Mardi 10 mars. 11 h 30. Une soixantaine de responsables et militants d’associations locales du Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP) venus de différentes régions ont investi l’agence parisienne Boucicaut du Pôle emploi de l’avenue Félix Faure, dans le 15e arrondissement. Jacqueline Balsan, vice-présidente de l’association, est venue de Montpellier « pour dénoncer les radiations, l’offre raisonnable d’emploi, le projet personnalisé d’accès à l’emploi ». Autant de dispositifs qui ne font que « stigmatiser encore davantage des personnes déjà fragilisées. Il faut sans cesse prouver que l’on cherche du travail, que les chômeurs ne sont pas des profiteurs du système. C’est une violence indescriptible que vivent les personnes que nous recevons dans nos associations de chômeurs. Elles sont au bout du rouleau… » Face à l’augmentation programmée du nombre de chômeurs, l’association craint que la machine à radier tourne à plein afin d’atteindre les « objectifs chiffrés totalement décalés ». Dans l’agence investie, la directrice, légèrement agacée, tente de faire sortir les journalistes, négocie avec le président du MNCP et finit par capituler, laissant les militants distribuer leurs tracts et prendre la parole. « Nous ne sommes pas là pour empêcher les demandeurs d’emploi de faire leurs démarches, explique Marc Desplats, vice-président du MNCP, mégaphone en main. Nous voulons alerter sur le fait que nos centres d’accueil sont débordés, submergés par des gens qui se retrouvent dans des situations inextricables. Et puis, nous ne voulons plus être invisibles et que les décisions qui nous concernent soient prises sans nous ! »
Devant l’agence Boucicaut, les drapeaux du MNCP claquent au vent de mars, les passants sont abreuvés de tracts, on offre le café… À l’intérieur, l’ambiance reste plus feutrée et les chômeurs parisiens regardent l’agitation de loin. Ce qui ne surprend guère Chantal Gautier, venue de Saint-Gaudens pour cette action : « Ils sont dans leur agence et ils craignent les conséquences. Avec tout le matraquage médiatique qu’ils subissent, ils sont habitués à raser les murs. » De fait, c’est pour sortir les chômeurs de cette peur, de l’isolement, du repli sur soi mais aussi de la culpabilisation que les associations de chômeurs comme le MNCP, ou encore AC ! - Agir ensemble contre le chômage et l’APEIS, se mobilisent et appellent les demandeurs d’emploi à rejoindre les collectifs, à s’organiser pour mieux résister. Car pour Chantal, il n’y a pas de mystère : « Quand on est au sein d’un collectif, on a plus d’informations, on n’est plus seul face à la froideur de l’administration et on peut bien mieux défendre ses droits. » D’ailleurs, comme la plupart des membres venus ce mardi à Paris, Chantal Gautier a apporté sa liste de doléances illustrée d’exemples concrets de personnes radiées ou en mal d’inscription du fait des méandres kafkaïens du 3949. En premier lieu donc, le fonctionnement même de Pôle emploi, l’inscription obligée via le numéro de téléphone surtaxé 3949. Un outil de « déshumanisation inacceptable », selon Zalie Mansoibou qui rappelle que « l’essence du service public, c’est d’avoir quelqu’un en face de soi qui écoute, oriente, rassure aussi. Or là, la plupart des gens que nous rencontrons expliquent qu’ils ne vont pas voir leur conseiller pour chercher un emploi mais pour se faire contrôler. Avec Pôle emploi et les dispositifs de l’offre raisonnable d’emploi ou du projet personnalisé d’accès à l’emploi, les chômeurs sont a priori coupables. Mais coupables de quoi ? De ne pas trouver quelque chose qui n’existe pas ! »
La mobilisation du 10 mars a conduit le médiateur de Pôle emploi, nommé depuis un petit mois, à se déplacer sur le site de l’agence Boucicaut pour « une expérience très concrète d’une médiation nationale », comme l’a qualifiée Jean-François Yon, président du MNCP, qui insiste également sur la revendication « d’un droit à une pleine et entière citoyenneté ». « Pour nous, cette mobilisation avait deux objectifs, explique Jean-François Yon. D’une part, lancer un cri d’alarme, car nos lieux d’accueil sont surchargés de personnes en grande souffrance que nous devons souvent empêcher d’aller casser la gueule du directeur de l’agence locale de Pôle emploi ou de leur conseiller. Le deuxième objectif est de présenter nos propositions, notre plan d’urgence que nous demandons au médiateur de présenter à Christian Charpy (directeur général de Pôle emploi, NdlR). » Suppression du 3949 et de l’offre raisonnable d’emploi, refonte du projet personnalisé d’accès à l’emploi, régularisation des inscriptions, augmentation des effectifs de Pôle emploi afin de pouvoir accompagner réellement les demandeurs d’emploi, mais aussi créations d’emplois durables sur le modèle des emplois jeunes, maintien des emplois dans les services publics, augmentation des minima sociaux et reconnaissance des associations de chômeurs comme interlocuteurs dans les négociations. En effet, pour l’instant, aucune de ces associations n’est représentée au conseil d’administration de Pôle emploi toujours réservée aux cinq syndicats « représentatifs », aux organisations patronales et à l’État. Pour aller plus loin dans cette réflexion, le MNCP organise le 18 mars un colloque autour du thème de la représentation des chômeurs usagers à Pôle emploi. Dans la même veine et sur ces mêmes mots d’ordre, la Coordination des intermittents et des précaires d’Ile-de-France appelle à un rassemblement le 17 mars.
Dans ce contexte, Benoît Génuini, médiateur national du Pôle emploi, avait beau réclamer de la « confiance et du temps pour que son équipe puisse faire ses preuves afin d’organiser le système de manière la plus respectueuse possible des personnes », la « confiance est plombée d’entrée » lui ont expliqué les responsables du MNCP : « Quand le conseiller n’a rien à offrir et qu’il ne faut surtout pas que les chiffres du chômage augmentent, la méthode on la connaît : c’est la radiation. » Difficile dialogue en perspective, que les plans de licenciements massifs à l’œuvre ne risquent pas d’améliorer.