Marie les a croisés une après-midi pluvieuse : des formes encapuchonnées et trempées parcourant le bocage. Une invitation à se chauffer près du feu et à partager un thé, voilà comment a commencé une amitié durable entre des habitants voisins de la ZAD, la « zone d’aménagement différé » retenue pour le projet d’aéroport nantais, et des « zadistes », des occupants de la « zone à défendre », opposés à ce même projet.
Depuis, ils lui rendent régulièrement visite, « histoire de récupérer, et de profiter de la chaleur de la cheminée, parce qu’ils vivent ici dans des conditions de froid et d’humidité qui sont rudes. On peut leur apporter un peu de confort de temps en temps, quand ils crapahutent au quotidien dans la boue. » Ils viennent toujours sur invitation, jamais en s’imposant. Et à chaque fois dans l’échange, en apportant un panier de légumes par exemple.
Une image bien éloignée de celle que voudraient imposer la préfecture et le ministère de l’Intérieur, qui stigmatisent ce 23 novembre une « opposition radicale à l’aéroport » qui « a appelé à la violence ». L’aéroport, Marie et ses discrets invités n’en font pas un sujet de conversation incontournable. « Nous sommes d’accord sur l’absurdité du projet. Mais nous n’en parlons pas beaucoup, finalement. Ce que nous partageons, ce sont des instants. Des recettes de cuisine, des graines de légumes, des coins à champignons, des bouquins. Parfois, on écoute de la musique ensemble. » Et si les discussions politiques sont rares, il n’empêche que leur façon de vivre et de penser le monde interpelle.
« Ils ont gagné cette simplicité volontaire. Ils sont dans le faire. Pas besoin de monter sur une estrade pour de grands discours », constate son compagnon, étonné, et un soupçon séduit, par leur mode de fonctionnement.« C’est hyper démocratique. Ils discutent énormément. Ils pèsent le pour, le contre. Et à la fin ils marchent comme un seul homme. Ça fonctionne plutôt bien. » La preuve : un mois de résistance face aux forces de l’ordre. « Cent pelés face à des forces incomparables. » Et cette journée du 17 novembre, quand 30 000 personnes ont participé à la reconstruction de plusieurs lieux, démolis en octobre par les autorités. Sans oublier l’acharnement des premières expulsions : des policiers urinant sur les matelas, détruisant potagers et parterres de fleurs, cisaillant freins et chaînes des vélos, principal moyen de locomotion des zadistes. « N’importe quel citoyen serait outré. »
Des violences d’État qui ne font que renforcer la solidarité
Marie et les zadistes partagent aussi cette tristesse liée aux destructions sauvages auxquelles ont procédé les forces de l’ordre. « C’est extrêmement violent de se faire démolir la maison que l’on a construit de ses mains », confie une jeune occupante, qui habite la ZAD depuis plusieurs années. Pour celles et ceux qui sont nés dans les maisons rasées, qu’ils soient favorables ou non à l’aéroport, c’est leur histoire qui a été balayée d’un coup, avec une grande brutalité. Cela va laisser des traces.
Ce 23 novembre, Marie va encore se faire un sang d’encre pour celles et ceux qu’elle connaît. Plus de 500 gendarmes ont débarqué au petit matin avec les pelleteuses. « Ça attaque de partout », dit-on sur place. Les bombes lacrymos pleuvent. Le gouvernement n’entend pas se laisser « dicter une vision du monde qui n’est pas la sienne », selon Jean-Marc Ayrault [1]. Il semble ne pas avoir compris que les violences d’État ne font que renforcer la détermination et la solidarité. Si l’on en croit les messages laissés sur le site des occupants et les dizaines de rassemblements de soutien qui s’improvisent en Bretagne, en Loire-Atlantique et ailleurs, la ZAD n’est pas prête de se vider.
Texte et sons [2] : Nolwenn Weiler
Photos : Laurent Guizard