« En installant une éolienne à votre domicile, vous pourrez réduire sensiblement votre facture d’électricité » : C’est ainsi qu’Optim’eo, entreprise spécialisée dans les « solutions d’amélioration de la performance énergétique », résume les avantages de ses petits moulins à vent domestiques. Patrice Filly, qui habite à une trentaine de kilomètres de Rennes, a été démarché par l’entreprise au cours de l’été 2011. Il se laisse tenter par les très alléchantes propositions du commercial, qui a même griffonné sur un coin de papier que son client pouvait envisager une économie de 700 euros par an sur sa facture d’électricité ! Las, trois mois après l’installation, les factures n’ont pas bougé. Et le fort sympathique commercial n’est plus joignable.
Patrice Filly rejoint ainsi la triste cohorte des arnaqués du petit éolien, de plus en plus nombreux. « Depuis que le crédit d’impôt pour le photovoltaïque a diminué, les entreprises spéculatrices se sont rabattues sur le petit éolien », remarque un conseiller d’un espace Info énergie, mis en place par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et les collectivités locales pour sensibiliser et informer le grand public. « Ils prennent les gens par les bons sentiments : qui peut être contre les énergies renouvelables ? Et puis une petite éolienne, c’est sympathique, c’est pittoresque », poursuit Franck Turlan, du Site expérimental pour le petit éolien national (Sepen). À ce capital sympathie, s’ajoute une véritable méconnaissance. « Tout le monde sait ce que sa voiture consomme, et combien cela coûte, en gros, avance Frédéric Boutet, artisan électricien. Mais en matière de production et de consommation d’électricité, les gens n’y connaissent rien. »
Des promesses de production mensongères
Calculs faits, Patrice Filly s’est rendu compte que pour atteindre les 700 euros d’économies promis, il aurait fallu que son éolienne de 700 watts tourne et produise de l’électricité pendant 10 000 heures ! Soit plus que n’en compte une année. « L’occasion était trop belle. C’était évident. Nous étions quelques uns à voir venir tout cela. Nous avons tenté de sonner l’alerte, en vain, » tempête Franck Turlan, qui se désole de cette très mauvaise publicité faite à une ressource pourtant prometteuse. « Il y a un vrai gisement pour le petit éolien en France. On pourrait produire des mégaWatts chaque année ! Mais plutôt en milieu rural, dans une zone dégagée, et en plaçant les éoliennes là où souffle le vent, c’est-à-dire assez haut, une vingtaine de mètres environ. » Dans une telle configuration, et avec une machine de 2kW, on peut espérer une production d’environ 3000 kWh par an. Sachant qu’une famille de quatre personnes consomme en moyenne 4000 kWh par an, hors chauffage et eau chaude sanitaire.
Les promesses d’autonomie avec une « éolienne de pignon », comme on les appelle, sont donc de vrais mensonges. « De toute façon, en ville, il n’y a pas assez de vent », résume simplement Jean-Marc Noël, président de l’Association française des professionnels du petit éolien (AFPPE) et ancien professionnel du secteur. « Une étude commandée par la Commission européenne vient même de conclure qu’il n’y a pas de développement possible de l’éolien en ville. Le gisement y est bien trop faible. Il est en plus traversé de turbulences. Et si vous voulez le mesurer, cela coûte plus cher que la machine que l’on installerait éventuellement ensuite. »
15 000 euros pour une éolienne qui ne tourne pas
Ces entreprises vendeuses d’éoliennes domestiques démarchent pourtant essentiellement en milieu urbain, dans les banlieues et lotissements, ignorant (ou faignant d’ignorer) ces évaluations... L’entreprise Planétair 35 affirme qu’une petite éolienne peut fournir jusqu’à 10 000 kWh par an ! Et qu’elle produit de l’énergie avec des vents inférieurs à 10 km/h. « A 10 km/h, l’éolienne démarre. Il n’y a donc pas grand chose en terme d’énergie, rectifie Jean-Marc Noël. Chez les Anglais, qui ont une longueur d’avance sur nous dans le domaine des petites éoliennes, on considère que la vitesse moyenne du vent pour installer une machine doit être de 40 km/h. » Contacté par Basta!, l’entreprise Optim’éo assure n’avoir rien à dire sur le sujet, et que « tout va bien ». Sur la nécessité ou non de faire une évaluation préalable du « gisement » de vent, l’interlocuteur a carrément affirmé : « Il est inutile de faire une étude ». Étude qui risquerait sans doute d’empêcher l’entreprise d’empocher quelques milliers d’euros en vendant une éolienne inutile...
Econhoma, autre société citée par plusieurs particuliers bernés, et partenaire des émissions télévisées D&CO sur M6 ou Tous Ensemble sur TF1 (et même de la fondation Good Planet de Yann Arthus-Bertrand !), n’a pas souhaité répondre à nos questions. Nous aurions pourtant aimé savoir comment leur « éco-brigade » s’y prend pour installer des éoliennes qui produisent « de l’électricité gratuite au moindre souffle de vent ». La « gratuité » étant toute relative, puisque les installations coûtent en moyenne 15 000 euros. « Mais cela varie beaucoup selon la tête du client, remarque un conseiller Info énergie. Cela va de 7000 à 19 000 euros, pour le même matériel. » Un témoin rapporte avoir payé 15 000 euros son éolienne qui ne tourne pas. Au bout de 120 mois de traite, avec les intérêts bancaires, elle lui aura coûté… 24 000 euros ! Les banques partenaires des entreprises (Financo, Domofinance, Solféa... ) se sucrant évidemment au passage. Ce type d’éolienne coûte pourtant moins de 1000 euros en sortie d’usine !
Des installations illégales
« Au mieux, ces éoliennes ne marchent pas. Mais au pire, elles s’écrasent », renchérit Jean-Marc Noël, de l’Association française des professionnels du petit éolien. Et emportent avec elles une partie des murs ! « Dans mon bureau des pleurs, j’ai aussi une personne dont une partie du toit a été arrachée. Les murs d’une maison sont faits pour supporter des efforts verticaux et en aucun cas horizontaux ». L’AFPPE déconseille simplement de fixer une éolienne au bâti. « Pour la simple raison que celui-ci n’a pas été conçu pour ça ! »
Ajoutons que nombre de ces éoliennes de pignon sont illégales. Posée sur un mât en deçà de 12 mètres, une éolienne domestique n’a pas besoin de permis. Mais accrochée à une maison, elle doit faire l’objet d’une déclaration préalable auprès de la mairie. Personne ne le fait. C’est même un argument de vente : « Ne nécessite pas de permis de travaux », prétend ainsi le site internet d’Optim’éo. Exit aussi le passage du professionnel qui doit vérifier la conformité de l’installation et du branchement. « Le raccordement au réseau de distribution doit obligatoirement faire l’objet d’une demande de convention d’exploitation auprès du gestionnaire du réseau ERDF, afin de garantir la sécurité des intervenants sur le réseau », précise l’AFPPE.
Malgré tout, ces éoliennes bénéficient d’un crédit d’impôt (jusqu’à 40% du prix d’achat). Un financement public au bénéfice d’entreprises peu recommandables... À côté de ces arnaques, il reste toujours très compliqué de faire installer une éolienne domestique à plus de 12 mètres. Seule garantie, pourtant, qu’elle soit vraiment efficace. Certaines agences régionales de santé demandent des compléments d’infos sur le bruit. L’instruction des permis de construire est longue et fastidieuse. « C’est tout juste si on installe pas une centrale nucléaire ! », ironise un artisan du secteur. Le risque est grand que les particuliers perdent confiance dans cette source d’énergie, comme pour le photovoltaïque. La France va-t-elle persévérer dans le non-développement des énergies renouvelables ?
Nolwenn Weiler
Photos : DR