Madame la Ministre,
Depuis deux ans, nous, enseignants, chercheurs, personnels administratifs des Universités et organismes de recherche, étudiants, ne cessons d’affirmer notre complet désaccord avec la loi LRU, la réforme de la formation des enseignants et d’une façon plus générale encore avec l’esprit qui anime la plupart des initiatives et des mesures qui émanent de votre ministère. Au-delà même de la précipitation et de l’incohérence qui le plus souvent fait office de raison dans nombre de textes réglementaires, d’une gestion souvent chaotique et autoritaire des dossiers, c’est surtout contre cette idée qui est vôtre de l’avenir de l’enseignement supérieur et de la recherche que nous continuons de nous élever.
En dépit de la plus longue grève qu’ait connue le monde de l’université, grève massive qui a amplement fait la démonstration d’un refus qui dépassait les clivages habituels vous vous êtes refusée à engager de véritables négociations sur le statut des universités et vous avez continué à vouloir nous imposer cette pseudo autonomie qui renforce le contrôle de l’autorité centrale sur nos politiques scientifiques tout en vous défaussant sur nous de la gestion des précarités à venir.
Confrontée à ce mouvement général de protestation, vous vous êtes surtout dévouée à préserver vos ambitions politiques et vous vous en êtes tenue à une politique de communication indigne des problèmes rencontrés par l’université et la recherche :
– Vous vous êtes constamment employée à masquer la réduction effective des moyens alloués pour l’enseignement et la recherche, faisant jouer emplois d’enseignants contre emplois de personnels administratifs et techniciens, médiatisant la moindre prime allouée au nom d’un élitisme que vous nommez excellence et qui masque la précarité et la dépendance de la recherche accrue par les contrats doctoraux de ce que vous nommez « excellence » ;
– À notre volonté de maintenir une égalité de traitement entre les universités, vous avez répondu en tentant par tous les moyens de les opposer les unes aux autres et vous avez d’ores et déjà commencé à introduire des critères d’évaluation qui, demain, au nom d’une gestion comptable des ressources, condamneront les petites universités et rompront la nécessaire équité territoriale qui appartient au socle de la république.
– En dépit du refus général de remonter les maquettes permettant la mastérisation de la formation des enseignants, le gouvernement auquel vous appartenez s’apprête cette année à reconduire chacune des dispositions qui nous ont mis dans la rue l’an passé en y ajoutant des conditions de stage aberrantes, dangereuses - pour les élèves comme pour les enseignants en formation - et impropres à contribuer à la formation des futurs enseignants.
Madame la Ministre, nos métiers s’accommodent mal de la résignation !
La recherche, la création, la transmission des savoirs, impliquent une liberté qui est contraire à des réformes qui font de nous, dès aujourd’hui, de simples gestionnaires de la sélection sociale. Consentir à cela, sans rien dire, reviendrait pour chacun d’entre nous à renoncer à l’idée que nous nous faisons de ce que doit être une université, forte d’une tradition multiséculaire de recherche et engagée dans la création d’un avenir qui ne saurait être dicté par les besoins à courte vue de l’économie.
Madame la ministre, la temporalité de l’université ne relève pas des concepts en usage dans les écoles de commerce. Une inscription territoriale unique, tout comme une référence culturelle unique, ne sauraient en fonder la politique scientifique. Elle est de plain pied dans la société, et c’est parce qu’elle en partage les contradictions et les mouvements qu’elle peut instruire les questionnements de demain.
Madame la Ministre, l’université ne se pensera, ne se gérera et ne s’évaluera pas en termes de productivité et de rentabilité parce qu’elle repose avant tout sur le risque de la recherche. C’est ce risque, qui est au fondement du geste formateur conjoint des enseignants-chercheurs et des étudiants, qui doit être préservé par le service public. L’université est à réformer, en effet, nous le savons mieux que vous, nous qui, enseignants, chercheurs, BIATOSS et étudiants, SOMMES l’université, dans ses contradictions, et sommes dévoués à en préserver et restaurer les devenirs les plus démocratiques.
Madame la Ministre, la grève générale des universités du dernier semestre n’a été suspendue qu’aux seules fins de ne pas compromettre l’avenir des étudiants et de préserver nos formations et laboratoires. Non seulement cette suspension ne signifie en aucune façon une approbation de votre politique, mais la série de chantages médiocres auxquels vous vous êtes livrée en mai et juin dernier sur la validation des diplômes a entériné la scission qui règne désormais entre les universités et le ministère de l’enseignement supérieur.
Madame la Ministre, dans tous nos établissements, nous nous employons à rendre caduque chacune des dispositions par lesquelles vous entendez mener votre projet. Après nous être accordés à maintenir les comités de spécialistes pour assurer le recrutement des jeunes collègues, nous mettons tout en œuvre pour empêcher que s’applique la modulation des services telle que vous en avez préconisé l’instauration, nous nous employons à limiter partout les pouvoirs exorbitants que vous avez accordés aux présidents-managers, nous refusons d’appliquer les mesures de flexibilisation de l’emploi prises à l’encontre des BIATOSS, nous refusons de souscrire à l’élaboration des critères supposés partager parmi nous le bon grain et l’ivraie, nous demeurerons solidaires avec les étudiants contre toutes velléités d’établir des sélections d’entrée ou d’augmenter les droits d’inscription.
Madame la Ministre, au-delà de ces points de résistance et des journées de manifestation qui vont marquer la défense du service public de l’enseignement, de la maternelle jusqu’à l’université, il nous a semblé indispensable de témoigner devant l’opinion publique de notre résistance envers votre politique de démantèlement de l’université, de rétablir la vérité sur vos mensonges, de rappeler à chacun que l’université est un bien commun qu’il n’appartient pas à un politique de corrompre. C’est là la raison pour laquelle, nous qui avons tourné pendant mille heures au printemps dernier sur l’ancienne place de Grève, allons à nouveau faire revivre cette Ronde Infinie des Obstinés. Vous pourrez ainsi nous y voir tous les lundis à partir de 18h, et ceci jusqu’au jour où de vraies négociations seront engagées sur le statut des universités.
Notre obstination est totale en raison même des enjeux que nous défendons et qui dépassent de loin toute lecture catégorielle de ce conflit.
Notre obstination est totale car, au-delà des difficultés rencontrées pour combattre votre politique, nous savons que la communauté universitaire y est massivement hostile.
Notre obstination est totale car nous ne sommes en aucune façon disposés à renoncer à la liberté sans laquelle il ne saurait y avoir ni recherches ni créations.
Notre obstination est totale car, à vouloir transformer nos universités en entreprises, vous avez dépassé la limite de ce qui est tolérable.