Le petit village de La Gloria, dans l’Etat de Veracruz au Mexique, est en train de devenir mondialement célèbre. Bien malgré lui. Il serait à l’origine de l’épidémie de grippe H1N1 qui fait désormais la une de nos journaux. Que s’est-il passé exactement dans cette communauté de 3000 habitants, qui fait partie de la municipalité de Perote au Mexique ? Les cas d’infections respiratoires ont commencé dès le mois de février, selon les habitants, cités par le journal mexicain La Jordana dès le 4 avril dernier. « Depuis février dernier, l’agent municipal Bertha Crisostomo Lopez a sollicité l’appui des autorités sanitaires car des dizaines de familles souffraient subitement d’affections des voies respiratoires », explique le journaliste Andres Timoteo. Entre 30% et 60 % des personnes auraient été touchées selon les sources.
Scandales sanitaires
Pour les habitants, l’origine de cette brutale épidémie ne fait aucun doute. Ils luttent depuis plusieurs années contre l’installation de l’entreprise Granjas Carroll, la filiale mexicaine de la plus grande entreprise mondiale d’élevage et de conditionnement de porc, Smithfield Foods (11,3 milliards de dollars de chiffre d’affaires). Les habitants de La Gloria se plaignent des pratiques de cette entreprise qui déverse à l’air libre ou dans les cours d’eau les matières fécales et organiques des porcs et laissent les charognes des porcs pourrir à l’air libre. Des pratiques pour lesquelles l’entreprise états-unienne a déjà été condamnée à une amende record de 12,6 millions de dollars par l’agence de protection de l’environnement des Etats-Unis après avoir déversé près de cinq tonnes de matière fécale en Caroline du nord et en Virginie en 1997. En août 2007, Smithfield a été obligé de détruire trois élevages de porcs (sur 33) en Roumanie, contaminés par la fièvre porcine « classique » (la multinationale compte également cinq usines de porcs en Pologne, et une de ses marques de jambon, Aoste, est diffusée en France). À La Gloria, les quelques habitants qui ont tenté de s’organiser et de demander le départ de l’entreprise, voire des sanctions contre ses pratiques, ont été poursuivies pour diffamation, menacées et même condamnées à de la prison pour l’une d’entre elles. Granjas Carroll a donc pu continuer à polluer tranquillement grâce à la vigilance des autorités de l’État de Veracruz.
En mars, des cas d’infections respiratoires ont commencé à provoquer la mort de trois enfants. Face aux accusations des habitants, l’entreprise s’est défendu en faisant dire à des membres de son personnel que ces symptômes étaient de simples grippes. Une communication mensongère révélée par le journaliste de La Jornada. Un mois plus tard, dans la tourmente du scandale qui commence à s’ébruiter, la stratégie de défense a, comme par miracle, bien changé… Dans un communiqué du 26 avril, elle soutient que « qu’il n’y avait aucun signe clinique ni aucun symptôme de la présence de la grippe porcine dans les troupeaux de la compagnie, ni chez les employés de ses entreprises au Mexique ». Elle a bien évidemment reçu l’appui du gouverneur de l’État de Veracruz, qui soutient mordicus et sans aucune preuve scientifique que le virus est arrivé de Chine…
Une précédente épidémie ignorée par l’OMS
L’association Grain, dont le but est de promouvoir la gestion et l’utilisation durables de la biodiversité agricole en lien avec les populations locales, révèle, dans un article très documenté, qu’une épidémie de grippe aviaire a touché l’État de Veracruz en septembre 2008. Cette épidémie n’a été révélée que par des journaux locaux, et n’a même pas fait l’objet d’une alerte auprès de l’OMS. Est-elle à l’origine de la recombinaison du nouveau virus qui comporte, comme nous le répètent les médias en panique, deux souches porcines, deux souches aviaires et une souche humaine ? Rien d’impossible : à 50 kilomètres de La Gloria, un élevage de volaille du plus grand producteur mexicain de volaille, Granjas Bachoco, a été touché par cette épidémie de grippe aviaire. Cette épidémie n’a pas été révélée par crainte des conséquences sur les exportations de volailles mexicaines, indique Grain, qui rappelle par ailleurs que « l’un des ingrédients courants de l’alimentation animale industrielle est ce que l’on appelle les déchets de volaille, c’est-à-dire un mélange de tout ce qu’on peut trouver sur le sol des élevages intensifs : matières fécales, plumes, litière, etc. » De là à considérer, comme le pensent de nombreux experts, que le virus passant de la volaille au porc ait pu se recombiner avec des gènes humains, il n’y a qu’un pas que les habitants de La Gloria ont, semble-t-il, été les premiers à expérimenter.
Le gouvernement mexicain mais aussi l’OMS, relève chaque jour leur niveau d’alerte pour cette épidémie qu’on ne sait plus comment appeler (grippe « porcine », grippe « mexicaine » et maintenant grippe « A »). Ils ont, semble-t-il, été bien lents à réagir. Dès le 11 avril, une compagnie états-unienne (Veratect counsulting voir communiqué en anglais à télécharger ici), qui enquêtait sur les cas suspects de La Gloria, avait alerté l’Organisation panaméricaine de la santé et le Center for Disease Control and Prevention des États-Unis. Leur rapport avait de quoi inquiéter n’importe quelle autorité. Or, il aura fallu attendre fin avril pour que les autorités mexicaines et l’OMS finissent par réagir. Certes une réaction plus rapide n’aurait certainement pas empêché la propagation rapide du virus, mais cette affaire montre que les système d’alerte des organisations onusiennes demeurent des outils bien faibles devant les intérêts des grandes multinationales. « Nous engageons notre responsabilité sociale, dans tout ce que nous faisons », tel est l’un des slogans de Smithfield...