Baromètre annuel de l’évolution des inégalités de richesse dans le monde depuis 2014, le rapport Oxfam a été publié ce lundi 22 janvier, à la veille du Forum de Davos, célèbre cénacle des principales puissances économiques mondiales. Le titre donné à ce rapport de 96 pages [1] par l’ONG britannique se veut explicite : « Partager la richesse avec celles et ceux qui la créent ». Un euphémisme tant les résultats de l’étude démontrent en réalité le phénomène inverse. « 82% des richesses créées l’an dernier ont bénéficié aux 1% les plus riches », met ainsi en exergue le rapport. Tandis que la part des revenus du centile d’or – les fameux 1% du haut de la pyramide – a de fait considérablement augmenté, la moitié la plus pauvre de la population mondiale – soit 3,7 milliards de personnes – n’en a pas tiré le moindre profit.
D’autres chiffres, calculés à partir de sources multiples (Crédit Suisse, Forbes, OFCE), donnent à voir l’étendue de la fracture qui se creuse entre les plus riches et le reste de la population : 762 milliards de dollar, c’est l’augmentation de la richesse des milliardaires accumulés sur la seule année 2017. C’est aussi plus de sept fois le montant estimé par an pour sortir de l’extrême-pauvreté la population qui y est plongée – estimée à 800 millions de personnes vivant avec moins de 1,90 dollar par jour. Les milliardaires, eux, sont exactement 2043 dans le monde, dont 9 sur 10 sont des hommes.
500 personnes pèsent autant que le PIB de l’Inde
Ce « coup d’Etat milliardaire », du nom d’un récent ouvrage de Jean-Jacques Gury, membre d’Attac, consacre ainsi le retour en force du patrimoine – et de sa transmission – comme facteur d’accroissement des richesses, confirmant notamment les thèses défendues en la matière par Thomas Piketty qui s’était attaché à démontrer dans Le Capital au XXIe siècle comment une élite captait une part grandissante des richesses nationales. « Environ un tiers de la fortune des milliardaires provient d’héritages. Au cours des 20 prochaines années, 500 personnes parmi les plus riches au monde transmettront plus de 2400 milliards de dollars à leurs héritiers, soit plus que le PIB de l’Inde, un pays qui compte 1,3 milliards d’habitants », annonce ainsi le rapport.
Celui-ci compare également la vitesse de progression entre les revenus du patrimoine et ceux du travail. Le constat est sans appel : le patrimoine des milliardaires a augmenté en moyenne de 13 % par an depuis 2010, soit six fois plus vite que la rémunération du travail, qui n’a progressé que de 2 % par an en moyenne. La « valeur travail » n’en aurait-elle aucune ? Cette tendance se vérifie en France, où l’héritage représente environ 55% de la fortune totale des Français, contre 35% dans les années 70. Autrement dit, les revenus du travail, eux, ne cessent de diminuer en valeur relative.
La France ne fait pas exception à la crise des inégalités. La photographie de la situation française coïncide avec les grandes évolutions mondiales : en 2017, les 10% de français les plus riches détenaient ainsi plus de la moitié des richesses, tandis que les 50% les plus pauvres s’en partageaient à peine 5%. Un déséquilibre accentué au sommet de la pyramide : les 1% les plus riches possèdent ainsi 22% des richesses – une proportion qui a augmenté de 5% en près de 10 ans. Cet enrichissement très sélectif est alimenté, selon Oxfam, par la capacité des plus riches à accaparer les fruits de la croissance : ce même 1% des plus riches a ainsi récolté 28% des richesses produites en France en 2017. Une position également renforcée par leur poids au sein d’un autre cercle de pouvoir, certes en délicatesse avec la croissance, mais toujours aussi influent : la presse (Voir à ce sujet l’enquête qu’y a consacré Basta l’année dernière).
Les fortunes françaises grossissent quatre fois plus vite que le PIB
Parmi les 32 milliardaires possédant autant que 40% des français les plus pauvres en 2017, il faut compter quelques propriétaires de grands médias : Bernard Arnault (1re fortune de France et patron des Échos et du Parisien), Serge Dassault (5e fortune, Le Figaro), François Pinault (7e fortune, Le Point), Patrick Drahi (8e fortune, Libération, L’Express, BFM-TV, RMC), Xavier Niel (10e fortune, co-propriétaire du groupe Le Monde, dont L’Obs, Télérama, La Vie…), Vincent Bolloré (12e fortune, Canal +), ou encore la famille Bouygues (30e fortune, propriétaire du groupe TF1) [2]. Selon le magazine Challenges, auteur du classement des 500 fortunes de France chaque année depuis 1996, ces mêmes fortunes « ont crû quatre fois plus vite que le PIB » depuis cette date. A elles seules, les 500 fortunes représentent 25% du PIB aujourd’hui (contre 6% en 1996). Une croissance qui atteste de la prospérité des ultra-riches : en deux décennies, le nombre de milliardaires est passé de 11 à 92, tandis que la valeur totale de ces 500 fortunes a été multipliée par 7, de 80 à 570 milliards d’euros.
Ce n’est pas le premier budget du quinquennat Macron, entérinant notamment la suppression de l’ISF, qui risque de changer la donne : « En ce qui concerne l’impact redistributif des mesures nouvelles pour les ménages, celles-ci devraient être en 2018 largement au bénéfice des 2 % de ménages du haut de la distribution qui sont ceux qui détiennent le capital mobilier le plus important », analyse trois économistes de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) dans une note de décryptage du Budget 2018 publiée la semaine dernière. C’est bien connu, on ne change pas une équipe qui gagne.