« Notre objectif, décidé en assemblée générale, est de continuer à transmettre nos programmes par tous les moyens », explique Nicky Tselika, rédactrice en chef du journal télévisé d’ERT. Dans les studios, sur les plateaux, derrière les claviers et les caméras, journalistes et techniciens de la radio-télévision publique grecque, brutalement fermée le 11 juin par un décret gouvernemental, continuent de s’activer. En bas, dans le vaste hall et les couloirs attenants, des centaines de personnes bavardent, vont et viennent, occupant le bâtiment pour empêcher une évacuation par les forces de l’ordre.
Le signal des trois chaînes et des radios publiques s’est tu dans la soirée. Il aura fallu 12 heures aux ingénieurs et techniciens du service public pour imaginer une solution. Les obstacles étaient pourtant nombreux. Les émetteurs, sur les hauteurs d’Athènes, ont été coupés suite à l’intervention des forces de l’ordre. L’accès à Internet a été fermé par l’opérateur Forthnet, dont ERT est client, et qui possède par ailleurs un bouquet de chaînes satellitaires [1]. Le signal satellite a lui aussi été suspendu. Ce qui, selon George Katerinis, du syndicat national des journalistes Poesy, aurait provoqué l’ire du gouvernement chypriote. Car l’île n’a, du coup, plus accès aux programmes satellitaires diffusés via le réseau coupé de l’ERT. Même les communications téléphoniques sont limitées. La compagnie des télécoms grecque (OTE), dont Deutsche Telekom est l’actionnaire principal, aurait reçu l’ordre du gouvernement d’interrompre toute liaison vers l’extérieur du bâtiment.
Pourtant, un canal numérique continue de diffuser en direct les émissions de l’ERT, reprises également sur Internet. « Depuis ce soir, environ 60% des Athéniens peuvent regarder notre programme », sourit un ingénieur technicien. La magie porte un nom : l’Union européenne de radio-télévision (UER, « European Broadcasting Union »). L’organe interprofessionnel représentant l’ensemble des radiodiffuseurs de service public d’Europe a fourni gratuitement un canal à ERT. « Nous n’avons évidemment jamais été confrontés à un épisode de ce genre, qui est en réalité totalement inimaginable dans une démocratie », a expliqué au Monde le président de l’UER. « Nous savons, en revanche, que lorsqu’il postule à une adhésion (à l’Union européenne, ndlr), un État doit démontrer qu’il dispose d’un émetteur public indépendant et doté d’une autonomie de gestion. »
Ce qui est toujours le cas en Grèce, au grand dam du gouvernement. La liaison part du siège, relayé par satellite ou par de discrets opérateurs privés. « Je remercie vivement les syndicats de toutes les radio-télévisions publiques européennes qui ont pris parti contre la fermeture en nous aidant bénévolement à trouver les moyens d’émettre », poursuit le technicien, qui souhaite rester anonyme. « Pour moi, ce n’est pas une question d’emploi ou de salaire, mais une question de liberté ! » Avec la grève de l’ensemble des journalistes audiovisuels grecs, ce 12 juin, les programmes de l’ERT clandestine étaient les seuls à être diffusés. Situation cocasse : le parti gouvernemental Nouvelle démocratie (droite) s’est plaint de ne plus avoir accès aux médias et d’être boycotté par ERT...
Combien de temps ces émissions improvisées peuvent-elle durer ? Les employés de l’ERT travaillent sous la crainte d’une évacuation du bâtiment par les forces de l’ordre, ce qui mettrait fin aux programmes qui y sont fabriqués. Mais se réjouissent de la solidarité de la population et de l’ampleur des protestations européennes. Les deux autres partis de la coalition gouvernementale – Pasok (Parti socialiste) et Dimar (Gauche démocrate) – souhaitent que l’ERT reste ouverte tout en étant restructurée. Ils ont demandé à être reçus par le Premier ministre. Cette crise interne pourrait déboucher sur un vote de confiance au Parlement, et d’éventuelles élections anticipées. « Nous allons résister contre cette action digne d’une dictature », assure de son côté la journaliste Nicky Tselika. Autour d’elle, chacun s’active pour continuer d’informer.
A lire, nos reportages à Athènes :
– Fermeture de la télévision publique grecque : un nouveau pas vers un régime autoritaire
– [Vidéo] Les images que la télévision publique grecque ne diffusera pas