En dépit des oppositions syndicales, le gouvernement a décidé de mener au bout sa réforme de l’assurance chômage, amorcée à l’automne 2019. Tenu de revoir quelques aspects, suite à une décision du Conseil d’État concernant le calcul des indemnités, le gouvernement persiste dans le durcissement des conditions d’accès aux droits. Le décret publié le 30 mars va entraîner un effondrement des droits de plus d’un million de chômeurs, jeunes et travailleurs intermittents en tête. Sévère pour les plus précaires, cette réforme comprend diverses aberrations et incohérences. Revue non exhaustive.
Des calculs alambiqués pour un résultat simple : l’effondrement des droits au chômage
Pour pouvoir s’inscrire comme demandeur d’emploi, il faudra avoir travaillé six mois au lieu de quatre (soit 910 heures, ou 130 jours). Cela pourrait entraîner, selon l’étude d’impact de l’Unédic publiée au début de ce mois d’avril, un retard de l’ouverture des droits pour près de 500 000 chômeurs. Quant à la période de référence, celle sur laquelle l’Unédic se base pour comptabiliser les heures passées à travailler, elle baisse de 28 à 24 mois (36 mois pour les plus âgés). Autre changement : pour calculer le salaire journalier de référence (SJR), on ne tient plus compte des seuls jours travaillés. On y ajoute les périodes chômées – donc avec un revenu moindre voire nul. Le résultat est mathématique : la moyenne du SJR s’effondre, de même que celle des indemnités chômage.
Dans la première mouture de la réforme, présentée en juin 2019, l’ampleur de la baisse n’était pas prise en compte. Prenons l’exemple d’une personne effectuant un CDD de six mois dans une entreprise faisant appel à des renforts provisoires, et qui perçoit un salaire de 1521 euros bruts par mois, soit 50 euros par jour. Une fois son CDD terminé, elle touche actuellement une allocation chômage de 940 euros par mois pendant six mois – soit 30 euros par jour, la période de référence pour calculer ses indemnités étant la même que la période travaillée. Imaginons maintenant que cette même personne fasse deux CDD de trois mois ; l’un en début et l’autre en fin d’année. Avec le mode de calcul prévu par la réforme de 2019, elle ne percevrait que 15 euros par jour, soit 470 euros par mois. Moitié moins !
Pourquoi ? Parce que la période de référence prise en compte ne sera plus la période travaillée – deux CDD de 6 mois en tout – mais la période sur laquelle s’étalent les contrats, soit une année entière. Pour obtenir l’indemnité journalière, on va donc diviser six mois de revenus par 12 ! Cette clause de calcul était si absurde que le 25 novembre 2020, le Conseil d’État, saisi par plusieurs syndicats, l’a censurée. L’indemnisation pourrait « varier du simple au quadruple en fonction de la répartition des périodes d’emploi au cours de la période de référence », a relevé le Conseil d’État, ce qui entraînerait « une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard du motif d’intérêt général poursuivi ».
Justine, au chômage après un CDD de six mois perdra un tiers de ses allocations
Le décret du 30 mars 2021 prévoit par conséquent un mécanisme de plancher pour le calcul du salaire journalier de référence, stipulant que les indemnités journalières ne doivent pas être réduites de plus de 43 %. Est-ce que ce plancher protégera les demandeurs d’emploi d’une plongée dans la précarité ? Non. Prenons l’exemple de Justine, salariée qui connaît un épisode de chômage de 6 mois après un emploi de 6 mois (rémunéré au SMIC) et qui a effectué un an plus tôt un contrat court d’une journée de travail rémunéré 70 euros, qui fait donc passer la période de référence à un an. Le nouveau décret permet certes de limiter la baisse de son salaire journalier de référence, et de ses indemnités, mais ses allocations passent néanmoins de 980 à 650 euros par mois, soit une baisse d’un tiers ! [1].
Selon l’Unédic, 1,15 million de demandeurs d’emploi verront leur allocation mensuelle baisser après le 1er juillet du fait du changement de calcul du salaire journalier de référence (SJR). Les jeunes et les personnes en emploi discontinu seront les plus impactés. Les secteurs les plus touchés, ceux qui recourent le plus à des CDD, au travail intérimaire ou saisonnier, seront l’agriculture et les... services et administration publiques – l’Éducation nationale ou les hôpitaux recourent à de nombreux précaires. Dans un courrier envoyé mardi 13 avril à l’Unedic, et que franceinfo a pu consulter, le ministère du Travail reconnaît que les salariés qui ont été en congé maternité, en arrêt maladie ou en chômage partiel (à cause de la pandémie) seront moins bien indemnisés à partir du 1er juillet !
« Si vous n’avez pas assez pour vivre, que cela dure 6 mois ou 12 mois, le problème reste le même ! »
« Lorsque la réforme conduit à une baisse de l’allocation mensuelle, elle ne réduit pas les droits, et par conséquent les allocations sont perçues pendant plus longtemps », a affirmé la ministre du Travail Élisabeth Borne, le 2 mars 2021 [2]. « L’argument mis en avant c’est que le SJR est certes inférieur quand il inclut les périodes de chômage mais que la période d’indemnisation est plus longue et que par conséquent les demandeurs d’emplois ne sont pas perdants », précise le sociologue Mathieu Grégoire, auteur d’un décryptage très précis de la réforme de l’assurance chômage.
« Le gouvernement se défend en avançant que la durée d’indemnisation sera plus longue et que, par conséquent, les droits seront constants. Mais qu’importe ? Si vous n’avez pas assez pour vivre, que cela dure 6 mois ou 12 mois, le problème reste le même ! » pense Catherine, conseillère Pôle emploi en Bretagne, en charge de l’indemnisation. C’est d’autant plus vrai que la méthode de calcul du gouvernement aboutit à un rechargement sans cesse diminué des droits de ceux et celles qui continuent d’avoir des emplois intermittents tout en étant indemnisés. « L’inclusion des périodes non travaillées dans la période de référence fait nécessairement diminuer, au fil du temps, le montant global de ce à quoi on a le droit, détaille Daniel, conseiller placement à Pôle emploi dans le Sud-Ouest. Les périodes d’activité sont écrasées par les périodes chômées. » Ainsi Jean, qui enchaîne les CDD de deux mois (rémunérés au Smic) et les période de chômage voit-il le montant de ses indemnités diminuer sans cesse, passant de 780 à 700 euros au bout d’un an ; puis de 700 à 650 euros l’année suivante.
Le montant des indemnisations diminue, en plus le rythme de renouvellement des droits est ralenti. L’argument du gouvernement qui consiste à dire que les droits sont certes moindres mais qu’ils dureront plus longtemps est donc mensonger. Il n’est valable « que pour des travailleurs intermittents qui cesseraient d’un coup de l’être le jour où ils sont indemnisés, c’est-à-dire pour une catégorie bien improbable de chômeurs, énonce Mathieu Grégoire. La réforme promeut ainsi des droits réduits pour longtemps plutôt que des droits plus longs. »
Pourquoi Eléonore, malgré un CDD de 10 mois payé 1900 euros bruts, ne percevra que 680 euros de chômage mensuel...
Une fois que des droits à indemnisations sont ouverts, celles-ci sont versées jusqu’à épuisement de ces droits. Mais pour certains salariés, qui ont repris puis perdu un ou plusieurs emplois mieux rémunérés, il est possible d’activer le « droit d’option », qui permet de renoncer à un droit ancien pour pouvoir bénéficier d’un nouveau droit supérieur sans attendre l’épuisement du reliquat dû à cet ancien droit. Mais les conditions pour exercer son droit d’option sont durcies par le nouveau calcul du salaire journalier de référence. « Le SJR déplace le capital dû vers le futur, explique Mathieu Grégoire. Au lieu, par exemple, de toucher 1500 euros pendant 10 mois, on touche 1000 euros pendant 15 mois. Si on retrouve du travail au bout de six mois, on a touché 6000 euros. Il reste donc 9000 euros. Mais pour y renoncer au profit d’une nouvelle indemnisation, il faudrait que le nouveau capital soit supérieure de 30 % à ce reliquat ; ce qui arrive rarement. »
Résultat : le demandeur d’emploi traînera son reliquat comme un boulet, avec l’obligation de le consommer, quand bien même les conditions de son dernier emploi lui auraient donné droit à de meilleures indemnités. C’est ce qui arrive à Eléonore : après un CDD de quatre mois, payé au SMIC, elle passe 10 mois au chômage sans indemnisation. Elle retrouve ensuite un CDD de 10 mois rémunéré au SMIC, puis enchaîne avec une période chômage de 10 mois. Après, elle retrouve un CDD de 10 mois payé 1900 euros brut. Mais son indemnisation ne tiendra pas compte de ce salaire plus élevé. Elle restera avec une indemnité de 680 euros par mois, à cause d’un contrat effectué plus de trois ans auparavant !
Ne pas toucher plus en chômant qu’en travaillant, c’est le mantra du gouvernement, répété à longueur d’interviews, en dépit de son caractère mensonger [voir notre article Vacances aux Bahamas, chômage mieux rémunéré que le travail : des agents Pôle emploi répondent aux clichés.] « La modification des modalités de calcul de l’allocation ne permettra plus de percevoir plus d’allocations et d’être financièrement plus avantagé qu’en travaillant » mentionne un support interne de formation des agents pole emploi diffusé en 2019 en prévision de la préparation de la réforme. Mais alors que l’objectif affiché était de supprimer la possibilité de gagner plus au chômage qu’en travaillant, l’effet pourrait être carrément contraire. « Dans certaines situations, la perte de droits causée par un emploi sera très supérieure au salaire apporté par cet emploi », avance Mathieu Grégoire. Donc la personne concernée n’aura aucun intérêt à accepter le poste en question. Pourquoi ?
« On va se retrouver à dire aux gens : si vous retravaillez maintenant, vous allez être pénalisé. C’est incroyable »
Reprenons l’exemple de Justine, mentionné en début d’article. Elle connaît un épisode de chômage de 6 mois après un emploi de 6 mois, rémunéré au Smic. Un an plus tôt, elle avait effectué un contrat court (dûment déclaré) d’une journée de travail rémunérée 70 euros. La période de référence est donc d’un an. Et son indemnité chômage s’élève à 650 euros par mois (contre 980 avant la réforme). « Sa journée de travail rémunérée 70 euros se traduit par une perte de près de 2000 euros, calcule Mathieu Grégoire. Un économiste conséquent peut-il défendre un système dans lequel une heure de travail en plus peut générer une perte massive de revenus ? » Le sociologue s’interroge : « Punir le travail n’est-il pas contradictoire avec la logique d’incitation au travail qui motive l’ensemble des réformes de l’assurance chômage depuis le début des années 1980 ? »
« On va se retrouver à dire aux gens : si vous retravaillez maintenant, vous allez être pénalisé. C’est incroyable, pense Daniel. C’est totalement contradictoire. Comment les gens vont-ils s’y retrouver ? » « Ce sera impossible, ajoute Catherine. Cela voudra dire, qu’il faudra refuser tous les contrats courts que l’on propose, en se projetant sur 24 mois ? » Prendre le temps d’expliquer sera d’autant plus compliqué que les conseillers indemnisations, les plus à même de comprendre les calculs alambiqués, vont crouler sous le boulot. « Chaque conseiller indemnisation aura la gestion d’un portefeuille à l’identique des conseillers placement actuellement, précise Catherine. C’est-à-dire, qu’il aura à gérer et à suivre des centaines de dossiers, des mails, des courriers… C’est un projet très anxiogène pour les collègues. »
Cette nouvelle organisation du travail promet aussi pas mal de stress du côté des demandeurs d’emploi, confrontés à des conseillers qui peinent eux-mêmes à comprendre ce qu’ils sont censés expliquer. « On est censé anticiper sur les évolutions du SJR au 1er juillet alors que nos collègues "expert" en indemnisation s’arrachent les cheveux pour simplement comprendre comment la nouvelle règle va s’appliquer. » Peu importe semble-t-il. L’important, c’est de faire passer le message qu’il faut se remettre au boulot le plus vite possible. « Je suis conseiller, je n’ai pas encore toutes les informations mais j’informe l’usager. Je peux d’ores et déjà lui conseiller d’éviter les périodes d’interruption et l’inciter au retour à l’emploi à la fin d’un contrat », stipule un support interne de formation des agents Pôle emploi.
« Une fois qu’un demandeur d’emploi aura mis le doigt dans l’engrenage des contrats courts, il sera à nouveau très incité à travailler plus, à accepter n’importe quel emploi pour éviter au maximum les périodes non travaillées entre deux emplois », dit Mathieu Grégoire. « Les plus impactés, ce sont les moins organisés. Ils ne vont rien dire, se désole Daniel. Nous les connaissons. Ce sont ceux qui acceptent déjà les pires boulots. » Catherine, et plusieurs autres collègues se montrent plus optimistes : « Nous restons persuadés qu’il est impossible que cette réforme s’applique. Les effets sont trop forts. Les gens vont forcément se révolter. » De leur côté les syndicats prévoient de déposer un nouveau recours devant le Conseil d’État.
Nolwenn Weiler
Photo de Une : © Unédic (2013)
Pour en savoir plus sur le décryptage de Mathieu Grégoire voir La revue du salariat.
– La réforme du chômage va aggraver l’état de santé des demandeurs d’emploi
– Face à la vague de chômage qui se profile, l’état de santé alarmant des agents de Pôle emploi