Technologies

Faut-il résister à l’intelligence artificielle ?

Technologies

par Cédric Sauviat

L’intelligence artificielle va toujours plus loin, comme le montre ChatGPT. Pour l’ingénieur Cédric Sauviat, de l’Association française contre l’intelligence artificielle, c’est un danger, l’appât du gain risquant de l’emporter sur les droits humains.

Je ne formulerai pas d’injonction. Il appartient à chacun de se déterminer sur cette question. Je souhaiterais seulement partager plusieurs considérations relatives à l’intelligence artificielle (IA), cet ensemble de techniques informatiques visant à effectuer des opérations imitant les aptitudes cognitives de l’être humain.

Cédric Sauviat
Cédric Sauviat
Ingénieur, président de l’Association française contre l’intelligence artificielle.

Le développement de l’IA ne s’arrêtera pas avant d’avoir doté la machine de toutes les aptitudes de l’être humain. En d’autres termes, la perspective d’une « auto-limitation » de la recherche technologique à des applications dites spécialisées plutôt que la mise au point d’une IA généraliste, ne constitue pas une hypothèse crédible. Même si, individuellement, bon nombre de chercheurs gardent une ambition modeste et étroitement cantonnée (par exemple la reconnaissance de tumeurs cancéreuses), leur éthique personnelle, leurs scrupules et leurs précautions n’auront aucune influence sur le cours des choses.

L’IA a pour effet – sinon pour but – de substituer la machine à l’humain partout où c’est possible , et donc, en vertu de ce qui précède, de le remplacer partout. À l’heure actuelle, cette quête est économiquement rentable dans la mesure où elle est récompensée par des gains de productivité. Il s’agit donc de la poursuite d’un programme capitaliste de compétition acharnée qui a d’ores et déjà éliminé l’homme de la production manufacturière et s’étend désormais aux métiers du service, de l’art et de l’artisanat. Le développement de l’IA est incontrôlable, car aucun de ses acteurs ne peut prétendre en maîtriser l’évolution.

Les progrès parallèles de l’apprentissage machine, de l’informatique quantique et de l’électronique (nanoélectronique, microsystèmes, téléportation, mémoire Ultraram, etc.) rendent totalement imprédictibles les performances futures de l’IA. Or il n’existe à ce jour aucun organisme de régulation. Certes, il existe bien une « philosophie » de cette régulation [1], énumérant les principes qui devraient être respectés : construire une IA bénéfique, sûre et transparente, conforme aux idéaux de dignité humaine, aux valeurs éthiques largement partagées, etc..

Régulation ou interdiction ?

Mais que pèsent ces envolées lyriques et ces nobles déclarations devant l’appât du gain et la volonté de puissance ? À sa création en 2017, l’association OpenAI, fer de lance de « l’IA éthique », déclarait : « Notre mission est de bâtir une Intelligence artificielle générale sûre, et de faire en sorte que ses avantages soient répartis de la manière la plus large et la plus équitable possible. Nous sommes un établissement de recherche à but non lucratif. Notre équipe de soixante chercheurs et ingénieurs se consacre à sa mission sans égard pour les opportunités de profit personnel qui pourraient survenir sur leur chemin. »

Quatre ans plus tard, après la création de ChatGPT, OpenIA est valorisée à 29 milliards de dollars et s’est transformée en entreprise à but lucratif « plafonné » [2]… on devine déjà la prochaine étape. L’« IA éthique » ressemble à s’y méprendre à un attrape-nigaud.

Synonyme de superprofits pour quelques-uns, l’IA va « super pourrir » la vie de tous les autres. Qui peut croire qu’elle rendra le monde plus sûr, alors qu’elle fournit un pouvoir de nuisance illimité et bon marché à tous les bureaucrates, les technocrates, les e-commerçants, sans parler des malintentionnés et des cybercriminels grands et petits ? De l’espionnage de la vie privée au flicage administratif, des ransomwares aux détournements vidéo, il existe une multitude de nuisances contre lesquelles le simple particulier se trouve sans défense, faute d’ailleurs de pouvoir identifier le responsable derrière la machine.

Quant aux drones et autres robots tueurs, après avoir terrorisé les populations de Syrie, ils sévissent aujourd’hui en Ukraine et figureront au menu des prochaines guerres sous des formes toujours plus abouties. Mais rassurez-vous, les gens sérieux vous confirmeront que Terminator n’est que pur fantasme !

Face à la prolifération de l’IA, que peuvent faire les citoyens réfractaires, ou allergiques, ou encore simplement inquiets ? Vous aurez compris qu’à nos yeux, appeler à davantage de régulation ne sert à rien – étant entendu que c’est la seule option disponible aux politiques puisqu’ils ne sauraient remettre en question une tendance économique de fond. En fait, seule n’aurait de sens qu’une interdiction totale de l’IA ; mais il est tout aussi évident que le monde ne s’y résoudra qu’après une expérience collective traumatisante.

Cédric Sauviat, ingénieur, président de l’Association française contre l’intelligence artificielle

Notes

[1Les principes d’Asilomar, voir le livre Intelligence Artificielle, la nouvelle barbarie, éditions du Rocher, Marie David et Cédric Sauviat,2019.

[2C’est-à-dire qu’OpenAI, qui était à la base une organisation à but non lucratif, s’est transformée en entreprise à but lucratif pour attirer des capitaux, mais a promis de plafonner les profits redistribués aux actionnaires.