L’article premier du projet de loi proposé par Jean-Michel Blanquer « pour une école de la confiance », adopté en seconde lecture par le Sénat ce mardi 14 mai, va-t-il priver les enseignants de parole ? Certains d’entre eux le craignent. Pour le syndicat enseignant Snuipp-Fsu, cet article « ouvre la voie à des restrictions de la liberté d’expression des enseignantes et enseignants ». Pourquoi ? Selon le syndicat le terme « d’exemplarité » réclamé aux enseignants est ambigu et pourrait se traduire, dans leur quotidien, par des reproches, remontrances, voire des mesures de rétorsion en cas de propos critiquant leur institution. Sur les réseaux sociaux par exemple, ou lors d’un mouvement social.
« L’étude d’impact de la loi le confirme, souligne le syndicat Snuipp-Fsu, puisque dans ce document ministériel accompagnant le texte, il est donné comme exemples d’atteintes à cette "exemplarité" les condamnations pour agressions sexuelles bien sûr mais aussi les cas où des enseignants "chercheront à dénigrer auprès du public par des propos gravement mensongers ou diffamatoires leurs collègues et de manière plus générale l’institution scolaire" ».
Intimidation et rappels à l’ordre
Dans un courrier envoyé le 29 mars à l’ensemble des enseignants, Jean-Michel Blanquer assure que l’article 1er du projet de loi « ne crée aucune obligation nouvelle pour les professeurs ». Le 14 mai face aux sénateurs, le ministre a insisté sur ce point estimant que l’article 1, « qui implique le respect des élèves et de leur famille à l’égard des professeurs, de l’ensemble des personnels et de l’institution scolaire » est « un article de respect profond des professeurs. […] Il ne vise absolument pas à accentuer le devoir de réserve du professeur. » Sur le terrain, ceux et celles qui sont engagées au niveau syndical constatent que l’attitude de leur hiérarchie se durcit.
« Ces dernières semaines, de nombreux enseignants et enseignantes s’exprimant sur le net ou dans les médias ont reçu des courriers de leur hiérarchie, leur demandant "retenue et mesure" », explique le Snuipp-FSU. Des directeurs et directrices dont les écoles ont été occupées par les parents d’élèves se sont entendus reprocher de ne pas les avoir fait sortir. Certains ont été convoqués par leur inspection. Sébastien Rome, directeur d’école à Lodève dans l’Hérault, a reçu un rappel à l’ordre et une sanction. Il s’était exprimé sur les ondes de Radio France pour signifier son opposition au projet de loi de Jean-Michel Blanquer.
« Ce sont les libertés d’expression et d’opinion qui sont attaquées frontalement par le ministre, estime le syndicat Sud éducation qui rappelle que cet article, comme l’a précisé le Conseil d’État, n’a aucune valeur ; il ne vise qu’à intimider les personnels de l’éducation nationale. » Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État a précisé que les dispositions de l’article 1 « expriment certaines des valeurs incontestables autour desquelles l’école républicaine est construite ». Mais, ajoute-t-il, « elles ne produisent par elles-mêmes aucun effet de droit et réitèrent des obligations générales qui découlent du statut des fonctionnaires comme de lois particulières assorties, le cas échéant, de sanctions pénales ». Autrement dit : cet article ne protège, juridiquement, ni les enfants agressés ni les professeurs. D’autres lois le font déjà. Quant à la liberté d’opinion des fonctionnaires, elle est bel et bien garantie. En théorie.
Photo : lors de la manifestation de la Fonction publique, le 9 mai, à Paris / © Serge d’Ignazio
Sur la réforme Blanquer :
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