Depuis le 1er juillet, l’encadrement des loyers est de retour à Paris. Le principe avait été initié par la loi Alur de Cécile Duflot, et a été appliqué entre 2015 et 2017. Cet encadrement a ensuite été annulé sur décision du tribunal administratif, suite à un recours de l’Union nationale des propriétaires immobiliers (Unpi) et d’autres organisations du secteur. La même chose s’est produite à Lille, qui avait également initié un encadrement en 2015.
Cet encadrement n’est pourtant pas très radical : selon le dispositif, les loyers ne doivent pas dépasser de plus de 20 % les loyers médians sur la zone et pour un type d’appartement donné. La loi Elan adoptée en 2018 a ré-ouvert cette possibilité d’encadrement, mais sous forme « expérimentale ». La mairie de Paris l’a donc relancé. Et voilà que l’Unpi agite déjà la menace de faire à nouveau censurer le dispositif par la justice. L’organisation a déposé un recours contre le décret du 12 avril 2019 mettant en place l’encadrement à Paris. Selon un article du Monde du 2 juillet, l’Unpi compte même attaquer l’encadrement auprès du Conseil constitutionnel, par le biais de questions prioritaires de constitutionnalité, en cas de procédures en justice entre locataires et propriétaires.
L’encadrement reste au bon vouloir des communes
Selon eux, encadrer les loyers serait une atteinte au droit de propriété. Le groupement des propriétaires met toujours en avant le même argument : des mesures modérant le niveau des loyers décourageraient les investisseurs et nuiraient donc à la construction de logements. « Les données communiquées par Century 21 sur son activité du premier semestre contredisent pourtant la désaffection des investisseurs pour le marché francilien : ils sont 13% de plus qu’en 2018 et réalisent 32 % des transactions », souligne pourtant Le Monde.
Pour l’association Droit au logement (DAL), au contraire, le dispositif parisien est beaucoup trop modeste pour vraiment contribuer à faire baisser les loyers de la capitale, l’une des plus chères d’Europe. « Aucun locataire ayant signé son bail avant ce lundi 1er juillet ne pourra en bénéficier », souligne le DAL. En revanche, alerte le DAL, les locataires qui ont pour l’instant la chance de payer un loyer inférieur au loyer médian – parce qu’ils sont dans les lieux depuis des dizaines d’années par exemple – risquent, eux, de voir, leur loyer augmenter en fait avec l’encadrement. Car les bailleurs auront tout loisir de « remettre à niveau » les loyers bas par rapport au niveau médian. « Bailleurs cupides, sociétés immobilières et spéculateurs n’auront aucun état d’âme à leur imposer une hausse brutale de loyer au renouvellement du bail », prévient l’association.
Le nouveau dispositif d’encadrement dépend de la bonne volonté des communes. Le 8 juillet, le conseil municipal de Bordeaux a par exemple refusé l’encadrement. Un Collectif s’est aussitôt créé et a lancé une pétition pour demander sa mise en place dans la métropole d’Aquitaine.
Au-delà de l’encadrement : le blocage des loyers
En Allemagne, l’encadrement des loyers existe déjà. Ce qui n’a pas empêché leur explosion dans la capitale allemande. Les bailleurs n’hésitent pas à utiliser le prétexte de rénovations pour procéder à d’énormes augmentations. Les loyers montent aussi en flèche à chaque changement de locataire (mais les baux de location y sont en général à durée indéterminée). Résultat : dans la capitale allemande, les loyers des nouveaux baux ont augmenté de 75 % entre 2011 et 2016 ! Le mouvement berlinois pour le droit au logement y a réagi par de nombreuses mobilisations, et la ville par des mesures politiques. Le 18 juin, la mairie, dirigée par une alliance des gauches (sociaux-démocrates, Verts et parti de gauche Die Linke) a décidé un gel immédiat des loyers pour cinq ans. Ce blocage concerne aussi les nouveaux baux de location. Et les modernisations, qui peuvent toujours entraîner des hausses de loyers, devront dorénavant être soumises à autorisation.
Lors d’une manifestation pour le droit au logement à Berlin, le 6 avril 2019. Sur la pancarte : « Les locataires ne sont pas des tubes de dentifrice ». CC Uwe Hiksch via Flickr.
La décision a été prise rapidement. Pourtant, dès que la mesure a été annoncée, le groupement des bailleurs immobiliers (Haus und Grund) a conseillé à ses membres de notifier à ses locataires des hausses immédiates de loyers avant la date butoir du 17 juin. Les locataires qui y ont échappé devraient désormais être tranquilles pendant cinq ans. Mais en Allemagne comme en France, les lobbys de propriétaires menacent de recours devant la justice.
Des mesures qui peuvent rendre la spéculation immobilière moins attractive
Au même moment, mi-juin, une initiative citoyenne pour le droit au logement a été déposée à la municipalité : 77 000 Berlinois y demandent un référendum sur l’expropriation des grandes sociétés immobilières de la capitale. C’est la première étape pour organiser un référendum local. La ville doit maintenant étudier la proposition. Celle-ci ne demande pas une expropriation pure et simple – ce qui serait impossible juridiquement –, mais que la ville rachète les logements des grandes firmes immobilières en dessous du prix du marché. Ces logements re-communalisés devraient ensuite être gérés de manière démocratique avec les locataires. Désormais, la municipalité peut adopter tel quel le projet proposé ou négocier avec ses initiateurs un projet alternatif. Sinon, la procédure passe à l’étape suivante et l’initiative doit recueillir 180 000 signatures en quatre mois pour l’organisation d’un référendum. Si la proposition est votée en référendum, la ville est obligée de la mettre en œuvre.
Dès son lancement, l’initiative « Exproprier Deutsche Wohnen » (qui est la plus grosse firme immobilière privée de la ville) a rencontré une grande popularité. Ce qui a poussé la mairie de Berlin à décider du gel des loyers. Cette mesure pourrait aussi avoir un autre effet : rendre la spéculation immobilière de moins en moins attractive pour les investisseurs.
Un gel les loyers serait-il également la solution pour Paris et les autres grandes villes françaises ? Pas selon Droit au logement, qui demande plutôt une réelle baisse des loyers, ainsi que l’extension de leur encadrement à l’ensemble des agglomérations en tension, le relèvement de l’aide personnalisée au logement, la construction massive de logement sociaux, et un moratoire sur les expulsions, ainsi que la réquisition des logements vacants, « pour répondre à l’urgence sociale ».
Rachel Knaebel
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