Poursuivis en diffamation par le groupe Bolloré pour un article sur le phénomène d’accaparement des terres, le directeur de publication et des journalistes de Bastamag ont été relaxés le 14 avril dernier par le Tribunal de grande instance de Paris. Cet article de synthèse, publié en octobre 2012, pointait le rôle de grandes entreprises françaises dans l’accaparement de terres – ces appropriations de terres à grande échelle par des fonds d’investissements ou des multinationales, principalement en Afrique et en Asie. S’appuyant sur des rapports des Nations unies et d’organisations internationales, l’article mentionnait, entre autres, les activités du groupe Bolloré, via une holding luxembourgeoise, la Socfin, dans lequel le groupe possède de fortes participations.
Dans son jugement, la 17e chambre du Tribunal a estimé que le sujet abordé « consacré à un problème aussi essentiel que l’exploitation des terres agricoles en Afrique et en Asie et son impact sur les populations et l’environnement présente incontestablement un caractère d’intérêt général ». Et a jugé que, compte tenu « de l’existence d’une base factuelle suffisante pour étayer les propos poursuivis » et de « l’impératif du débat démocratique », la relaxe s’imposait (voir le détail ici). Mais ce lundi 25 avril, le groupe Bolloré a fait savoir qu’il faisait appel de ce jugement.
Bastamag fait par ailleurs l’objet d’une deuxième plainte en diffamation de la part du groupe Bolloré, pour un court article évoquant en octobre 2014 une rencontre entre des représentants de l’entreprise et des délégués de communautés locales africaines et cambodgiennes en conflit avec la Socfin : « Accaparement de terres : le groupe Bolloré accepte de négocier avec les communautés locales ».
Convaincue de l’importance de cette question, la rédaction de Bastamag poursuivra son travail d’information sur ces phénomènes d’accaparement de terres et sur la responsabilité des grands groupes français et internationaux dans ce processus. Les pratiques de la Socfin au sein de plantations qu’elle possède, en particulier en Afrique et en Asie, sont toujours pointées du doigt par des organisations de la société civile. Des paysans cambodgiens ont porté plainte en juillet dernier contre le groupe Bolloré devant le Tribunal de grande instance de Nanterre pour violation des droits de l’Homme et du droit de l’environnement. Au Sierra Leone, six leaders de communautés locales en conflit avec la filiale de la Socfin ont été emprisonnés.
Diffuser ces informations, participer au nécessaire débat démocratique sur ces sujets, serait-il devenu impossible ? La décision du groupe Bolloré de faire appel de ce jugement pose des questions essentielles sur la liberté d’informer, en particulier sur les activités des multinationales. Est-il encore possible de parler de ces sujets sans risquer une longue procédure judiciaire ?