« Ce n’est pas de la violence. Le bon mot, c’est de la colère », souffle Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de l’association Droit au logement. Assis sur les bancs de l’une des salles d’audience du tribunal de grande instance de Paris, le militant fait partie de l’une des quatre associations et organisations syndicales (Droit au logement, CGT chômeurs, Agir contre le chômage et la CGT spectacle) assignées en référé par la société DFS France mardi 27 juin. L’entreprise gère le grand magasin parisien La Samaritaine.
Le 12 février 2023, une trentaine de militants sont entrés dans la Samaritaine. Portant deux banderoles, il et elles scandent alors les slogans affichés. L’une énonce « Le 16 février, déchaînons notre colère » ; l’autre « Retraite, Logement, chômage : les riches nous font la guerre ». L’occupation, qui a duré trente minutes, avait pour vocation de « cibler la réforme des retraites, celle de l’assurance chômage, et la loi anti-squat », explique Victoire Bech, de la CGT chômeurs.
Interdiction de retourner sur les lieux
« Violence », c’est le mot utilisé par l’avocat de DFS France pour désigner l’action. L’entreprise a demandé l’interdiction pour les manifestants de retourner sur les lieux sous peine d’une astreinte de 2000 euros par infraction constatée et par personne, ainsi que le remboursement des frais de justice.
« Les manifestants sont entrés masqués, équipés de lunettes de soleil et d’écharpes, ce qui représente une forme de violence et peut susciter la crainte des clients étrangers venus faire leurs achats », plaide l’avocat de DFS France Aurélien Louvet. Son argumentaire est pourtant contredit par les images de la manifestation diffusées sur les réseaux sociaux, sur lesquelles on distingue une majorité des visages, à l’exception de ceux munis de masques chirurgicaux.
« Pendant l’action, on n’a rien cassé, c’était une simple prise de parole. Demander quelques milliers d’euros à des précaires, c’est le comble de l’indécence », tempête Alain Veradas, militant de l’association Agir contre le chômage. Il est venu soutenir les associations mises en cause par DFS France lors d’une manifestation organisée le 12 juin.
Cette manifestation portait le nom de « Fête à Bernard ». Car la société DFS France a pour actionnaire unique DFS Venture Singapour, qui est majoritairement détenu par le conglomérat LVMH, celui de Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France.
Une action « purement symbolique »
« L’action était purement symbolique, défend la coordinatrice du comité de Paris de la CGT chômeurs Victoire Bech. À La Samaritaine, le moindre sac à main coûte 4000 balles, ce qui est en déconnexion totale avec les chômeurs qui vivent avec moins de 1000 euros par mois. C’était une manière de dire "les gueux viennent dans vos lieux de sociabilité". »
Au tribunal, l’avocat de DFS France tente de relier les faits à une autre manifestation survenue dans les locaux de la Samaritaine, le 22 décembre 2022. Au cours de cette autre action, des salariés de DFS France et des membres de la CGT commerces et services avaient occupé les lieux afin de demander une augmentation des salaires, entraînant une brève fermeture de la Samaritaine.
« Il faut faire la distinction entre les deux événements, argumente l’avocat des quatre associations assignées, Matteo Bonaglia. L’action du 22 décembre relève de l’exercice du droit de grève et dénonçait les conditions de travail difficiles. Celle du 12 février dénonçait les politiques gouvernementales au détriment des précaires. » Face à ce procès, le porte-parole de Droit au logement Jean-Baptiste Eyraud constate de son côté que « les classes dominantes sont de moins en moins tolérantes face à la colère des classes populaires ». Le jugement sera rendu le 25 juillet.
Maÿlis Dudouet
Photo : Lors de la manifestation La Fête à Bernard le 12 juin 2023 devant la Samaritaine/©Maÿlis Dudoudet.