Les négociations sur le changement climatique patinent. Que l’on soit ministre, négociateur, observateur, journaliste ou militant, que l’on soit enthousiaste, mesuré ou critique, cela ne fait guère débat : les difficultés pour aboutir à un « accord ambitieux, équitable, universel, limitant le réchauffement en deçà de 2°C d’ici à la fin du siècle » – objectif fixé par la diplomatie française – sont loin d’être levées. Il est délicat de prédire comment la COP21 se conclura. Bon nombre des commentateurs s’étaient d’ailleurs largement trompés en 2009, à pareille échéance de la conférence de Copenhague. Notamment ceux qui annonçaient, déjà à l’époque, un accord « historique » en s’appuyant sur les (bons) signaux qu’étaient l’élection de Barack Obama et l’engagement des pays du G8 de l’Aquila (Italie) à ne pas dépasser les 2°C et réduire leurs émissions d’au moins 80 % d’ici à 2050. On sait ce qu’il est advenu.
A six mois de la COP21, acteurs et commentateurs des négociations ne se lassent pas de chercher les signaux qui leur permettent d’étayer leurs diagnostics et prévisions. Des prévisions à prendre avec prudence, tant toutes restent discutables. Prenons deux exemples qui proviennent d’acteurs engagés dans les négociations depuis de longues années et convaincus de l’urgence à agir. Les deux types d’acteurs sont suffisamment lucides pour reconnaître qu’il n’y aura pas de « Grand soir du climat » à Paris, ni dans les négociations, ni à l’extérieur des négociations. Leurs analyses diffèrent de par les signaux qu’elles mobilisent, ainsi qu’en fonction des leviers d’action et du story-telling qu’elles activent en vue de la COP21.
Côté face : entre effets d’annonce et prudence
D’un côté nous avons ceux qui pensent que les conditions d’un accord sont (presque) réunies. Les Etats-Unis et la Chine ont signé une déclaration conjointe qui les engagent respectivement à réduire leurs émissions et à ne plus les augmenter, preuve de leur volonté d’aboutir à un accord à Paris. Tendance qui serait confirmée par la déclaration du G7, jugée comme positive en raison de la mention du terme « décarbonisation ». En acceptant de négocier sur la base d’un texte unique, l’ensemble des pays de la planète auraient également exprimé leur désir d’un accord. Ces acteurs et commentateurs des négociations, comme Pascal Canfin, ancien ministre du développement, font également remarquer que les engagements pris par une série de multinationales et d’acteurs financiers en matière de climat – y compris Standard & Poor’s qui annonce vouloir intégrer l’évaluation du risque climat dans sa notation des entreprises – n’auraient pas été envisageables avant Copenhague. Enfin, la compétitivité accrue des renouvelables serait le signal-prix qui manquait, preuve que nous serions « à un point de basculement vers l’économie bas carbone ».
Ils restent néanmoins relativement prudents et modestes sur les attentes vis-à-vis de la COP21 elle-même. « A Paris, nous ne serons pas en capacité d’être dans un scénario de limitation du réchauffement à 2 °C » affirmait Laurence Tubiana, négociatrice en chef de la France, au lendemain de la conférence de Lima. Une prudence redoublée par le criant manque de financements sur la table des négociations. Ce qui qui les conduit à proposer qu’un objectif de long terme, autour de la « décarbonisation » des économies, pour 2050, ou 2100, soit intégré à l’accord. L’idée est la suivante : fixer l’horizon, là où il faudrait arriver, et obtenir un accord qui fasse que les pays soient (un peu ? beaucoup ?) tenus de revoir, rapidement et à la hausse, leurs objectifs, pour aller plus loin dès après 2015. « Créer les conditions pour revenir sur la bonne trajectoire », voilà les objectifs qu’ils assignent à la COP21. Comment y arriver ? Répéter à satiété qu’un tel accord est possible (et croire en la performativité de son discours – le wishful thinking en anglais) afin que des énergies positives se mobilisent et qu’un climat incitatif s’installe.
Côté pile : la conviction d’une absence d’un véritable accord à Paris
De l’autre côté, nous avons des acteurs et commentateurs des négociations qui regardent ces mêmes signaux différemment. Ils font remarquer qu’il y avait déjà eu un accord sino-américain engageant les deux pays en prélude de Copenhague, sans que cela n’empêche l’échec. Pas plus que la déclaration du G8 de 2009 qui, par bien des aspects, était plus volontariste que celle du G7 de 2015. Ils ajoutent que les annonces des principaux pollueurs de la planète (Etats-Unis, Union européenne, Chine, Russie, Japon, Canada, Australie, etc) ne sont pas à la hauteur de l’ambition des 2°C et qu’il n’y a aucune raison qu’elles soient (rapidement) revues à la hausse, pas plus avant qu’après Paris.
Pour eux, le boom des renouvelables ne réduit aucunement l’attrait pour les énergies fossiles, secteur dont les investissements ne cessent de progresser, repoussant d’autant l’horizon d’une économie « bas carbone » ou, mieux, « décarbonée ». Tandis que les déclarations de certaines multinationales de l’énergie en faveur de l’introduction d’un prix mondial du carbone sont analysées comme étant le résultat de la concurrence entre les industries gazières et charbonnières : les premières veulent un renchérissement du prix du charbon plus que des politiques permettant de réduire la consommation d’énergies fossiles, engagées qu’elles sont dans l’exploration d’hydrocarbures non conventionnels.
Comment inverser les rapports de force
Peu convaincus par la possibilité d’obtenir un accord à la hauteur des enjeux à Paris, ces observateurs, dont nous faisons partie, tournent leur regard ailleurs, à la recherche d’autres signaux. Ils regardent vers ces milliers d’étudiants qui ont obtenu que leurs universités désinvestissent des énergies fossiles, encourageant des fonds institutionnels, publics et privés, à en faire autant (Divest, la campagne désinvestissement). Ils regardent vers ces activistes, qui aux quatre coins de la planète, bloquent l’exploitation de nouveaux gisements d’énergies fossiles ou la construction de nouvelles infrastructures (Blockadia). Ils regardent vers tous ces citoyens qui expérimentent de nouvelles façons de vivre, d’habiter, de se loger, de consommer, de se déplacer, donnant à voir ce que pourrait être un monde post-fossile où il fait bon vivre (Alternatiba). Convaincus que les négociations sont déconnectées de la réalité de la globalisation économique et financière, ils se tournent également vers ce qui n’est pas à l’ordre du jour des négociations et qui pourtant génère des impacts majeurs sur le climat, comme les accords de libéralisation du commerce (Tafta, Ceta).
Les premiers répondront aux seconds qu’ils partagent l’importance des mobilisations citoyennes, qu’ils sont prêts à les soutenir mais qu’il est peu vraisemblable qu’elles inversent les rapports de force actuels d’ici la COP21. Ils leur diront, peut-être en off, qu’ils n’ont pas tout-à-fait torts sur la dramatique inertie des négociations – 60 % d’émissions supplémentaires en 20 ans de négociations – mais qu’il n’existe pas aujourd’hui de cadre alternatif qui assure la représentation des pays les plus vulnérables (un pays = une voix). Ils leur feront enfin remarquer que l’organisation de la COP21 est une opportunité à saisir pour imposer à des gouvernements et des collectivités parfois récalcitrants des décisions moins nocives pour le climat, y compris en matière de commerce et d’investissement.
Autant d’objections que ne sont guère contestables. Pour autant, est-il acceptable que des champions de la pollution soient devenus sponsors de la COP21 ? Est-il raisonnable que les gouvernements et chefs d’Etat soient plus enclins à écouter les recommandations des multinationales et des promoteurs du business as usual, qui nous conduisent vers le chaos climatique, que celles portées par les ONG, associations, syndicats et collectifs citoyens ? Comment tolérer que l’Union européenne déclare, en notre nom, à Bonn, qu’il est hors de question de revoir à la hausse les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020, alors que les cinq prochaines années sont décisives pour avoir une chance de ne pas dépasser les 2°C ? Autant de signaux contraires à l’idée selon laquelle un (éventuel) accord à Paris pourrait être une étape majeure dans la lutte contre les dérèglements climatiques. Autant de raisons pour ne pas laisser croire à la population que notre avenir doit rester dans les mains de ceux qui négocient cet éventuel accord à Paris.
La COP21, caisse de résonance des luttes pour la justice climatique
Ce point est d’ailleurs, et sans aucun doute, le grand désaccord entre les deux approches présentées ici. Que dire à la population et quel rapport instituer avec la COP21 ? Quelle histoire raconter autour de la COP21 ? D’un côté, la tendance est plutôt de laisser entendre que la COP21 pourrait être un moment historique, qu’il faudrait focaliser toutes les énergies pour faire pression sur les gouvernements et que cela pourrait constituer une étape majeure vers des sociétés « bas carbone ». Au risque de susciter des attentes similaires à Copenhague et pareilles désillusion et démobilisation après.
De l’autre, la tendance est à affirmer qu’il n’y a pas grand chose à attendre de la COP21, que les jeux sont largement déjà joués, et qu’il faudrait au contraire utiliser ce moment comme une caisse de résonance afin d’engager les énergies citoyennes dans des batailles de long terme pour la justice climatique. Sans doute au risque de (trop) minorer ce qui se joue dans les négociations, notamment sur le plan géopolitique.
Ce débat est fondamental. Il est sur la table. Il faudrait en discuter ouvertement. Au sein des ONG et des associations. Mais aussi entre les ONG et les acteurs des négociations qui sont sincères en matière de lutte contre les dérèglements climatiques. Ce débat est fondamental car il touche au cœur du problème : quels sont les leviers à activer pour sortir de l’âge des fossiles, tout en assurant la démocratie et la justice sociale ? Immense débat qui ne peut se réduire à l’interprétation de signaux épars et contradictoires pour commenter des négociations qui n’ont jamais fait preuve de leur efficacité.
Maxime Combes, économiste, membre d’Attac France et de l’Aitec.
Photo de Une : GoFossilFree
Illustration : Rodho (voir son blog)