Basta! : Dans votre dernier film, Un avenir, à quel prix ? vous faites un vibrant plaidoyer pour une taxation du carbone ? D’où vient cet intérêt pour les sujets environnementaux ?
David Martin : Mon père a été le premier président de la mission interministérielle sur l’effet de serre créée par Michel Rocard en 1989. Pendant 20 ans, il s’est battu pour démontrer l’intérêt d’une telle fiscalité. Pendant 20 ans, j’ai mangé tous les soirs avec les comptes-rendus des réunions ministérielles, avec les espoirs, les déceptions… Dans ces discussions familiales, j’ai pu comprendre la peur des hommes politiques face à cette mesure forcément impopulaire à leur yeux, alors que lorsqu’on prend le temps d’étudier et de regarder ce que cela implique en détail on voit tous les bénéfices non seulement en termes écologiques mais aussi en matière d’emplois. Le désir de faire ce film est venu de cette volonté d’expliquer et de cette frustration que je pouvais voir, deviner, sentir chez les défenseurs de cette fiscalité.
En fait, ce que vous montrez dans votre film, c’est qu’au-delà d’un nouvel impôt, taxer le carbone induirait un vrai changement de modèle ?
Si l’énergie coûtait plus cher, les industriels seraient obligés de faire des choix différents. Mais tant que l’énergie et les transports ne coûtent rien, ils peuvent aller chercher la main-d’œuvre la moins chère possible à l’autre bout de la planète. Si l’on redonne plus de valeurs à l’énergie, aux transports, cela changera. En Allemagne, il y a eu une première tentative en 1999 de mettre en place une telle fiscalité. Une partie de cette fiscalité a été utilisée pour développer les énergies renouvelables et pour baisser les charges sur les emplois à plus bas salaire. Résultat, ce sont environ 400.000 emplois qui ont été créés. Mais alors que cette taxe a vocation à être évolutive et à augmenter, les Allemands l’ont laissée au même niveau. Ce qui réduit son efficacité. Les Suédois ont aussi lancé cette fiscalité. En Suisse, il y a eu des tentatives mais les référendums ne sont pas passés. En remontant plus loin, l’Europe a failli mettre en place une telle fiscalité autour de 1992, mais la France s’y est opposée car il s’agissait d’une taxe mi-énergie mi-carbone qui englobait du coup le nucléaire.
Est-ce à cause de cette idée que les transports ne coûtent pas assez aujourd’hui que l’on vous voit aussi souvent à vélo ?
Oui. Et puis, moi, je n’ai pas les moyens de prendre un hélicoptère ! J’ai envie de trouver un moyen de filmer la ville en ayant une cohérence autre, différente. Il y a quelques années, une étude a cherché à intégrer dans le temps de transport, le temps qu’il faut pour se payer une voiture, pour se payer l’essence, etc. On se rendait compte, en intégrant ces paramètres, que le moyen de transport le plus rapide c’est le vélo. Et même la marche à pied était plus rapide que la voiture. Peut-être les résultats seraient différents aujourd’hui mais cela démontre, encore une fois, que le prix de l’énergie peut permettre de faire des choix plus vertueux. Mais, au-delà des transports, l’urbanisme est aussi en jeu. Par exemple, les prêts à taux zéro ont eu une influence catastrophique sur la forme d’urbanisme que cela implique. La plupart de ces prêts ont servi à financer des pavillons en grande banlieue qui sont loin des lieux de travail et qui obligent donc les personnes à prendre leur voiture. Par ailleurs, avec l’augmentation des prix du pétrole, ces logements vont rapidement perdre de leurs valeurs. Il y aurait sans doute mieux à faire pour aider les personnes les classes moyennes dans leur recherche de logement.
Un autre grand chantier que vous mettez en avant dans votre film, ce sont les économies d’énergie…
Le grand problème en la matière vient du fait que le montant des subventions est déterminé par la puissance du lobby ! La grande majorité des aides aux particuliers est captée par les installateurs qui savent très bien augmenter les prix quand et comment il le faut ! On pourrait inventer d’autre système. Par exemple, un mécanisme financier qui permettent aux locataires de logements sociaux de ne pas voir leur charges augmenter sous prétexte de modernisation de leurs appartements et que ce soient justement les économies d’énergie qui financent les prêts. Ensuite, dans le film, l’exemple des gens qui ont construit des maisons passives à Fribourg est bien évidemment là pour faire réfléchir et prendre conscience du chemin à parcourir. En construisant sa maison passive, ils pensaient avoir un retour sur leur investissement en 15 ans, avec l’augmentation des prix du pétrole cela ne prendra que 10 ans.
Vous étiez au sein de la délégation française à Copenhague. Qu’en avez-vous tiré ? Quel bilan en faîtes-vous ?
C’était un vaste bordel pour comprendre ce qu’il s’y passait vraiment. Le point positif, c’est que ce thème est devenu un élément de géopolitique majeur. Mais d’un autre côté, cela a soulevé les problèmes de fonctionnement de l’ONU. Avec les lourdeurs que connaît l’ONU, il y a très peu d’espoir d’arriver à avoir des avancées concrètes. L’Europe aurait tout intérêt à mettre en place une politique volontariste avec des droits de douanes et permettre ainsi une autre politique de développement. Les droits de douanes sont l’élément majeur qui a permis au traité de Montréal sur les CFC d’être un succès, unanimement suivi.
Votre film n’a pas été diffusé sur les chaînes de télévision française et vous le mettez d’ailleurs en scène de manière assez drôle dans votre film. Savez-vous pourquoi ?
Il y a une dimension politique très forte dans ce sujet et même si mon film était prêt au moment où politiquement on en parlait, ça n’a pas suffi… J’ai le sentiment que les chaînes achètent ce type de film une fois qu’il est chez le distributeur. Ils ne prennent aucun risque et l’achètent pour une misère. Dans l’ensemble, les chaînes de télévision préfèrent montrer les beaux paysages, les ours polaires qui vont disparaître ou un exemple précis à partir duquel on va généraliser. Mais un sujet avec une vision générale, ça ne les intéresse pas. Mon film n’est pas un film sur les émotions, sur l’humain. Je ne cherche pas à raconter une histoire, je cherche à raconter une réflexion, mais ça reste un vrai film.
Recueillis par Stéphane Fernandez
Un avenir, à quel prix ? est en sélection au festival ENVIROFILM 2010 qui aura lieu en Slovaquie du 10 au 15 mai.
Projections :
En Île-de-France
Le samedi 10 avril à 17h30 au Théâtre du lycée Michelet de Vanves dans le cadre du « 2e Festival de films environnementaux »
En PACA
À la 5e édition de "Les Journées du Film sur l’Environnement" aux 4 dates suivantes (Bouches-du-Rhône) :
– le 27 avril à 18h00 à Le Puy Sainte-Réparade
– le 30 avril à 18h30 au Cinéma les Lumières à Vitrolles en présence du réalisateur
– le 30 avril à 20h30 à Coudoux en présence du réalisateur
– le 4 mai à 17h à Aix-en-Provence au Centre du Congres
– le 4 mai à 17h à la Salle Carnot à Aix en Provence « L’Énergie Solaire et ses applications II ».
Il est également possible de se procurer le DVD du film sur le site de Mecanos productions qui a produit ce documentaire.