Au Parlement européen, le RN s’oppose aux droits des femmes et au salaire minimum

par Emma Bougerol, Rachel Knaebel

Que votent nos parlementaires européens ? Sur le droit à l’avortement, la liberté de la presse, les droits des travailleurs, le RN est le plus souvent contre, ou absent. Décryptage à un mois des élections européennes du 9 juin.

Selon les sondages, la liste du Rassemblement national (RN) menée par Jordan Bardella arriverait en tête des élections européennes qui se dérouleront le 9 juin en France. Le parti d’extrême droite pourrait ainsi devenir le premier groupe d’eurodéputées français à Bruxelles, devant Renaissance, et devant la gauche.

Aujourd’hui, 79 députées françaises siègent au Parlement européen. Les deux groupes les plus importants sont celui de Renaissance et apparentés (avec 23 élues, dont des Modem, Agir, Horizons, Parti radical) et celui du Rassemblement national (18). Viennent ensuite les écologistes (12), Les Républicains (7 LR et une centriste), le groupe socialiste et apparentés (7 élues, dont un qui a quitté Renaissance, deux de Place publique, un Nouvelle donne), et la France insoumise (6).

On trouve aussi un député Reconquête, le parti d’Éric Zemmour, et quatre eurodéputées françaises non inscrites, qui sont aussi d’extrême droite. Élues au Parlement européen avec le RN en 2019, trois l’ont quitté pour Zemmour en 2022, un autre a été exclu du groupe.

Du droit à un salaire minimum digne pour tous et toutes au droit à l’avortement et à la liberté des médias, le Parlement européen a adopté une série de positions progressistes ces deux dernières années. En dépit de l’opposition de l’extrême droite française.

Salaire minimum européen : le RN est contre

Le 14 septembre 2022, le Parlement européen vote en faveur d’un salaire minimum européen. Cela ne signifie pas que chaque pays aura le même salaire minimum. Il s’agit plutôt de s’assurer que chaque citoyenne et citoyen puisse vivre dignement de son travail. Aujourd’hui, même si 22 pays membres sur 27 ont défini un salaire minimum, les écarts de salaire au sein de l’Union restent conséquents : en 2023, le salaire minimum en Bulgarie était de 399 euros par mois face à plus de 2500 euros au Luxembourg.

Comme le coût de la vie n’est pas le même partout en Europe, ce salaire minimum sera défini en fonction d’un « niveau de vie décent », estimé, pour chaque pays, en prenant en compte le pouvoir d’achat, les niveaux de revenus moyens ou le seuil de pauvreté.

Infographie : ©Christophe Andrieu

Presque tous les groupes d’eurodéputées français ont voté en faveur du texte. Tous, sauf le Rassemblement national, qui a pris position contre le salaire minimum européen.

Pourquoi le RN a-t-il voté contre ? L’Union européenne n’a pas à légiférer pour assurer un salaire digne, argumentait alors l’eurodéputée RN Dominique Bilde : « La question des rémunérations est une compétence exclusivement nationale. » Tant pis pour les salariées des pays européens qui n’ont pas de salaire minimum.

Protection du droit à l’avortement : le RN aux abonnés absents

Lors du vote sur la constitutionnalisation de l’IVG en France en mars dernier, une majorité des députées RN ont voté pour cette inscription du droit à l’avortement dans la Constitution (46 sur 88). Les autres ont voté contre (12), se sont abstenues (14) ou n’étaient pas là (16).

Le 4 mars 2024, l’eurodéputé et président du Rassemblement national Jordan Bardella affirme même, « refuser qu’une seule femme en France puisse un jour s’inquiéter de voir un de ses droits reculer ».

Infographie : ©Christophe Andrieu

Au Parlement européen, les votes de son groupe contredisent cette déclaration. Le 7 juillet 2022, alors que la Cour suprême des États-Unis vient de défaire la protection constitutionnelle du droit à l’avortement, les eurodéputées adoptent une résolution pour affirmer la « nécessité de protéger ce droit ainsi que la santé des femmes, y compris dans l’Union européenne ».

Ce jour-là, l’ensemble du groupe RN est absent lors du vote, alors que tous les autres parlementaires de France votent pour cette défense du droit à l’avortement.

En avril 2024, le Parlement européen adopte une nouvelle résolution sur le sujet, appelant cette fois à inclure le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, par 336 voix pour, 163 contre et 39 abstentions.

Les Verts et LFI votent en faveur de la résolution, comme les groupes Renaissance et socialistes. Les élus LR sont toustes absentes sauf une, qui vote pour. À nouveau, les élues du groupe RN ne sont pas là, ou s’abstiennent.

En avril dernier, les eurodéputées se sont aussi exprimées au sujet d’une loi extrêmement répressive contre les personnes LGBTQI+ qui vient d’être promulguée en Ouganda. Elle prévoit la réclusion à perpétuité et jusqu’à la peine de mort pour des relations homosexuelles. Face à cette répression des personnes LGBTQI+, qui menace aussi au Ghana, les eurodéputées décident dans leur majorité, de s’exprimer en faveur de la dépénalisation universelle de l’homosexualité et de la transidentité.

Infographie : ©Christophe Andrieu

Chez LR et divers droite, sur huit eurodéputées, quatre votent en faveur de la résolution, trois s’abstiennent et l’un n’est pas présent au moment du vote. Le RN vote cette fois pour en majorité (malgré un contre et des absents), alors que ses alliés d’extrême droite, les partis représentés dans les groupes Identité et démocratie (dont le parti allemand AfD), et Conservateurs et réformistes européens (ECR, dont fait partie entre autres le parti de la Première ministre italienne et le parti espagnol Vox), ont majoritairement voté contre ou se sont abstenus.

Les élues Nicolas Bay (Reconquête), Brice Hortefeux (LR) ou Nadine Morano (LR) se sont aussi abstenues. « Jordan Bardella s’est pour sa part contenté d’assister à la séance sans prendre part au vote du texte complet », rapportait le magazine Têtu.

Dans un autre vote sur les droits des personnes LGBTQI+, en octobre 2022, le RN s’était abstenu en bloc plutôt que de voter pour. Le Parlement européen avait alors dénoncé les crimes contre les personnes LGBTQI+ à la suite d’un meurtre homophobe en Slovaquie. Presque tous les eurodéputées s’accordent alors à condamner l’acte de haine, sauf le parti de Marine Le Pen.

Protéger la liberté des médias : le RN contre

Le 13 mars 2024, les élues européennes valident un accord pour la protection de l’indépendance des médias. Il s’agit de mieux soutenir les médias de services publics et aussi d’interdire l’espionnage des journalistes. Le texte vise à réduire l’ingérence des pouvoirs, publics comme privés, dans les informations fournies par les médias européens.

Les Verts, LFI, socialistes et Place publique, Renaissance et apparentés, ainsi que LR votent pour. Le RN contre.

L’eurodéputé RN Gilles Lebreton, parle même, lors des débats d’intentions « effrayantes » derrière ce texte. Pour lui, il s’agirait « de mettre au pas les médias qui résistent à la doxa européiste en Hongrie, en Pologne et aussi en France, en ce qui concerne le groupe de Vincent Bolloré ».

Infographie : ©Christophe Andrieu

Quelques semaines plus tôt, le 27 février, les députées européennes avaient adopté à une large majorité la directive européenne sur les procédures-bâillons. Celle-ci doit protéger les journalistes, les ONG et les chercheures de procédures en diffamation abusives, qui viennent le plus souvent de grandes entreprises.

Il s’agit par exemple des « procédures à répétition lancées par le groupe Bolloré et Socfin contre des médias comme Mediapart, L’Obs, Le Point, mais aussi des ONG telles que Sherpa et ReAct, les récentes procédures intentées par les multinationales Shell et Total à l’encontre de Greenpeace, ou encore celles de l’entreprise Pure Salmon contre les opposants au projet de ferme à saumon géante au Verdon », cite alors Marie Toussaint, eurodéputée écologiste française en charge du dossier. Pour elle, « bien qu’incomplet et imparfait, le texte adopté permettra de protéger les victimes de ces procédures-bâillons, lorsqu’elles répondent à certains critères. »

Verts, socialistes, Renaissance, et LR votent pour. Le RN est contre.

Accords de libre-échange : seul Renaissance est pour

Au moment des protestations agricoles du début d’année, on a beaucoup parlé des accords de libre-échange entre l’UE et le Mercosur (Amérique latine) et du Ceta (avec le Canada). Ces derniers mois, le Parlement européen a dû se prononcer sur d’autres accords de libre-échange, avec le Chili et le Kenya.

Le 29 février, les eurodéputées ont accepté les deux accords-cadres qui ouvrent la voie à l’exemption de nombreux droits de douane entre l’Union européenne et ces deux pays. Le Parlement a adopté par 366 voix pour, 86 contre et 56 abstentions l’accord avec le Kenya. L’accord-cadre avec le Chili a quant à lui été approuvé par les députées européennes à 358 voix pour, 147 contre et 45 abstentions. Il prévoit notamment la suppression des droits de douane sur la quasi-totalité des exportations de l’UE vers le Chili, à l’exception du sucre. L’accord doit aussi permettre un meilleur accès de l’UE aux matières premières telles que le lithium et le cuivre, dont le Chili est un producteur important. 

Sur les deux accords, les Verts, LFI, socialistes et Place publique s’expriment contre. LR et le RN aussi. Seules les élues Renaissance et apparentés ont voté pour.

Emma Bougerol, Rachel Knaebel

Infographies : Christophe Andrieu

CC BY 2.0 Parlement européen via flickr.