (moins de 10 %).
Une abstention en forte hausse
Autre fait majeur de ces élections : une abstention croissante. La participation s’élève à seulement 45 %, soit une baisse de près de dix points par rapport à 2013. Or, chaque voix compte, comme le montre l’élection en Loire-Atlantique, où le vote s’est joué à deux voix près sur plus de 7000 votants. Selon le mode de scrutin en vigueur, la liste qui arrive en tête dans chaque département gagne la moitié des sièges – l’autre moitié se répartit à la proportionnelle entre les différents syndicats. Dans le cas de la Loire-Atlantique, ces deux voix font la différence : la Confédération paysanne rafle 13 sièges, contre 3 à la liste FNSEA-JA et 2 à la Coordination rurale.
Les pourcentages n’ont par ailleurs rien d’anecdotique. Passer la barre des 10 %, permet d’être représenté au sein d’instances essentielles : la commission départementale d’orientation de l’agriculture (CDOA), qui valide les projets d’installation et d’agrandissement, le comité technique Safer (société d’aménagement foncier et d’établissement rural) pour la vente des terres agricoles, le tribunal des baux ruraux, qui tranche en cas de problèmes de fermage [3].
Le résultat de ces élections fixe également la répartition des financements publics – 11 millions d’euros au total par an – pour chacun des syndicats, pour les six années à venir. D’après Le Monde, la FNSEA-JA perçoit 6,129 millions d’euros, la Coordination rurale 2,495 millions d’euros et la Confédération paysanne, 2,3 millions. Au regard des résultats des élections 2019, la répartition et le montant des financements devraient peu bouger. Le lobbying de la FNSEA en faveur des pesticides et du glyphosate notamment, continuera donc dans les six années à venir d’être massivement financé par les contribuables.
– Voir les résultats des chambres, département par département.