Plus de 810 000 lycéens et étudiants avaient jusqu’au 31 mars pour confirmer leurs vœux sur la nouvelle plateforme Parcoursup et choisir parmi les 13 000 formations et filières proposées sur cette plateforme. Au 22 mai, 400 000 demeurent sans propositions d’affectation, dont une proportion encore inconnue se verront refuser toutes leurs options.
Avec APB, 80 % des étudiants disposaient d’une affectation avant le bac
De 2009 à 2017, les élèves de terminale indiquaient leurs vœux par préférence, avec un maximum de 24 filières. À l’exception des cursus annoncés comme sélectifs, les responsables d’une formation ne pouvaient pas classer les candidats ni examiner les dossiers scolaires. Ils annonçaient le nombre de places disponibles dans tel cursus et laissaient ensuite les affectations se faire. Entrait alors en jeu l’algorithme d’Admission post-bac (APB) pour répartir les candidats. Quand la demande était supérieure à l’offre, et après avoir épuisé tous les critères – académie, niveau de préférence, situation familiale –, l’algorithme procédait à un tirage au sort pour départager les élèves ayant obtenu le même classement.
Malgré ses défauts, ce mécanisme était alors perçu comme plus cohérent avec le principe de libre accès à l’université. Autre avantage : lorsqu’un candidat était accepté pour l’un de ses premiers vœux, toutes ses autres demandes moins prioritaires étaient annulées, libérant rapidement des places pour d’autres. Par exemple, si le troisième vœu d’un futur bachelier était accepté, et qu’il était donc sûr d’être au moins inscrit dans la troisième filière de son choix, ses quatrième, cinquième et vœux suivants étaient annulés. Ce qui n’est plus le cas avec Parcoursup, chaque candidat pouvant initialement obtenir plusieurs affectations, empêchant ainsi, jusqu’à ce qu’il détermine définitivement son choix, d’autres bacheliers d’y accéder.
Résultat : avec APB, à la mi-juillet 2017, 85 % des futurs étudiants avaient reçu une proposition d’affectation (80 % début juin). 87 000 demeuraient en attente, principalement pour des filières en forte tension comme Staps (Sciences et techniques des activités physiques et sportives), la première année commune aux études de santé (Paces), le droit ou la psychologie. Au final, à la rentrée 2017, 3000 candidats (0,35 % des candidats) se sont retrouvés sans affectation. Moins d’1 % ont été concernés par le tirage au sort en 2017. La Cour des comptes, opposée au tirage au sort, souligne elle-même dans un rapport d’octobre 2017 que : « Les effets réels de ce tirage au sort dans l’éviction de certains candidats restent circonscrits si on considère les volumes traités par l’outil APB. » L’algorithme d’APB, dit de « Gale Shapley », est toujours reconnu comme le meilleur algorithme d’affectation. Les grandes écoles d’ingénieurs l’utilisent encore pour répartir les candidats à la suite des concours d’entrée.
300 000 étudiants de plus en 2026
Même « circonscrit », ce tirage au sort a attiré les critiques. Le nouveau gouvernement fraichement nommé dénonce alors APB comme à l’origine de ce « scandaleux » dernier recours. Or, comme l’explique David Cayla, maître de conférences et membre des économistes atterrés, sur Médiapart, le problème ne vient pas d’APB mais du manque de moyens alloués à des universités saturées. « APB avait été pensée en fonction d’une logique qui postulait que l’offre de formation des universités était infinie et que tout étudiant refusé dans les formations sélectives pourrait de toute façon s’inscrire en fac. »
Cette logique est devenue insoutenable pour les universités à partir de 2015, avec des moyens en baisse, tant dans la capacité d’accueil qu’en nombre de professeurs (voir notre article). Elles ont donc été obligées de décréter des capacités maximales dans certaines filières. Autre problème majeur : l’augmentation continuelle d’étudiants arrivant dans le secondaire. Ce que résume Thomas Piketty sur son blog dans une équation simple : depuis 2008, le budget de l’enseignement supérieur a augmenté de 10 %, le nombre d’étudiants de 20 %. À la rentrée 2018, 28 300 étudiants supplémentaires sont attendus rien que dans l’enseignement supérieur public selon une note du ministère. Dans les dix prochaines années, près de 300 000 jeunes supplémentaires souhaiteront suivre des études supérieures, soit 2,9 millions d’étudiants contre 2,6 millions pour la rentrée 2018. Le tirage au sort est le résultat de la pénurie de places dans l’enseignement supérieur public.
Comment fonctionne Parcoursup ?
À la différence d’APB, l’algorithme Parcoursup laisse la possibilité à chaque formation d’introduire ses propres critères pour sélectionner ses candidats. Au lieu de classer leurs vœux selon leur préférence, les futurs étudiants doivent donc écrire des lettres de motivation et joindre des CV – un « projet de formation motivé ». Il n’est même pas sûr que ces dossiers soient vraiment étudiés par les commissions de chaque établissement et université : consacrer 3 minutes pour chacun des 7 millions de vœux représente 350 000 heures de travail, soit l’équivalent de 2300 postes à temps plein pendant un mois. « Ce temps de travail n’étant pas financé, ce seront (d’obscures) algorithmes locaux qui réaliseront ce classement. Les CV et lettres de motivations seront classés par le très efficace algorithme de classement vertical, c’est à dire à la poubelle », prévenait un ingénieur (lire ici).
Captures d’écrans envoyées par des lycéens via Twitter.
Quand bien même les commissions auraient le temps de lire tous ces documents, seules se démarquent les lettres de ceux disposant de ressources familiales plus importantes ou pouvant payer des coachs privés pour le faire. Comme l’expliquent près de 200 personnels d’université dans une tribune publiée sur Médiapart : « Conscient qu’il serait humainement impossible de procéder à tel classement ([…] quel cerveau pourrait comparer puis hiérarchiser, aussi rationnellement qu’équitablement, 3000 voire 5000 dossiers selon les filières ?), le ministère a mis à la disposition des équipes pédagogiques un outil informatique dit d’"aide à la décision". »
Sélectionner selon le lycée d’origine
Quel est cet outil « d’aide à la décision » ? Une commission des vœux, regroupant enseignants et responsables de formation, utilise alors Parcoursup comme un algorithme local pour sélectionner les « attendus » – notes dans telle matière, activités extra-scolaires, motivation affichée, etc. – qu’elle souhaite prendre en compte et la pondération de chacun d’eux. En plus des bulletins de note de première et de terminale, certaines formations peuvent prendre en compte des critères comme une inscription dans un club de sport, à des cours de musique ou même des séjours à l’étranger. La fréquence de ces activités extra-scolaires dépend bien évidemment du milieu social et des ressources familiales et financières de chaque jeune. Les universités ne sont pas tenues légalement de dévoiler ces algorithmes locaux et donc, leurs critères de sélection.
Pire : pour sélectionner les candidats à des études de santé, l’université Paris-Descartes prend, par exemple, en compte le taux de réussite au bac du lycée d’origine. Un bachelier provenant d’un quartier défavorisé, dont le lycée affiche un taux de réussite au bac très moyen, sera donc défavorisé par rapport à un élève d’un établissement plus prestigieux, et socialement plus sélectif. Un lycéen potentiellement brillant, mais dit « turbulent » pendant sa scolarité, pourra également être écarté si les appréciations des chefs d’établissement (inscrites dans des « fiches Avenir », sic) sont prises en compte. Cela explique en partie pourquoi les lycéens ont craint de se mobiliser de peur de se faire remarquer.
Des files d’attente démesurées
L’ensemble de ces critères, pondérés à la discrétion des établissements, sont alors convertis en note de 0 à 20 pour classer les élèves avant que l’algorithme national ne rentre en jeu [1]. Hormis dans les filières sélectives qui peuvent répondre « non », les universités décident alors de répondre « oui » et d’accepter le candidat, « oui, si » lorsque qu’un candidat sera accepté sous condition de suivre un parcours individualisé pour combler certaines lacunes, ou mettre « en attente » un candidat jusqu’à que ce qu’une place se libère. Les universités attendent d’ailleurs toujours les nouveaux moyens financiers mis à leur disposition pour assurer ces parcours personnalisés.
Dernière différence, les résultats d’affectation ne sont plus donnés en bloc mais « au fil de l’eau ». À la différence d’APB qui répartissait en fonction des préférences des candidats, le fonctionnement de Parcoursup a pour conséquence de voir une élite lycéenne « truster » les premières places. Ces candidats, bien classés, seront systématiquement acceptés par plusieurs universités, bloquant autant de places dans l’attente de leur choix définitif.
Un candidat moyen venant d’un lycée moyen risque donc de patienter longtemps pour obtenir au moins une première proposition d’affectation, sans doute peu désirée, le contraignant à donner une réponse par défaut. Un candidat d’un lycée bien côté de centre-ville pourra, au contraire, attendre pendant plusieurs jours [2], l’obtention d’une meilleure formation qui l’a mis en attente et bloquer une ou plusieurs places dans un autre cursus « au cas où ». De quoi provoquer immanquablement de gigantesques files d’attentes et une pression accrue pour les « mis en attente », à quelques jours du bac…
La tentation du sur-booking
Comble du mécanisme de Parcoursup, en plus des files d’attentes, certaines formations craignent de se retrouver en sous-effectif au moment des choix définitifs des candidats. Avec APB, les équipes pédagogiques pouvaient, grâce aux classements des vœux par les candidats eux-mêmes, estimer assez précisément le nombre de « oui » à attribuer. Elles tablaient sur le fait qu’un certain nombre de candidats auxquels elles répondaient favorablement – mais pour qui ce vœu n’était pas prioritaire – allaient finalement s’orienter ailleurs. Ce que faisait automatiquement l’algorithme d’affectation d’APB avant même la première phase.
Cette évaluation est impossible à réaliser avec Parcoursup. Exemple : si une formation dispose de 100 places, et qu’elle ne répond oui qu’aux 100 candidats les mieux classés – sans connaître leurs propres priorités –, elle risque d’en voir partir 50 ailleurs, vers des vœux plus intéressants pour eux, et de ne se retrouver finalement qu’avec 50 étudiants pour 100 places. Certains cursus risquent donc d’être tentées par le « sur-booking » pour éviter cette situation et atténuer la taille des files d’attente, en acceptant par exemple 200 candidats pour 100 places, puis en espérant que 100 candidats préféreront finalement s’inscrire ailleurs. Un coup de poker qui déplace la responsabilité du ministère pour le manque de places, en cas de sur-effectif, vers les chefs d’établissements.
Un système qui risque encore d’amplifier les inégalités
La ministre de l’Enseignement supérieur avait promis en mars qu’« aucun candidat à l’université ne recevra un "non" ». Un mois plus tard une note du ministère explique qu’à l’issue la procédure, le 6 septembre, des élèves « en attente » pourront recevoir une « notification de décision négative ». « Le dispositif Parcoursup a ceci de pervers qu’il aboutit à ce que des étudiants, qui n’ont officiellement été refusés nulle part, se retrouvent sans formation à la rentrée », estime l’économiste David Cayla. « Va-t-on voir les médias évoquer la situation de milliers d’étudiants sans affectation à la rentrée ? Cela est en réalité très peu probable. Car à l’inverse de ce qu’il se passait pour APB, les candidats non affectés auront tous été classés et triés préalablement, et ceux qui seront exclus de l’enseignement supérieur seront vraisemblablement les titulaires de bacs professionnels ou technologiques avec des dossiers scolaires faibles. »
Un rapport du Conseil national d’évaluation du système scolaire indiquait, en septembre 2016, que la France était le pays le plus inégalitaire en matière d’éducation parmi les 35 membres de l’OCDE [3]. Si les prévisions sur le mode de sélection de Parcoursup se confirment, la situation ne s’améliorera pas, les bacheliers avec des parcours scolaires compliqués ayant une forte probabilité d’être, de fait, exclus de l’enseignement supérieur, sans même avoir l’occasion d’y tenter leur chance. Des universités et des enseignants ont cependant résisté à ce système implacable. Le syndicat Snesup-FSU avait appelé, dès le 27 mars, les enseignants à classer les candidats selon seulement deux critères : l’obtention future du bac, qui « prouvera que les attendus sont possédés », et la demande d’inscription, qui « témoigne de la motivation suffisante ». Ce qu’ont fait plusieurs dizaines de commissions à Nantes, Paris 1, Rouen ou Lille. Des personnels universitaires se sont également mis en grève pour protester contre Parcoursup et les interventions policières réprimant la contestation étudiante.
Mathieu Paris