Violences sexistes et sexuelles

Vague de soutien pour la vigneronne féministe Isabelle Perraud, condamnée pour diffamation

Violences sexistes et sexuelles

par Emma Bougerol

Pour avoir dénoncé des violences sexistes et sexuelles dans le milieu du vin nature, la vigneronne Isabelle Perraud a été condamnée le 2 juin à verser plusieurs milliers d’euros de dommages et intérêts. Autour d’elle, la solidarité s’organise.

« Même avec beaucoup de soutien, on se sent très seule », soupire Isabelle Perraud. Deux semaines après sa condamnation par un tribunal civil pour diffamation, la vigneronne n’a pas l’impression de voir le bout du tunnel.

Le vendredi 2 juin, elle a appris sur les réseaux sociaux qu’elle avait perdu le procès en diffamation intenté par Sébastien Riffault. Elle avait relayé des accusations de violences sexuelles contre lui via le compte Instagram de Paye ton Pinard, son association de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le milieu du vin.

Au total, elle est condamnée à payer près de 29 000 euros de dommages et intérêts et frais de justice. Malgré cela, le tribunal a reconnu que son action s’inscrit dans le cadre de « l’émergence du mouvement "me too" ayant pour objectif de libérer la parole des femmes victimes de faits de nature sexuelle ».

Encore plus de soutien après la condamnation

L’affaire aurait pu s’arrêter là. « Sébastien Riffault pensait sûrement que ma condamnation allait prouver son innocence et que tout le monde allait se détourner de moi », avance Isabelle Perraud. Mais c’était sans compter sur l’élan de solidarité qui s’est créé autour d’elle. « J’ai eu plus de soutien après ma condamnation que pendant la procédure et le procès », note-t-elle avec un brin de surprise.

La vigneronne raconte cela sur la route pour Paris. Elle remonte pour quelques jours du Beaujolais, ses bouteilles dans le coffre, pour livrer des cavistes et honorer divers rendez-vous. Parmi ceux qui attendent impatiemment ses bouteilles, il y a Mathieu Lévy, fondateur de Sémélé, une cave à vins dans le onzième arrondissement de Paris. Le caviste organise bientôt une soirée de soutien à Paye ton pinard, et il lui faut des bouteilles pour assurer les deux services dont l’entièreté des bénéfices ira à l’association.

« Pour moi, ça ne suffisait pas d’envoyer un SMS à Isabelle pour lui dire "désolé pour toi", se rappelle-t-il. Je voulais faire une action concrète pour aider. Presque trente mille euros, ce n’est pas rien. Et ça permet de faire parler de ces questions. » Comme lui, d’autres personnes du milieu ont décidé de créer des événements de soutien à Isabelle Perraud et Paye ton pinard.

Quelques jours plus tôt, par exemple, dans un restaurant parisien, une partie des bénéfices d’accords mets-boissons a été reversée à l’association. « Notre but c’est de témoigner notre solidarité, souligne Benoît d’Onofrio, sommelier à l’initiative de la soirée. Je veux aussi montrer que la parole des victimes est entendue et qu’elles sont soutenues. »

Une première plainte pour agression sexuelle

Une tribune de soutien à la vigneronne a aussi été publiée dans Libération le 6 juin 2023. À ce jour, près de 600 personnes ont apposé leur signature au texte. Au vu de la décision, elles expriment leur crainte « qu’à l’avenir, alors que témoigner publiquement de violences sexistes et sexuelles est déjà difficile, cela ne devienne impossible ».

Antonin Iommi-Amunategui est l’une des personnes, toutes issues du milieu du vin, à l’origine de cette tribune. Cette décision l’a laissé « estomaqué » et « atterré ». Le texte, selon lui, vise aussi à montrer à la vigneronne qu’ « elle n’est pas seule » et que son combat a bien un retentissement dans le milieu. « Cette tribune, ça a créé une obligation de prendre parti, avance-t-il. C’est un petit milieu, et on voit bien ceux qui ont signé et ceux qui ne l’ont pas fait. »

Depuis la condamnation pour diffamation d’Isabelle Perraud, l’association Paye ton pinard a gagné une centaine d’adhérents, et a récolté environ 9000 euros de dons sur leur page dédiée. On est encore loin des cinq chiffres du montant de sa condamnation, mais « cette affaire a vraiment lancé le MeToo du vin », constate Isabelle Perraud. « Je suis arrivée à ce qu’on parle des violences sexistes et sexuelles dans le milieu. J’ai fait ce que j’avais à faire en tant que lanceuse d’alerte. Maintenant, c’est aux victimes de s’organiser, et moi, je m’éclipse. »

Une première plainte contre Sébastien Riffault a été déposée quelques jours après l’audience. Celle d’une sommelière qui travaille en Suède, et avait raconté lors du procès d’Isabelle Perraud que l’homme l’avait agressée sexuellement.

Emma Bougerol