Un chiffre va être martelé dans les médias tout au long de la conférence de Paris sur le climat : + 2 °C. Soit le seuil limite d’augmentation de la température à ne pas dépasser par rapport à la période préindustrielle, afin de contenir les effets irréversibles du changement climatique. Dans les faits, les températures du globe ont déjà augmenté de 0,85 °C entre 1880 et 2012 [1]. La marge de manœuvre de l’humanité, d’ici la fin du siècle, n’est donc que de 1,15 °C... La partie est loin d’être gagnée, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). « Admettons que nous stoppions toute émission de gaz à effet de serre dans trois secondes : trois, deux, un... Maintenant ! Et bien l’augmentation des températures à la surface du globe ne commencerait à ralentir que dans dix ans, au minimum », résume une vidéo de DataGueule.
L’adoption de modes de vie très sobres apparaît donc essentielle mais insuffisante. En parallèle, le bilan des vingt dernières années de négociations internationales est catastrophique, avec une explosion des émissions de gaz à effet de serre en 2013 (lire notre entretien avec Amy Dahan). Dès lors, comment inverser la tendance ? Sur la Toile, un remède miracle est préconisé : « la géo-ingénierie ». Ce concept renvoie, selon le Giec, à « toute technique de manipulation délibérée et à grande échelle de l’environnement, dont le but est de contrecarrer le réchauffement climatique ». Certaines de ces techniques semblent tout droit sorties d’un livre de science-fiction, comme le montre notre enquête sur la géo-ingénierie à paraître le 4 décembre dans La Revue dessinée, brillamment illustrée par Sébastien Vassant.
La gestion du rayonnement solaire à l’étude
« Accorder une trop grande attention à ces projets pour les tourner en ridicule donnerait une image biaisée des programmes de recherche en géo-ingénierie », tient à nuancer Clive Hamilton, auteur du livre Les Apprentis sorciers du climat (éditions du Seuil, 2013) [2]. Olivier Boucher, climatologue au laboratoire de météorologie dynamique (CNRS/UPMC), fait partie des rares chercheurs en France qui étudient la géo-ingénierie, en vue de définir les potentiels et les risques inhérents au déploiement de ces techniques [3]. Il distingue deux classes de techniques de géo-ingénierie. D’abord, la gestion du rayonnement solaire, « qui consiste à rendre la Terre plus réfléchissante aux rayons du soleil, ce qui induit un refroidissement ».
C’est dans ce cadre qu’Olivier Boucher étudie dans son laboratoire l’injection d’aérosols dans la stratosphère. Il se base sur les observations passées et sur les modélisations. L’exemple souvent cité en référence est celui de l’éruption volcanique du mont Pinatubo, aux Philippines, en 1991. Les gaz projetés se transforment en particules et assombrirent suffisamment la Terre pour la refroidir d’environ 0,5 °C pendant une année. Avant que la situation ne revienne à la normale une fois le nuage de particules retombé au sol. Il serait donc possible de refroidir le climat. Mais à quel prix ?
Plusieurs études alertent sur les conséquences de l’injection intentionnelle et artificielle d’aérosols soufrés. Impacts sur le niveau de précipitations, altération de la couche d’ozone... « On se rend compte que l’on ne peut pas modifier quelque chose sans toucher autre chose », souligne Olivier Boucher, qui pointe d’autres failles. Imaginez que les gouvernements recourent à l’injection d’aérosols soufrés pendant plusieurs décennies, tout en poursuivant l’émission de gaz à effet de serre. « Que se passerait-il si l’on arrêtait soudainement la géo-ingénierie ? On verrait là un phénomène de “rattrapage climatique”, c’est-à-dire qu’en l’espace de une ou deux décennies, on rattraperait tout le réchauffement climatique évité auparavant avec la géo-ingénierie, analyse Olivier Boucher. Il y a donc un risque de changement climatique très élevé, avec des impacts importants et une adaptation beaucoup plus difficile. »
La captation et séquestration de CO2, solution miracle ?
Autres techniques de géo-ingénierie à l’étude, celles visant la captation et séquestration du CO2 de l’atmosphère. Des expérimentations ont été menées depuis les années 90 pour fertiliser ou modifier chimiquement les océans. Des tonnes de fer ont par exemple été déversées pour dynamiser la croissance des phytoplanctons, afin d’augmenter la captation de carbone organique. Mais, selon la Fondation sciences citoyennes, qui regroupe des chercheurs, toutes ces expériences ont montré des rendements extrêmement faibles – de l’ordre de 200 tonnes de carbone captées pour 1 tonne de fer déversée. « À ces niveaux de rendement, ce sont donc quelque 50 millions de tonnes de fer qu’il faudrait déverser annuellement dans les océans pour compenser les émissions humaines de carbone (autour de 10 gigatonnes par an) », analyse la fondation. De nombreux risques sont également pointés comme l’illustre cette planche extraite du prochain numéro de La Revue Dessinée :
Plus connue et déjà mise en pratique, la reforestation fait également partie des techniques de capture et de séquestration de carbone. Les opérations telles que le parrainage d’arbres dans les pays du Sud sont particulièrement sponsorisées par les grandes entreprises pour compenser l’impact environnemental de leurs activités. Mais elles ont une limite : « ce puits de carbone n’est que transitoire puisqu’une fois arrivée à maturité, la forêt émettra autant de carbone qu’elle en absorbera », indique Olivier Boucher. Autre technique prisée : la capture et la séquestration de carbone dans le sol. D’anciens puits de pétrole, de gaz ou de charbon sont utilisés pour stocker le CO2 émis aux abords des usines, par exemple. Outre les risques de fuites observées notamment sur un site gazier à In Salah, en Algérie, les détracteurs pointent le coût élevé de cette technique.
La géo-ingénierie dans les négociations ?
Ces projets de manipulation délibérée et à grande échelle du climat ont récemment fait leur entrée dans les arènes des négociations internationales. Deux techniques de géo-ingénierie – la gestion du rayonnement solaire et l’élimination du dioxyde de carbone – ont été mentionnées dans le « Résumé à l’intention des décideurs » du rapport du Giec, rendu public en septembre 2013. Des climatologues reconnaissent à demi-mots que, pour ne pas dépasser un réchauffement de 2 °C d’ici la fin du siècle, plusieurs modèles avancent la nécessité d’émissions négatives vers 2080. Ce qui suppose de pomper du CO2 présent dans l’atmosphère et de recourir, de fait, à des techniques de géo-ingénierie.
Pour autant, le Giec apporte de nombreux bémols. « Il existe peu d’éléments permettant d’évaluer quantitativement et de manière complète [ces] techniques [...] ainsi que leur incidence sur le système climatique », note-t-il. Manque de connaissances, risques de « modification du cycle mondial de l’eau », « effets secondaires indésirables »... À l’heure où une réflexion éthique devrait accompagner les recherches sur la géo-ingénierie, seul un moratoire a été adopté en 2010 sur les expérimentations de fertilisation des océans. Si ce texte est un premier pas, il n’est pas contraignant. Et laisse la porte ouverte à la croyance qu’une régulation du thermostat de la planète est possible, sans même que les sociétés tentent au préalable de reprendre leur avenir en main.
Texte : @Sophie_Chapelle
Illustrations : © Sébastien Vassant / La Revue Dessinée
Retrouvez l’intégralité de notre enquête sur la géoingénierie dans le numéro 10 de La Revue Dessinée, diffusée dans les librairies à partir du 4 décembre. Ce sujet a été proposé initialement par la Fondation Sciences Citoyennes dont l’objectif est de stimuler le débat sur les questions technoscientifiques. Basta! interviendra le 2 décembre de 18h à 20h au Place To Brief pour présenter cette enquête autour du thème "Quel est le rôle des technologies dans la transformation du monde ?”. Plus d’informations ici