Portes qui claquent, refus de signer, communiqués alarmistes… Chacun à sa manière manifeste son mécontentement à l’égard du projet de loi « Grenelle 2 ». Ce texte sera examiné à l’Assemblée nationale à partir du 4 mai 2010. Adopté par le Sénat en octobre dernier, il doit préciser les modalités d’applications des engagements pris par le gouvernement lors du Grenelle de l’environnement. Le renoncement à la mise en place de la taxe carbone avait déjà poussé Nicolas Hulot à « suspendre sa participation » fin mars. Depuis ce départ, le projet de loi est passé sous les fourches caudines de la « Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire ». Pas moins de 1.625 amendements déposés dont 619 adoptés. Et au final, une opposition qui vote contre le projet de loi lors de son examen en Commission le 8 avril. En cause, des amendements qui durcissent les règles d’implantation de l’éolien.
Lors du sommet de Copenhague, le ministre de l’Environnement Jean-Louis Borloo s’est engagé à ce que la France atteigne 23% d’énergies renouvelables d’ici 2020, contre 13% aujourd’hui [1], essentiellement d’origine hydraulique, le reste de la production s’appuyant sur le nucléaire et les centrales au fuel. Réaliser cet objectif suppose l’installation de 9.000 éoliennes sur le territoire national en 10 ans, contre 2.500 actuellement. Logique : la France détient le deuxième gisement éolien naturel en Europe, derrière la Grande-Bretagne. Le secteur est d’ailleurs en pleine croissance. La filière revendique la création de 10.000 emplois en quelques années, notamment dans des régions durement frappées par la crise, comme la Picardie ou la Lorraine, « leaders » régionaux en terme de puissance installée.
Quand les éoliennes menacent « l’identité de la France »…
Le Syndicat des énergies renouvelables promet la création de 50.000 nouveaux emplois « non délocalisables » dans les dix prochaines années. L’énergie éolienne est certes tributaire des alizés. Sa production réelle d’électricité est donc très inégale (22% de la puissance installée en moyenne sur l’année) mais elle s’adapte parfaitement aux pics saisonniers de consommation. Lorsqu’il fait plus froid, d’octobre à avril, les vents soufflent aussi davantage. Cela en fait un pilier de la diversification énergétique capable, selon ses promoteurs, « d’endiguer la baisse de l’emploi industriel en France ». Problème : les députés UMP ne semblent pas considérer l’éolien comme un secteur d’avenir.
En cause, trois amendements qui seraient « de nature à compromettre fortement le rythme de développement de l’éolien », selon l’Union française de l’électricité (UFE). L’organisation professionnelle déplore l’application à l’éolien du régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Les installations classées ICPE sont celles « qui peuvent présenter des dangers ou inconvénients » en matière de commodité du voisinage, de santé, de sécurité ou de protection de l’environnement. Les éoliennes risquent donc demain d’être rangées dans la même catégorie qu’une décharge, un oléoduc ou une cimenterie…
Cet amendement semble répondre à l’intense lobbying mené par Valéry Giscard d’Estaing contre les éoliennes, qui estime qu’elles détériorent les paysages. Largement cité dans le rapport de la mission parlementaire sur l’énergie éolienne, conduite par le député UMP Patrick Ollier, l’ancien Président de la République évoque une région allemande « dévastée par une ceinture d’éoliennes » (bigre !) et rappelle que « dans le paysage se lit l’histoire et donc l’identité de la France ! ». On peut se demander pourquoi VGE ne s’est pas élevé quelques dizaines d’années plus tôt contre la construction des centrales nucléaires ou la multiplication des lignes à haute tension…
Pour les professionnels de la filière, rien ne justifie le classement de leurs mâts parmi les installations à risque. L’UFE rappelle que toute implantation suppose au préalable l’établissement de zones de développement de l’éolien, une étude d’impact, une enquête publique et un permis de construire. En moyenne, « la réalisation d’un projet prend près de 5 ans entre son initiation et sa mise en service ». L’application du régime ICPE pourrait donc allonger cette durée et noircir quelque peu l’image de l’éolien. Précisons également que, contrairement au nucléaire où personne n’a eu droit au chapitre, des habitants opposés à l’installation d’éoliennes dans leur commune peuvent plus facilement interpeller leurs élus.
Énergies renouvelables : mieux vaut jamais que tard
L’installation d’éoliennes pourrait également être soumise à l’établissement de schémas régionaux. Ceux-ci restent à définir, ce qui ne sera pas le cas avant 2011. Les associations environnementales ne récusent pas le principe d’une « planification régionale » qui permettrait d’éviter l’implantation chaotique d’éoliennes. Mais elles craignent qu’une vision « centralisatrice » et « technocratique » n’enlève toute marge de manœuvre aux régions et départements, à l’heure ou plusieurs collectivités territoriales sont particulièrement actives en la matière, comme la Bretagne qui souhaite développer les énergies marines. Or, les amendements issus des travaux de la mission parlementaire sur l’énergie éolienne ne vont pas vraiment dans le sens d’une planification locale. Le texte propose d’interdire purement et simplement les petits projets, en dessous de cinq éoliennes et d’une production théorique de 15 mégawatts. Si ce seuil est adopté à l’Assemblée nationale, la moitié des projets en cours seront supprimés, estime l’Union française de l’électricité. Il y a également fort à parier que l’obligation d’implanter de grands parcs éoliens risque d’engendrer des oppositions locales majeures.
« C’est une vision centralisatrice consistant à mettre l’énergie dans les mains de gros groupes puissants, regrette Raphaël Claustre du Comité de liaison des énergies renouvelables (CLER). En affaiblissant le rôle des élus locaux, les nouvelles mesures vont créer un fossé évident entre les projets éoliens et les citoyens qui composent les territoires ». Patrick Ollier assure lui s’être clairement prononcé « pour un développement contrôlé, réglementé et contingenté [de l’éolien] pour le rendre acceptable. » Le Syndicat des énergies renouvelables craint, de son côté, que le développement de l’éolien soit « brutalement interrompu ». Un étrange paradoxe alors que les députés eux-mêmes relèvent que « la filière française a pris du retard par rapport à certains pays, tels que le Danemark, l’Allemagne, les Etats-Unis, l’Espagne ou encore la Chine ». Un retard de plusieurs années, au même titre que les filières bois et photovoltaïque…
Les pollutions radioactives banalisées
Durcissement du régime juridique de l’éolien d’un côté, « feu vert pour la contamination nucléaire » de l’autre alerte le Réseau Sortir du nucléaire. L’énergie nucléaire était jusqu’à présent écartée des discussions du Grenelle de l’environnement. Mais « une disposition assez surprenante sur le nucléaire s’est malheureusement glissée dans la rédaction de ce texte », relève l’avocat en droit de l’environnement et de l’énergie Arnaud Gossement, ancien porte-parole de France nature environnement. De quoi s’agit-il ? Pour prélever davantage d’eau ou rejeter plus d’effluents chimiques ou radioactifs, une installation nucléaire avait besoin d’une enquête publique préalable.Déposé en commission des affaires économiques au Sénat, un amendement propose de faire sauter cette réglementation et la remplace par une simple autorisation. Son auteur, Eric Diard est secrétaire national UMP en charge des énergies et de la croissance verte. Sa proposition a reçu un avis favorable. Elle est présentée comme un progrès en matière de transparence parce qu’elle « introduit une consultation obligatoire du public ».
Pour le Réseau sortir du nucléaire, c’est au contraire « un véritable blanc-seing donné à l’industrie nucléaire » et « un déni de démocratie », les populations ne pouvant plus donner leur avis sur ces augmentations. Cet amendement s’ajoute au régime dérogatoire qui autorise désormais le recyclage de certains déchets radioactifs dans les biens de grande consommation. « Le gouvernement n’a absolument pas revu à la baisse ses ambitions écologiques », rassure, le 14 avril, le Premier ministre François Fillon. Une appréciation somme toute logique pour un gouvernement qui considère qu’une centrale nucléaire est bien moins polluante et dangereuse qu’une éolienne.
Sophie Chapelle et Ivan du Roy