Une consommation d’énergie divisée par deux, et une facture réduite d’autant pour les habitants. C’est à Granville, en Normandie, où les 130 logements dans trois tours HLM de 35 mètres de haut ont été réhabilitées selon la norme « Bâtiment basse consommation » (BBC). Des travaux d’isolation, de menuiserie et la pose de 150 panneaux solaires sur les toits, et le tour est joué. Les logements consommeront 80 kWh par m2 et par an, contre 170 kWh en moyenne dans les logements sociaux.
Comme à Granville, la rénovation des logements sociaux avance un peu partout en France. Heureusement, car le chantier est urgent. Les bâtiments brûlent 43% de la consommation d’énergie du pays. Parmi eux, les 4,5 millions de logements sociaux en constituent une bonne part : ils abritent dix millions de personnes. Or beaucoup de ces logements ont été construits dans les années 1960 et 1970, avant toute réglementation énergétique. La consommation y est certes inférieure de près d’un tiers à celle du parc privé, souvent plus ancien, mais demeure bien trop élevée. D’autant plus que les locataires du parc social ont des revenus plus modestes, et que la précarité énergétique explose : 13 % des ménages sont en situation de précarité énergétique, consacrant plus de 10 % de leurs revenus aux dépenses d’énergie.
100 000 logements rénovés en quatre ans...
En 2009, le Grenelle de l’environnement fixait l’objectif de 800 000 logements sociaux à rénover d’ici 2020. Des logements parmi les plus énergivores [1]. Selon l’Union sociale pour l’habitat, 100 000 logements ont déjà été réhabilités, mais souvent à des standards modestes. L’opération BBC de Granville fait encore figure d’exception.
« Il peut être difficile d’atteindre le standard BBC sur de la rénovation, ou alors avec des coûts très élevés, explique Olivier Pourny, chargé de mission à l’Arra, l’agence des bailleurs sociaux de la région Rhône-Alpes. Sur les tours, les barres, c’est techniquement assez facile. Ça l’est beaucoup moins pour des immeubles des années 1930. » Sur la construction neuve en revanche, le standard basse consommation se généralise. Il est de toute façon la règle pour toute nouvelle construction depuis janvier. « En neuf ans, nos bailleurs commencent même à développer des opérations de maisons passives ou à énergie positive. »
La région Rhône-Alpes abrite près d’un dixième du parc français de logements sociaux. Les bailleurs y rénovent près de 4 000 logements par an. Un bon chiffre, mais qui « reste en dessous des exigences, selon Olivier Pourny. Nous en avons plus de 80 000 à rénover d’urgence. Pour atteindre l’objectif d’ici à 2020, il faudrait en faire 8 000 par an ». La difficulté : mener en même temps rénovation et construction, essentielle dans cette zone où la population augmente. « Nous travaillons sur les deux fronts, mais la mobilisation de nos fonds propres atteint ses limites. »
Rénover : cinq fois moins cher que de reconstruire
La rénovation thermique d’un logement de 70 m2 coûte en moyenne 30 000 euros pour un standard BBC. Pour comparaison, le coût d’une démolition, financée par l’Agence nationale de rénovation urbaine (Anru) est d’environ 24 000 euros par logement. Auquel s’ajoute le coût d’une construction neuve : 130 000 euros [2].
Réhabiliter coûte donc bien moins cher que de démolir pour reconstruire ensuite. Mais « les dispositifs de financement de la rénovation thermique ne sont pas assez pérennes et pas toujours bien coordonnés », regrette le chargé de mission. L’éco-prêt logement social de la Caisse des dépôts et consignations, lancé en 2009 [3], a par exemple financé 40% des travaux pour les logements déjà traités. Mais c’est in extremis que le précédent gouvernement l’avait reconduit fin 2011, alors que l’enveloppe était déjà épuisée.
Vers des immeubles « passifs » ?
L’incertitude est aussi de mise pour les subventions de l’Ademe, de l’Anru, des collectivités locales ou du Fonds européen de développement régional. Elles ont contribué à hauteur de 18% aux travaux déjà réalisés, mais sont toujours fluctuantes : souvent soumises à appels à projets et pas forcément maintenues au fil des années. « Il y a une inflation de dossiers et des appels à projets. Nous aurions besoin d’un dispositif de financement global, simple et sûr sur une longue durée, dix ans par exemple », juge Olivier Pourny. Autre solution de financement pour les bailleurs : répercuter une partie du coût des travaux sur les loyers, en contrepartie d’une baisse des charges énergétiques.
De l’autre côté du Rhin, la ville de Fribourg, connue pour son écoquartier Vauban (lire notre reportage), a transformé en bâtiment passif une tour de 16 étages construite en 1968. Depuis 2011, l’immeuble de la Bugginger Strasse a ainsi réduit de 80% sa consommation en chauffage. Pour y arriver, le bailleur a mieux isolé, installé un triple vitrage et une ventilation qui récupère la chaleur de l’air sortant pour réchauffer l’entrant. « Grâce à la forme compacte du bâtiment, les déperditions de chaleur sont naturellement moindres dans une tour », explique Renate Bräu, la chef de projet. Une installation photovoltaïque recouvre le toit. L’électricité qu’elle produit est injectée dans le réseau local. Et pour le chauffage, au gaz, un réservoir a pris place dans le bâtiment. Avec ces travaux, la tour va rejeter 57 tonnes de CO2 en moins par an.
Un quartier divise sa consommation d’énergie par deux
Pour les locataires, les économies de chauffage se chiffrent en centaines d’euros : 430 euros annuels en moins pour un appartement de 70 m2. La réhabilitation a aussi permis de créer 49 logements supplémentaires.
Contrepartie de la performance énergétique élevée, le coût de l’opération l’est aussi : plus de 117 000 euros pour un appartement de 70 m2, 42 000 euros pour la seule part thermique. Soit 13,4 millions en tout. L’opération reste pourtant bien plus avantageuse qu’une démolition-reconstruction, qui aurait demandé 10 millions de plus. « Et avec les nouvelles règlementations, nous aurions dû construire moins haut en neuf, donc perdre en nombre de logements », ajoute Renate Bräu. Ce que Fribourg, où le marché immobilier est tendu et les loyers chers, ne peut pas se permettre. Une deuxième tour est en cours de rénovation “passive” dans le quartier. Et 1 300 autres appartements, dans des barres de quatre et huit étages, doivent suivre d’ici à 2020.
À l’autre bout de l’Allemagne, à Berlin, la réhabilitation change d’échelle. Dans le quartier de grands ensembles du Märkisches Viertel, érigé dans l’ouest de la ville pendant l’âge d’or des tours banlieusardes, le bailleur social Gesobau rénove depuis 2007 plus de 13 000 logements dans un quartier qui en compte 17 000. Là aussi, la structure des grands ensembles se prête bien à l’opération, puisqu’un même plan de rénovation peut se répéter sur des dizaines d’immeubles similaires.
Le modèle allemand et ses risques de dérives
En plus d’une meilleure isolation et de la récupération de la chaleur, le quartier doit aussi renouveler son approvisionnement en chauffage, actuellement au gaz. D’ici à 2015, 50% de la chaleur sera ainsi issue du bois, avec une centrale à cogénération chaleur-électricité. Une fois les travaux terminés, la consommation d’énergie sera divisée par deux.
Le coût : 32 900 euros en moyenne pour un logement de 70 m2.
Le tout exige 480 millions d’euros d’investissements, fournis par des fonds propres du bailleur et des prêts à taux avantageux.
Les loyers hors charge augmentent. Mais la baisse des dépenses énergétiques, aujourd’hui très élevées dans le quartier (108 euros par mois de chauffage et eau chaude pour un 70 m2) est censée les compenser. La vigilance reste toutefois de mise. Le quartier de Märkisches Viertel devra continuer à louer au moins un quart de ses logements à des chômeurs et allocataires sociaux après la rénovation. Mais l’obligation vaut seulement pour les logements occupés. Le bailleur réalise des travaux plus poussés dans les appartements vacants. Et là, le but est bien d’y attirer des habitants plus riches. La rénovation thermique contribuera-t-elle aussi à éloigner les familles les plus modestes des agglomérations ?
Rachel Knaebel