Ce 20 novembre, lors de son allocution à l’occasion du congrès des Maires de France, le président de la République a peut-être définitivement dévoyé le concept de laïcité. En se prononçant sur l’application de la future loi garantissant le mariage pour tous, François Hollande a, tout en rappelant que « les maires sont des représentants de l’État », affirmé que « la loi s’applique pour tous dans le respect de la liberté de conscience ». « Les possibilités de délégations (d’un maire à ses adjoints, ndlr) existent et peuvent être élargies », a-t-il précisé.
Cette déclaration avait pour but d’apaiser la colère d’une partie des maires de France, soutenus voire poussés par les franges conservatrices de l’Église catholique, qui menaçaient de refuser de célébrer des mariages de personnes de même sexe. Certains de ces maires étaient ostensiblement présents le 17 novembre dans des cortèges d’opposants au « mariage gay ».
Mais le président de la République est le premier magistrat de France. Le maire est le premier magistrat de sa ville. Ils sont censés faire respecter et appliquer la loi. La déclaration de François Hollande vient affaiblir la portée de la future loi sur le mariage pour tous. Elle semble instaurer une sorte de droit au tri sélectif. Demain, selon la ville et les convictions des maires, les couples homosexuels verront l’exercice effectif de leur droit au mariage soumis à une incertitude [1]. Toute mairie devra accepter de célébrer le mariage pour tous. Mais par « liberté de conscience », certains élus délégueront cette mission à leurs collègues, pour ne pas avoir à appliquer eux-mêmes une loi dont ils sont pourtant les dépositaires.
Un dévoiement de la neutralité de l’État
Pire : en fondant la possibilité pour les maires de refuser de célébrer eux-mêmes une cérémonie de mariage universel, François Hollande viole la loi de 1905. Cette loi « de séparation des Églises et de l’État » instaure deux principes fondamentaux : la garantie de la liberté de conscience et la neutralité de l’État. La liberté de conscience est garantie pour tous les citoyennes et citoyens. Alors que la neutralité de l’État doit être garanti par tout agent de l’État. Les « édiles » sont officiers d’état civil. Leur permettre, en ce qui concerne le mariage universel, de se « cacher » derrière la clause de conscience revient à violer le principe de neutralité de l’État. Cela reviendrait à faire perdre son caractère laïc au mariage, en étant confronté, en allant à la mairie, non plus à un officier d’état civil mais à un officier du culte.
L’évolution des rapports à la laïcité entraine des débats passionnés et controversés, depuis plusieurs années. Avant tout vis-à-vis de l’islam, autour de la question du port du voile à l’école ou du voile intégral dans la rue. Nombreux sont les juristes, sociologues et politiques qui se sont (en vain) opposées à des lois qui dévoyaient la laïcité, en faisant peser le principe de neutralité non plus sur la puissance publique mais sur les individus, tout en ne respectant pas leur liberté de conscience.
Face aux vives critiques, François Hollande a déclaré le 21 novembre « retirer » l’expression « liberté de conscience ». Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, a précisé que « la clause de conscience » évoquée par le président de la République n’est pas prévue dans la loi qui va être présentée à l’Assemblée nationale. Si les propos de François Hollande ne se limitaient pas au cénacle des maires, mais se traduisaient dans le domaine législatif ou règlementaire, la portée de l’une des réformes majeures de son quinquennat pour l’égalité de toutes et tous devant le mariage aurait été considérablement amoindrie ; mais le président de la République aurait également et durablement dévoyé le principe de laïcité.
Eros Sana
Photo : Les Inrocks