Les paradis fiscaux et judiciaires, tradition de discrétion oblige, n’aiment pas la lumière, ils préfèrent demeurer actifs dans l’ombre, l’opacité étant une garantie d’efficacité pour leurs clients donc pour leur chiffre d’affaires. La force de frappe financière et politique de ces territoires a souvent fait dire, tant à ses détracteurs qu’à ses partisans, que l’on ne pouvait pas faire grand-chose contre eux. Mais la crise les a mis sur la sellette.
Trois raisons expliquent la mise en cause des paradis fiscaux : leur rôle dans la crise, les ressources publiques qu’ils captent (par le biais de l’évasion fiscale) à des Etats qui en ont cruellement besoin en ce moment et la mobilisation citoyenne. La crise actuelle et les déclarations politiques qui l’accompagnent auront donc eu au moins un mérite, celui de poser publiquement la question de l’existence de ces territoires, en pointant notamment le secret bancaire. On peut regretter que le débat public n’ait pas porté plus largement sur les dégâts de la concurrence fiscale (que les paradis fiscaux contribuent à entretenir et aggraver) ou encore sur les sociétés écrans. Mais pour qui dénoncent les paradis fiscaux et judiciaires, on peut avancer objectivement que les conditions auront rarement été aussi favorables et les déclarations aussi volontaristes qu’en ce moment. On était donc en droit d’attendre du G 20 une réelle mobilisation de la communauté internationale et l’annonce de mesures frappant le cœur même de ces territoires.
Une liste « grise et noire »
La lecture du communiqué final du G 20 laisse un goût amer. On n’y retrouve pas le volontarisme affiché dans les jours qui ont précédé le G20. Ainsi, on y déclare que les membres du G 20 sont « d’accords pour prendre des mesures contre les juridictions non coopératives, incluant les paradis fiscaux. Nous sommes prêts à déployer des sanctions pour protéger nos finances publiques et nos systèmes financiers. L’époque du secret bancaire est terminée. Nous notons que l’OCDE a publié aujourd’hui une liste de pays déclarés par le global forum contre les standards internationaux pour l’échange d’informations fiscales. » On pourra « noter » que le volontarisme politique apparaît ici un brin émoussé. On sent qu’il est plutôt tourné vers la sauvegarde des systèmes financiers dont on sait qu’ils reposent pour une grande part sur les paradis fiscaux. D’où une question légitime : y a t il une réelle volonté de lutter contre les paradis fiscaux, c’est à dire qui soit suivie d’effets ? C’est sur la longueur que l’on mesurera cette volonté. Aujourd’hui donc, le plus dur commence.
La stratégie des listes noires, c’est-à-dire de la stigmatisation publique de certains territoires dans le but de les rendre plus « coopératifs », peut, en soi, être intéressante. Mais pour être efficace, elle doit toutefois répondre à plusieurs exigences : son élaboration doit reposer sur des critères clairs et solides et elle doit être suivie d’effets. Or, force est de constater que les critères qui ont présidé à l’élaboration des listes noires de l’OCDE, qu’il s’agisse de la première vague au début des années 2000 ou de la dernière liste publiée à l’occasion du sommet du G20, sont vagues et discutables. En effet, pour l’OCDE, prendre des engagements en matière d’échanges d’informations suffit pour ne plus figurer sur la liste noire. Mais rien de concerne la portée réelle des engagements et leur efficacité. Or c’est bien l’efficacité qui devrait être le critère principal d’une telle liste. La période récente l’a montré, la plupart des Etats ont pris de tels engagements et ont été sortis de la liste noire de l’OCDE qui, voici encore quelques jours, ne comportait que 3 noms. Etablir une liste noire et grise (c’est ici une nouveauté très diplomatique…) ne saurait donc être une fin en soi. Car ces dernières années l’expérience a montré que la liste noire de l’OCDE n’a pas empêché les paradis fiscaux de prospérer. En outre, tous les paradis fiscaux reconnus (et pratiqués) comme tels ne figurent pas sur cette liste, qu’elle soit grise ou noire…
Quelle est la portée des « standards » de l’OCDE ?
La plupart des territoires visés par les déclarations préalables au G 20 (Suisse, Lichtenstein…) ont déclaré être prêts à accepter des échanges d’informations sur la base des standards de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), notamment de l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE. Celui-ci fournit la norme généralement reconnue pour l’échange bilatéral de renseignements à des fins fiscales.
Ce « standard » mérite d’être analysé car en son nom, certains n’hésitent pas à annoncer la fin des paradis fiscaux, rien de moins. Comme toujours, la réalité risque d’être plus prosaïque. Certes, le fait de voir cet article figurer en bonne place dans certaines conventions fiscales à venir peut être analysé comme un progrès par rapport à l’existant. Mais ceci n’est pas un critère pertinent dans la période. Car on est en droit de se demander si, compte tenu du contexte actuel, ce « petit pas » doit vraiment être analysé comme un vrai progrès. Alors que la communauté internationale est secouée par une crise dans laquelle les paradis fiscaux ont joué un grand rôle et qu’elle mobilise des ressources publiques auxquelles échappent certains agents économiques grâce aux mêmes paradis fiscaux, le G 20 semble être passé à côté d’une occasion d’aller beaucoup plus loin.
De nombreuses questions sont désormais posées. Comment les standards de l’OCDE seront retranscrits dans les textes, lorsque la pression politique sera retombée ? Quelle sera leur mise en œuvre concrète ? Quels seront les risque de contentieux futurs éventuels qui pourront être générés (les conventions peuvent être signées puis dénoncées par l’un des signataires donc, finalement, ne pas être pleinement appliquées) ? L’avenir nous le dira. Et pour l’heure, voici, en quelques mots, ce que l’on peut retirer de cet article.
Dans les standards de l’OCDE fréquemment avancés, le fameux article 26 établit une obligation d’échanger des renseignements qui sont « vraisemblablement pertinents » (selon les termes de l’OCDE) pour l’application de la convention et pour assurer le respect des lois fiscales nationales. Cet article n’est qu’un modèle de texte. C’est sur sa base que se sont engagées (ou vont s’engager) les discussions avec les paradis fiscaux et judiciaires. On sait que la rédaction d’accords internationaux est minutieusement soupesée car le diable est dans les détails. Les discussions bilatérales s’annoncent donc longues et âpres. C’est sur la base du texte réellement signé par les Etats « contractants » que seront effectivement mises en œuvre les procédures d’échanges d’informations. C’est donc peu de dire que chaque mot comptera et que certains territoires risquent de les négocier pied à pied afin de limiter au maximum la portée effective des textes. Pour s’en convaincre, il suffit de constater que chaque paradis fiscaux mis sur la sellette a déjà réaffirmé le principe de sauvegarde du secret bancaire.
Cet article ne prévoit aucun échange automatique d’information. C’est du reste ce qui permet aux paradis fiscaux de conserver leur secret bancaire. L’examen des demandes se fera donc au cas par cas. La demande devra être ciblée, précise et comporter la dénomination du contribuable concerné, une description des faits qui lui sont reprochés et de la banque ou de la société concernée par la demande. L’autorité publique qui établira une telle demande devra veiller à la motiver et à donner suffisamment d’éléments « pertinents », c’est-à-dire suffisamment fondés et détaillés, sous peine de voir la demande être rejetée. Enfin, la date d’application des conventions sera importante : il n’y aura sans doute pas d’effet rétroactif (ce qui aura été soustrait aux impôts est donc potentiellement « sauvé »). Globalement, dans de nombreux cas, demander des renseignements s’assimilera toujours à un parcours du combattant (les éléments de la demande sont par exemple sujets à interprétation et peuvent être jugés insuffisamment pertinents, ce qui peut conduire à ne pas coopérer).
Il faudra suivre scrupuleusement l’application des conventions : pour être efficace dans la lutte contre l’évasion fiscale, il faudra, par exemple, réduire les délais en matière de coopération (actuellement très longs) et donner une réelle impulsion pour le contrôle en matière de fiscalité internationale. Un constat demeure : d’une portée variable selon les négociations, cet article exclut la véritable mesure efficace, à savoir l’échange automatique d’informations, et limite d’ores et déjà le champ des négociations future sur la coopération internationale en matière de lutte contre l’évasion fiscale.
« Chat échaudé craint l’eau froide »
Au fond, on ne pouvait que souhaiter une chose : que les mesures prises soient aussi efficaces que les déclarations politiques qui les annoncent sont bruyantes. Mais les premiers engagements et les récentes signatures de conventions fiscales nous invitent à la prudence et nous rappellent un certain principe de réalité.
Après la sortie du rapport de l’OCDE sur la concurrence fiscale dommageable en 1998 et la publication des listes noires (notamment en 2000 dans le rapport d’étape de l’OCDE), les faits ont largement démontré que les paradis fiscaux résistaient très bien à l’épreuve du temps, surtout si la tension et l’attention médiatique et politique est retombée. Ceci justifie que la mobilisation citoyenne contre les paradis fiscaux se poursuive…
Vincent Drezet est secrétaire national du Syndicat national unifié des impôts (Snui)