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Les lycées privés allègrement financés par Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes

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par Rachel Knaebel

Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes et figure de la droite, distribue des centaines de millions d’euros aux lycées privés. Dans le même temps, les établissements publics n’ont plus le budget suffisant pour fonctionner.

« On lave les sols à l’eau, des toilettes sont fermées car on ne peut plus les réparer, le chauffage est baissé », constate Olivier Moine, enseignant et secrétaire du syndicat Snes-FSU en région Auvergne-Rhône-Alpes. Des syndicats d’enseignants et des chefs d’établissements des lycées publics de la région ont tiré la sonnette d’alarme en décembre : faute de budget suffisant, les établissements ont de plus en plus de mal à fonctionner.

« On assiste une dégradation progressive des moyens de fonctionnement, aggravée par l’augmentation des coûts de l’énergie et l’inflation, poursuit Olivier Moine. Les chefs d’établissements ne peuvent pas fermer les lycées, alors on va réduire l’entretien et les crédits pédagogiques, c’est-à-dire les sorties scolaires, les dépenses de photocopies, on fait moins de maintenance… Et les établissements tapent aussi dans leur réserves. »

La charge du patrimoine bâti et le fonctionnement des lycées reviennent aux régions (même si le personnel est payé par l’État) [1]. Or, à en croire la communication du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, dirigé par le responsable LR Laurent Wauquiez, la région n’a jamais autant investi dans ses lycées.

300 millions d’argent public

« Lors de l’arrivée de Laurent Wauquiez à la tête de la région en 2016, près de 20 % des lycées publics d’Auvergne-Rhône-Alpes présentaient une situation dégradée selon un audit réalisé. Afin que les enfants de la région bénéficient d’un cadre travail de qualité et puissent étudier dans les meilleures conditions, Laurent Wauquiez a pris la décision de lancer un vaste plan Marshall de 1,5 milliard d’euros pour rénover, sécuriser et améliorer les établissements d’Auvergne-Rhône-Alpes et pour relancer la construction de nouveaux lycées », vante la région dans un communiqué.

Ce « plan Marshall » a aussi investi beaucoup d’argent dans les lycées privés d’Auvergne-Rhône-Alpes. Environ 45 % des lycées y sont privés, et accueillent un peu moins d’un tiers des élèves. Le soutien à l’enseignement privé est un des axes affichés du plan régional. « Les précédents exécutifs délaissaient totalement ces établissements et tous les lycéens qui y suivent leur scolarité, dit un communiqué. Avant 2016, le soutien régional aux lycées privés n’était que de huit millions d’euros par an. » Mais « Laurent Wauquiez a, dès 2016, choisi d’investir pour les lycées privés d’Auvergne-Rhône-Alpes et d’accompagner leurs projets. »

Entre 2016 et 2021, la région a ainsi débloqué 188 millions d’euros pour l’enseignement privé. Ce soutien a été réaffirmé en 2022 avec un nouvel investissement de 120 millions d’euros jusqu’en 2027. L’Auvergne-Rhône-Alpes soutient par exemple financièrement la construction de nouveaux lycées privés : 2,8 millions d’euros pour le nouveau lycée Sainte-Marie à Meyzieu (Rhône) ; ou encore 223 000 euros pour l’ouverture de nouvelles classes au lycée Sainte-Famille à la Roche-sur-Foron (Haute-Savoie).

Pour le privé, « le robinet coule »

La région tient aussi à soutenir financièrement la rénovation énergétique des établissements privés comme publics. Sur les 80 millions d’euros du plan de rénovation annoncé en 2022, 20 millions sont fléchés pour les lycées privés. « Les grands gagnants de la politique régionale en investissement sont en réalité les lycées privés », dénonce un rapport de des groupes de gauche et écologistes du conseil régional sur l’état des lycées de la région. L’opposition a lancé en mai dernier une mission d’information et d’évaluation.

Graphique montrant la hausse des investissement pour les lycées privés dans la région Auvergne-Rhône-Alpes alors que la courbe d'investissement pour les lycées publics stagne.
Hausse des d’investissements d’argent publics our les lycées privés en Auvergne-Rhône-Alpes
Source : Rapport de restitution - bilan et enseignements de la « mission lycées », mission d’information et d’évaluation citoyenne organisée par les groupes écologistes et de gauche du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes.

Selon leurs calculs, « en 2015, les conseils régionaux d’Auvergne et de Rhône-Alpes avaient inscrit 235 126 560 euros (235 millions d’euros) en investissement pour les lycées publics. En 2022, ce montant s’élevait à 286 912 000 euros (286 millions d’euros), soit une hausse de 22 %. Dans le même temps, l’indice du coût de la construction calculé par l’Insee a augmenté de 23,5 %. »

La hausse est donc quasi nulle pour les lycées publics. Du côté des lycées privés de la région, ils ont reçu en investissement 8,2 millions d’euros en 2015, avant l’arrivée de Wauquiez à la tête de la collectivité, mais de 22,5 millions en 2022, pointe le rapport. Soit une hausse de + 273 % ! L’investissement pour les établissements privés a plus que triplé.

Aucune obligation sociale du privé

Les régions ont certes l’obligation de financer le fonctionnement des lycées privés sous contrat avec l’État. « Mais elles ne sont pas tenues de financer l’investissement, pointe le représentant Snes-FUS Olivier Moine. Et pourtant, dans la région, le robinet coule ! Pour nous, l’argent public doit aller au public », dit-il. « Les difficultés des lycées publics ne sont pas directement dues à l’argent donné aux lycées privés, mais ces sommes attribuées au privé contribuent à prendre une partie du budget », défend Bénédicte Pasiecznik, conseillère régionale écologiste en Auvergne-Rhône-Alpes.

« Nous ne sommes pas contre l’enseignement privé, mais il faudrait avoir des critères pour le financer. Par exemple, on finance si les tarifs d’inscription sont définis sur critères sociaux, explique-t-elle. Le problème du privé, c’est qu’il n’y a aucune exigence en terme de carte scolaire, de mixité sociale. Sur les frais de scolarité des lycées privés, certains sont tout à fait accessibles financièrement, comme les maisons familiales et rurales, d’autres pas du tout. Des financements publics vont sur des lycées privés de Lyon qui sont élitistes y compris au niveau financier », dénonce Bénédicte Pasiecznik.

À l’heure où des lycées publics disent avoir du mal à se chauffer, les lycées privés accueillent de plus en plus les enfants des parents les plus aisés. Comme la nouvelle ministre de l’Éducation nationale, qui a scolarisé ses trois enfants à l’établissement privé parisien Stanislas.

Rachel Knaebel

Un ensemble scolaire privé en région Auvergne-Rhône-Alpes/CC0 1.0 Deed Romainbehar via Wikimedia Commons.

Notes

[1Les collèges sont de la compétences des départements, et les écoles des communes.