Dimanche 9 mai, des dizaines de milliers de personnes ont défilé en France pour demander une loi climat à la hauteur des enjeux. Un exemple parmi beaucoup d’autres des manques de cette loi climat, adoptée le 4 mai à l’Assemblée nationale et désormais en discussion au Sénat : elle n’évoque presque pas les énergies renouvelables. Elle prévoit simplement une obligation d’installation de panneaux solaires sur « tout nouvel entrepôt, supermarché et ombrière de stationnement », mais seulement sur moins d’un tiers de leur surface. Et cette obligation peut être remplacée par des toitures végétalisées.
Pourtant, la France s’est fixé comme objectif d’atteindre plus de 30 % d’énergies renouvelables dans sa consommation totale d’énergie d’ici 2030. Nous en sommes encore loin : les énergies renouvelables représentaient 17 % de la consommation finale d’énergie en 2019 [1]. Pour la seule électricité, un quart de la consommation métropolitaine a été couverte par des énergies renouvelables au cours de l’année 2020, dont 13 % par l’hydroélectrique, près de 9 % par l’éolien, un peu moins de 3 % par le photovoltaïque [2].
L’électricité éolienne et photovoltaïque peut provenir de parcs coopératifs, comme celui de Béganne en Bretagne (voir notre article), ou d’installations communales, comme le parc de Montdidier en Picardie, monté et géré par la régie énergétique municipale. Il existe aussi de plus en plus de grands parcs éoliens et solaires aux mains de gros fonds d’investissements. « Le secteur n’échappe pas au capitalisme », résume un chargé de projet qui travaille dans le développement éolien depuis les tout débuts de la filière en France. Lui fait partie des pionniers, de ceux qui se sont engagés dans le secteur pour porter la transition énergétique dans la perspective de sortir à la fois des énergies fossiles et du nucléaire. Mais depuis une dizaine d’années, les énergies renouvelables attirent bien au-delà des écologistes convaincus. Est-ce le signe que de plus en plus d’acteurs financiers cherchent à se désengager du soutien aux énergies fossiles, très polluantes ?
Le parc éolien Nozay, en Loire-Atlantique, appartient à un fonds d’investissements allemand, KGAL. En France, KGAL possède 11 parcs éoliens et 14 parcs photovoltaïques, nous indique son service de communication. En tout, le fonds d’investissements a acquis à travers l’Europe 115 installations d’énergie renouvelables, dont 81 parcs photovoltaïques, 59 parcs éoliens, quatre centrales hydroélectriques. À côté du secteur des énergies « vertes », KGAL investit aussi dans l’immobilier et le leasing (location avec option-d’achat) d’avions. Ses clients sont des investisseurs privés ou institutionnels (caisses de retraites, assureurs, fonds de dotation…). SUSI Partners, un fonds suisse, possède de son côté des parts dans trois parcs éoliens français (pour l’équivalent de 40 mégawatts de puissance installée) et dans cinq projets solaires. La compagnie d’investissement britannique Trig détient intégralement neuf parcs éoliens et un parc photovoltaïque en France, et dispose de parts dans 21 autres parcs (16 solaires, cinq éoliens) [3]. Un autre fonds britannique, John Laing, avait acquis trois parcs éoliens français, en plus de ses investissements dans des prisons privées australiennes et des projets routiers et ferroviaires dans les Amériques. L’an dernier, il les a revendus à un autre fonds, irlandais cette fois, Greencoat Renewables.
Un investissement rentable, de long terme, avec une image « verte »
« Il y a des montages où des fonds d’investissements vont arriver très tôt dans les projets, pour le financer entre six mois et trois ans, dans le but d’en sécuriser le budget. Il y a aussi des fonds qui vont tout simplement racheter des parts dans des projets déjà en fonctionnement », explique Jérôme Morville, responsable des questions économiques au Syndicat des énergies renouvelables. Le paysage des parcs éoliens et photovoltaïques réunit des acteurs très divers. Il y a les constructeurs d’éoliennes, les entreprises qui développent les projets, puis celles qui exploitent et font la maintenance des parcs, et enfin les propriétaires des installations. Une entreprise qui développe des parcs peut très bien aussi les posséder, et en assurer en plus l’exploitation. Mais elle peut aussi les revendre, par exemple à un fonds. Ce même fonds paiera ensuite lui-même une société pour exploiter le parc pour son compte.
En 2018, il y avait en France une soixante de développeurs éoliens en activité, susceptibles de prendre en main les projets depuis le démarrage des études préalables jusqu’à la maîtrise d’œuvre complète. On comptait aussi une cinquantaine d’opérateurs, qui assurent la maintenance et l’exploitation des sites, et autant de propriétaires, qui sont les actionnaires finaux de la société locale d’exploitation du parc [4]. « De manière générale, les projets, qu’ils soient solaires ou éoliens, se font avec environ 20 % de fonds propres et 80 % du budget en prêts. Donc, on a déjà à la base différents acteurs financiers, précise Jérôme Morville. Pour les investisseurs qui rachètent des parcs déjà en fonction, l’intérêt pour eux est que le projet représente un actif qui a un taux de rentabilité certain. Car si le projet a gagné un appel d’offre, il a un revenu sécurisé sur de nombreuses années. » Les tarifs d’achat de l’électricité issue des installations d’énergies renouvelables nées des appels d’offres sont garantis sur 15 ou 20 ans. Ajoutez à cela une image d’investissement « vert » et les grands parcs éoliens et solaires ont toutes les raisons d’avoir les faveurs de fonds d’investissement qui cherchent avant tout des rendements sûrs.
Parfois, ces fonds peuvent même racheter directement les groupes qui développent des parcs. C’est ce qui est arrivé à VSB, l’une des premières entreprises du secteur, fondée en Allemagne en 1996 et implantée en France depuis 2001. L’an dernier, le gestionnaire de fortune suisse Partners Group (qui n’a rien à voir avec SUSI Partners) a racheté 80 % du capital. « Si les fonds d’investissement s’intéressent aux énergies renouvelables, cela veut dire que le secteur est mature. C’est aussi le signal que de plus en plus d’investisseurs se retirent des énergies fossiles et mettent leur argent dans la transition énergétique, car c’est bien là qu’il y a de l’avenir. De ce point de vue, c’est une bonne chose, analyse Jean-Yves Grandidier, lui-même fondateur en 1994 d’une des entreprises française pionnières des énergies renouvelables, Valorem. Après, le problème est quand des fonds prennent en main des sociétés industrielles, comme VSB. Ensuite, ces sociétés vont être dirigées plutôt par des gens qui ont avant tout des objectifs financiers et pas forcément industriels. »
« Un projet porté par des acteurs du territoire génère plus de retombées économiques localement »
L’entreprise de Jean-Yves Grandidier est restée indépendante, même si les offres de rachat ne manquent pas, assure le porte-parole de Valorem. En 2007, Valorem a tout de même ouvert son capital à un fonds français, Capenergie. Ce fonds monté par le Crédit agricole pour investir dans les énergies renouvelables avait alors pris une part minoritaire de Valorem. « C’était un fonds avec une durée de vie de dix ans, il fallait qu’il ressorte au bout de cette durée avec sa plus-value, alors que nous, nous avons des perspectives de plus long terme. Les fonds, leur objectif c’est d’atteindre une rentabilité maximum. Il faut donc veiller dans ce type de montage à ce que le pouvoir reste à l’industriel. Quand des investisseurs rachètent une partie des actifs des parcs aux côtés des industriels, c’est un bon attelage : un fonds qui cherche une visibilité et un rendement en s’appuyant sur un industriel pour sécuriser son actif financier. Cela permet à l’entreprise industrielle de réinvestir ensuite dans le développement de nouveaux projets. Dans ce cas, tout le monde est dans son rôle, et le fait de vendre des parts permet de financer de nouvelles installations. »
Avec le développement des projets d’éoliens en mer, encore beaucoup plus gourmands en investissements de base que l’éolien terrestre ou les parcs solaires, s’allier à des fonds va devenir de plus en plus incontournable. Au Réseau associatif pour la transition énergétique Cler, on ne voit pas non plus de problème en soit au fait que le secteur attirent les acteurs de la finance. « Tant mieux s’ils investissent dans les énergies renouvelables plutôt quand dans les fossiles. Car les énergies renouvelables ont besoin de financements importants », explique Alexis Monteil-Gutel, responsable de projets au réseau Cler. Mais, ajoute-t-il, la transition énergétique ne pourra pas se faire uniquement en passant par les grands parcs qui intéressent les grands investisseurs : « L’enjeu de la transition, ce n’est pas seulement une réduction de la consommation et une hausse des énergies renouvelables, c’est aussi de penser différemment le développement des territoires. Au Cler, on travaille sur la création de valeur territoriale. Pour nous, la logique de la transition énergétique doit être la relocalisation, créer localement de l’énergie. Un projet porté par des acteurs du territoire génère plus de retombées économiques localement qu’un projet porté par des acteurs extérieurs. »
« Ce qui est dommage c’est que les renouvelables sont aux mains du secteur privé, qui cherche à faire de l’argent, alors que cela devrait être public, regrette aussi le chargé de projet éolien qui souhaite rester anonyme. Malheureusement, il n’y a pas de décision au niveau politique qui remette en cause cela. » « Loi climat : échec du quinquennat », disait aussi dimanche la banderole de tête de la marche parisienne pour le climat.
Rachel Knaebel
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