L’arnaque de ce début d’année n’est malheureusement pas incarnée par deux sympathiques filous sur le retour - davantage Robin des bois que scélérats - qui escroquent un fortuné mafiosi. Mais par un système impotent qui, pour assurer sa survie, est prêt à toutes les manipulations pour détrousser les populations.
Nous l’annoncions fin décembre 2008. Le quotidien les Echos l’a confirmé le 13 février 2009. Plusieurs grandes entreprises ayant mis en oeuvre d’importants plans de suppressions d’emplois – sans compter les mesures de chômage partiel – se sont empressées de rémunérer grassement leurs actionnaires. Preuve - pour ceux qui avaient encore la naïveté de le penser - que la crise frappe d’abord ceux qui n’y sont pour rien : ceux qui créent de la richesse, pas ceux qui en profitent qui continuent d’alimenter la folle machine.
Salariés dépossédés
C’est d’abord le cas de l’industrie automobile, « en crise », dont les suppliques ont attendri l’oreille de l’Elysée. Un prêt de 6,5 milliards d’euros sera accordé par l’Etat à Peugeot et Renault « pour financer leur effort d’innovation » (doit-on comprendre que les PDG Carlos Ghosn et Christian Streiff, respectivement rémunérés 3,4 millions et 1,9 millions d’euros par an pour leurs incomparables compétences, auraient bêtement ignoré toute stratégie « d’innovation » ?). Peugeot a annoncé entre 6000 et 7000 suppressions d’emplois, tout en versant à ses actionnaires 342 millions d’euros de dividendes pour 2008. Idem pour Renault : 4900 suppressions d’emplois en France (9000 « départs volontaires » en Europe) et plus d’un milliard d’euros aux actionnaires. Ceux-ci, qu’ils comptent des titres Peugeot ou Renault dans leurs portefeuilles boursiers, ont perçu plus d’argent en 2008 qu’en 2007. Vive la crise !
La palme de l’hypocrisie est remportée par le 3e groupe pharmaceutique mondial Sanofi-Aventis qui récompense ses investisseurs à hauteur de 2,7 milliards d’euros – dont Total (12,6%) et L’Oréal (8,7%) - tout en poussant vers la sortie 1300 de ses salariés. Suivent Arcelor-Mittal et le groupe PPR (La Redoute). Quant aux actionnaires du géant de la distribution Carrefour, la manière dont ils s’enrichissent sur le dos courbé et fourbu des ouvrières asiatiques est racontée ici. Sans oublier la politique salariale appliquée à ses employés ici, en France, que Carrefour n’hésite pas à payer à des tarifs inférieurs au Smic horaire.
Usagers abusés
Deux autres cas méritent d’être développés : celui de GDF-Suez et de Total. On a beaucoup parlé des méga profits de la compagnie pétrolière : 14 milliards d’euros, dont près de 5 milliards sont reversés aux actionnaires. En matière de dividendes, le pétrolier est talonné par GDF-Suez. L’ancienne entreprise publique s’apprête à verser 4,6 milliards d’euros à ses actionnaires (dont l’Etat français, propriétaire du groupe à plus de 35%). Les particuliers abonnés au gaz feront leur compte pour savoir qui a profité des augmentations successives des tarifs : + 4 % en janvier, + 5,5 % en avril et + 5 % en août 2008. Total s’est de son côté rattrapé sur ses marges de raffinage, en particulier sur le diesel. Ces marges sont fixées par la compagnie et sont indépendantes des fluctuations des prix du baril. Une situation dénoncée par l’association] de consommateurs UFC Que Choisir : la marge « sur le diesel a connu une hausse extraordinaire puisqu’elle a doublée entre 2007 et 2008 et a plus que quadruplée entre 2003 et 2008 », explique l’association dans un communiqué du 11 février.
Face à cet état de fait, et alors que la crise s’est officiellement déclarée depuis cinq mois, aucune mesure de régulation ou de redistribution des richesses n’est venue du gouvernement. Faut-il vraiment s’en étonner ? Car le fond du problème, ce n’est pas une dérive ou des « écarts » d’un système financier à moraliser, c’est le terrible déséquilibre entre la rémunération du capital – y compris virtuel – d’un côté, et de l’activité (travail, innovation, productions socialement et écologiquement utiles…) de l’autre, dans une société qui réduit tout sens à la rentabilité financière. « Ce système a confiné nos existences dans des individuations égoïstes qui vous suppriment tout horizon et vous condamnent à deux misères profondes : être "consommateur" ou bien être "producteur". Le consommateur ne travaillant que pour consommer ce que produit sa force de travail devenue marchandise ; et le producteur réduisant sa production à l’unique perspective de profits sans limites pour des consommations fantasmées sans limites », écrivent les neuf auteurs du « Manifeste pour des produits de haute nécessité ».
Il semble que seuls les Antillais, et en particulier les Guadeloupéens, ont pour l’instant pris conscience collectivement de l’ampleur de l’escroquerie en cours. Seront-ils imités demain par les métropolitains ?
Ivan du Roy, journaliste