La pluie tombe sans discontinuer à Tunis, mardi 24 mars. Mais elle n’entame pas la détermination des milliers de participants au Forum social mondial (FSM), venus du monde entier, pour cette marche d’ouverture. Destination, le musée du Bardo où a eu lieu l’attentat qui a fait 21 victimes six jours plus tôt. Sur place, Abderrahmane Hedhili, coordinateur du comité d’organisation du FSM 2015 et président du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, négocie avec les forces de l’ordre pour faire aboutir la marche devant le musée. « L’un des enjeux de ce FSM, indique-t-il, c’est de se demander pourquoi notre jeunesse est attirée par ces terroristes salafistes. Si on ne touche pas également aux questions économiques et sociales, aux migrations, on n’avance pas. Il faut aussi parler d’audace et d’alternatives. »
Au même moment, à l’intérieur du musée, les autorités tunisiennes organisent une cérémonie officielle en hommage aux 20 touristes étrangers et au policier tunisien tué lors de l’attentat. Afef, dont la famille habite en face du Bardo, a réussi à se glisser parmi les invités. Elle était présente au moment de l’attentat. Elle a accompagné les blessés à l’hôpital et peine encore à trouver le sommeil. « Je suis choquée par ce qu’il s’est passé et je tenais à être présente à cette marche contre le terrorisme », explique-t-elle. Elle retrouve le sourire face à une assemblée de figurants vêtus de costumes traditionnels variés, qui patientent dans un coin. « Les salafistes voudraient que nous soyons tous habillés de noir. On leur montre notre attachement à la diversité », poursuit-elle, avant de les rejoindre pour poser fièrement devant les photographes.
Continuer la révolution
Aux abords du musée, derrière des barrières de sécurité, une foule brandit des ballons rouges et blancs avec le visage de Chokri Belaïd. Ce responsable du parti de gauche radicale Al Watad a été assassiné devant son domicile, à Tunis, en février 2013 (lire notre article). « Tunisie libre, terrorisme dehors ! », scandent femmes et enfants, mais aussi « Je suis Bardo ! ». Plusieurs personnes affichent également la photo du journaliste et blogueur Sofiène Chourabi et du photographe Nédhir Ktari, deux Tunisiens enlevés en Libye par Daech le 8 septembre dernier.
Des mesures de sécurité renforcées ont été prises ces derniers jours à Tunis. Des militaires et policiers encadrent la marche d’ouverture du FSM et l’entrée du musée. De nombreux Tunisiens se font prendre en photo avec les policiers, comme à Paris en janvier lors de la marche en hommage aux victimes des attentats de Charlie Hebdo et de la supérette casher.
Au FSM, les femmes ont tenu une Assemblée générale le matin-même, et sont très présentes dans le cortège. Pour la tunisienne Mosbah Saadir, de l’association M’nemty Heducap (« rêver les yeux ouverts »), « les femmes n’ont pas atteint leurs objectifs en Tunisie. On nous veut complémentaires mais pas égales, et nous n’avons rien gagné au niveau de la parité. Le seul changement de taille depuis la révolution, c’est la parole libre. Mais il est possible que nous retournions demain en "liberté provisoire". »
Défendre la liberté d’expression
Yassine Ayari est condamné à un an de prison ferme par un tribunal militaire tunisien, début 2015, pour avoir critiqué l’armée sur Facebook. Cet ingénieur-informaticien vivant en France est arrêté à son arrivée à Tunis, le 25 décembre 2014. Les mois précédant son arrestation, il s’est montré très critique envers Nida Tounès, le parti du président actuel de la Tunisie, Béji Caïd Essebsi. La liberté d’expression reste fragile...
Zohra est membre du comité de soutien de Yassine Ayari : « On est là pour crier notre peur. On est en train d’exploiter le terrorisme pour porter atteinte aux droits de l’Homme, à la liberté d’expression. Bien sûr, nous sommes tous contre le terrorisme, mais nous sommes aussi opposés à ce qu’on puisse accuser des gens à cause d’une publication sur Facebook. »
D’autres mondes sont possibles
De nombreux Algériens participent également à la marche d’ouverture du FSM. Au total, plus de 4300 organisations sont inscrites au FSM. 122 pays sont représentés et un tiers environ des structures viennent du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie, Mauritanie) ou du Machrek (Irak, Syrie, Palestine).
La situation en Palestine est un des nombreux sujets qui seront abordés pendant le Forum. « Les peuples du monde sont unis contre toutes les formes d’agressions et de terrorisme », explique Abderrahmane Hedhili, un des organisateurs du FSM. Droits de l’Homme, égalité homme-femme, climat, économie, justice sociale, migration : plus de 1000 ateliers et débats vont se dérouler pendant quatre jours, à l’université El Manar de Tunis. Un moment de rencontre et d’échanges, pour montrer que d’autres mondes sont possibles. Et continuer d’avancer.
Textes : Sophie Chapelle et Simon Gouin (à Tunis)
Photos : Nathalie Crubézy / Collectif à-vif(s)
A lire sur Basta! :
– En Tunisie, les mouvements sociaux en première ligne dans la lutte contre le terrorisme
– « Être tué pour avoir donné son opinion, c’est malheureusement le monde dans lequel on vit »