Le mouvement de destruction de l’université publique ne date pas de Parcoursup, mais Parcoursup l’accompagne et l’accélère. Parcoursup, c’est un logiciel, un algorithme, en fait un outil de gestion de l’austérité.
Ce n’est pas présenté comme ça, mais plutôt sous couvert de choix, du mérite, de la possibilité… La réalité est que la question de la pression démographique sur l’université du baby-boom des années 2000 n’a pas été réglée, on parle d’environ un million de naissances chaque année alors. Avec la démocratisation de l’attribution du bac dans les années 1980, cela veut dire qu’il aurait fallu créer autant de places dans l’enseignement supérieur. Mais aucune n’a été créée, de même qu’aucune nouvelle université n’est sortie du sol.
En 1990, Lionel Jospin, ministre de l’Éducation nationale, avait lancé un plan de construction de huit universités et d’autant d’instituts universitaires de technologie pour absorber la poussée démographique d’alors. Aujourd’hui, nous n’avons rien de tel.
Il n’y a eu aucun investissement dans l’enseignement supérieur en France ces dernières années, aucune création d’universités. Et dans les universités existantes, il n’y a pas eu de création de postes de professeur des universités, pas de création de postes de maître de conférences, une amplification de la précarisation universitaire sous la forme des chargés de cours. Et les départs à la retraite n’étant pas remplacés, la réalité est que l’on a fermé des postes.
Parcoursup, mis en œuvre en janvier 2018, n’est dans ce contexte qu’une ruse managériale. Le mécanisme ne permet pas de répondre à la poussée démographique. Au contraire, il propose une véritable sélection, sous le couvert du mérite. Parcoursup opère en fait un tri social pour mettre des individus sur le marché du travail alors qu’ils ne comptaient peut-être pas le faire.
Parallèlement, la réforme des lycées professionnels en cours ne tend pas à améliorer la qualité de l’enseignement, mais au contraire à transformer ces lycées en boîtes d’intérim. De la même manière, le but de Parcoursup est de mettre les gens au travail en les disqualifiant. Si vous postulez à Parcoursup et que vous n’avez aucune place, l’État se décharge de vous trouver une place pour étudier. Alors, vous vous sentez coupable, et vous vous dites que, peut-être, l’université n’était pas faite pour vous et qu’il vous faut aller directement sur le marché du travail.
Le bac ne donne plus automatiquement une place à l’université, car toutes les filières sont devenues sélectives. Et l’université est depuis une vingtaine d’années le laboratoire du privé dans l’enseignement. On assiste à une multiplication d’écoles et d’universités privées.
Vous pouvez être un bon élève, avoir obtenu un excellent bac sans pour autant être assuré d’avoir une place à l’université publique. Cela génère un marché de l’angoisse : vous craignez l’échec et vous cherchez une solution pour vous mettre à l’abri. C’est le choix que font beaucoup de familles, d’aller vers le privé.
C’est une incitation passive au privé. On crée les conditions d’un marché par l’effondrement du service public. Et on convertit la question sociale de l’accès aux études supérieures en une question psychologique, en la faisant passer sous le sceau de l’échec individuel.
Johan Faerber, enseignant, docteur en littérature, corédacteur en chef de la revue en ligne Diacritik.
Photo : ©Hermance Triay