Décrochage (extrait du Petit Robert) : « 1. Action, fait de décrocher. 2. Mouvement de repli, de recul (désengagement). 3. ELECTROTECHN. Arrêt du fonctionnement synchrone - ASTRONAUT. Abandon d’un orbite par un vaisseau spatial. »
Merci à Robert qui nous donne une fois de plus une belle définition imagée. Voici celle que j’utilise habituellement dans mon travail au collège.
En général, nous considérons qu’un élève est « décrocheur » quand il croise d’une manière, plus ou moins accentuée, les trois indicateurs suivants :
– absent à une partie importante des cours (absent physiquement ou indisponible pour les apprentissages)
– perturbateur dans son comportement en classe (de « bavarde et fait autre chose » à « empêche le cours d’avoir lieu »)
– très faible dans ses résultats, il a arrêté de travailler (cause ou conséquence de l’échec).
« Sauter avec lui, ou le laisser tomber ? »
À propos du décrochage, j’ai souvent en tête une image liée à l’alpinisme : quand quelqu’un tombe, il risque d’entraîner dans sa chute l’ensemble de la cordée. Une métaphore plutôt efficace pour décrire le phénomène. Un élève qui décroche peut entraîner à sa suite les plus fragiles parmi ceux qui l’entourent. Le choix qui se présente alors pour l’entourage, c’est : sauter avec lui, ou le laisser tomber ? Pas toujours simple pour des ados dont on connaît la force des liens d’amitié. Et puis l’effet boule de neige vient aussi, tout simplement, de ce qu’ils s’imitent les uns les autres, pour mieux se reconnaître. Résultat, à nous de démêler les vrais décrocheurs des faux ! Sauf que, parfois, à force de faire semblant, on décroche pour de vrai...
La première explication au comportement des collégiens qui « lâchent l’affaire » de la scolarité, est purement scolaire : le temps écoulé sans comprendre ce que l’école attend d’eux, les heures passées à réaliser qu’ils sont à côté sans parvenir à s’approprier les contenus scolaires, les journées d’ennui et la dévalorisation vécue au quotidien... Cela finit par achever la maigre motivation des jeunes troupes.
L’adolescence, ou quand les difficultés remontent à la surface
Mon expérience de parent d’élève de CP m’a fait prendre conscience qu’une proportion importante des parents d’une école classée en ZEP ne peut pas assister chaque jour son enfant, dans l’exercice de ses devoirs. Et sans exagérer, on peut dire qu’un enfant qui ne fait pas ses devoirs régulièrement en CP est vite perdu en classe. Un an plus tard, à l’entrée en CE1, certains enfants seront déjà largués... Comment, lorsqu’ils ont 12 ou 13 ans, les empêcher de larguer totalement les amarres ?
Une autre explication, c’est l’adolescence. Drôle de phénomène qui fait remonter à la surface nombre de difficultés, la plupart du temps liées à l’histoire personnelle de chacun, mais toujours inattendues, imprévisibles et souvent inimaginables quelques mois plus tôt. C’est l’adolescence qui transforme, d’une manière aussi soudaine que radicale, certaines de nos mignonnes petites élèves de sixième en terribles sorcières gothiques de treize ans et demi.
Ne pas jeter le bébé-collège-unique avec l’eau du grand-bain-de-l’échec-scolaire
Même sans difficulté scolaire préalable, des ados décrochent parce qu’ils sont ados, tous simplement. Et bien souvent, parce que, d’une façon ou d’une autre, les adultes qui les entourent ne sont pas en mesure, à ce moment-là, de tenir solidement un cadre qui pourrait contenir leurs dérives de façon rassurante. Avec bienveillance et fermeté. En laissant penser qu’adulte, on sait (un peu plus) où on en est. Ensuite, selon sa personnalité et l’environnement dans lequel il évolue, un ado qui décroche peut en rester à des dérives minimes ou aller chercher les limites beaucoup, beaucoup plus loin (fugues à répétition, prédélinquance...). À 13 ou 14 ans, leur place est à l’école. Lorsqu’ils n’y sont plus suffisamment, on peut considérer qu’ils sont en danger.
On ne peut pas accepter que l’existence d’élèves décrocheurs, au sein du système éducatif, consacre l’échec du collège unique, en démontrant notre incapacité notoire à les intégrer. Dans un collège ZEP ordinaire, ils représentent plus de 10% des élèves de quatriène et troisième. À ce stade, ce n’est plus un phénomène marginal.
Il est temps d’envisager de faire évoluer l’école pour l’adapter à ces nouvelles problématiques, plutôt que de jeter le bébé-collège-unique avec l’eau du grand-bain-de-l’échec-scolaire. Ce serait noyer le poisson et couler un peu plus les 130.000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans le moindre diplôme à mettre sous la dent des employeurs potentiels (voire hypothétiques, à ce stade).
Si on s’occupe des décrocheurs, tous les élèves en bénéficient
Qu’on ne vienne pas me raconter qu’il faut les orienter bien plus tôt, tous ces jeunes qui ne suivent pas à l’école ! Comme le montre la dernière étude PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves, de l’OCDE) « les pays où l’orientation vers les filières générales et professionnelles est précoce présentent des inégalités sociales bien plus fortes qu’ailleurs ». Comme dirait Bourdieu – s’il n’était pas mort – orienter très tôt (c’est-à-dire en fin de cinquième, en France), c’est augmenter la reproduction scolaire des inégalités sociales. Alors, que faire pour permettre à tous de réussir ? Sans doute la solution est à chercher du côté de la différenciation des parcours.
Il existe des dispositifs, tous plus alternatifs les uns que les autres. Mais il en existe peu. Pas assez. Et le problème, c’est que tout ce qui différencie les parcours (dispositifs « relais », quatrième alternance, troisième « découverte des métiers », etc.) se fait au dehors, loin du collège de secteur, dans un autre collège, voire dans un lycée voisin. Comme s’il était évident de s’éloigner quand on n’a pas réussi dans « son » collège. Comme s’il fallait se débarrasser de certains. Oui, les élèves décrocheurs gênent. Oui, ce sont eux qui mettent le bazar dans les collèges de banlieue. Oui, ils empêchent les cours de se dérouler normalement et repoussent les enfants de bobos dans les collèges parisiens. Sauf que, lorsqu’on s’occupe des décrocheurs, c’est tous qui en bénéficient.
Alors, j’attends. J’attends qu’un vrai contrat social renouvelé nous dise ce qu’on veut faire de la jeunesse d’aujourd’hui. Ce qu’on veut faire de l’énergie qu’on consacre pour l’instant à sauver les meubles de l’école publique. Et si on se décide, enfin, à réparer l’ascenseur social, on peut choisir d’avoir de l’ambition.
Gustave Malivernes