Selon un sondage réalisé par TNS Opinion [1], les trois quarts (73 %) des personnes interrogées craignent le pouvoir excessif des lobbyistes représentant les entreprises dans le processus décisionnel européen. 80 % des sondés pensent qu’il devrait y avoir une réglementation obligatoire du lobbying, afin d’assurer une participation équilibrée des différents intérêts dans le processus décisionnel. L’enquête s’inscrit dans le cadre du projet Alter Citizen [2] et porte sur un échantillon représentatif de 6 222 personnes, en Autriche, République tchèque, France, Pays-Bas, Espagne et Grande-Bretagne.
15 000 lobbyistes à Bruxelles
« Les résultats de ce sondage devraient être une sonnette d’alarme pour les décideurs européens. Alors que les citoyens réclament plus de transparence, des règles plus strictes pour les lobbyistes et une application plus stricte des réglementations éthiques pour les décideurs de l’UE, c’est le "business-as-usual" qui prévaut encore à Bruxelles », estiment les Amis de la Terre Europe. Un business lucratif puisque 2 500 agences de lobbying et plus de 15 000 lobbyistes essaient tous les jours d’influencer les directives européennes, sans que l’on sache réellement pour quels intérêts ! Actuellement, les institutions européennes ne se sont dotées que d’un système d’enregistrement volontaire. « La demande des citoyens est claire : un enregistrement obligatoire de tous les lobbyistes doit être mis en place. Nous espérons que le Parlement relaiera les résultats de ce sondage pour forcer la Commission à la traduire dans les faits. »
L’influence des lobbies sur les institutions européennes est un sujet sur lequel souffle régulièrement un vent de scandale. Sans que le voile du secret ne se disperse complètement. En septembre 2010, la Campagne européenne pour la transparence du lobbying (Alter EU) révélait que parmi les treize commissaires européens qui avaient quitté la Commission en février 2010, six avaient rejoint le secteur privé. L’un deux, Günther Verheugen, ancien tout puissant commissaire à l’industrie, avait même poussé le bouchon jusqu’à fonder en avril 2010 un cabinet de conseil en lobbying, « European Experience Company », où il monnayait ses contacts et son entregent (lire ici).
Commission et Parlement : mêmes dérives
En 2012, c’est la démission forcée du Commissaire européen à la santé et à la protection des consommateurs, John Dalli, qui relance le débat. Ce récent scandale montre que le lobby de l’industrie du tabac a eu un accès privilégié aux principaux décideurs de l’UE. Un dossier mystérieux qui pourrait éclabousser jusqu’à l’entourage du président de la Commission, José Manuel Barroso.
L’enquête apporte également des informations sur l’éthique au sein du Parlement européen. En mars 2011, des journalistes du Sunday Times s’étaient fait passer pour des lobbyistes. Plusieurs députés avaient accepté de l’argent en échange de dépôt d’amendements législatifs. L’euro-député autrichien de centre-droit, Ernst Strasser, et le socialiste slovène Zoran Thaler ont dû démissionner. L’eurodéputé socialiste roumain Adrian Severin, expulsé du groupe socialiste européen, continue d’agir en tant que député indépendant. Quelques jours plus tard, l’euro-député espagnol de centre droit, Pablo Zalba, se faisait prendre la main dans le sac. Il sera blanchi par l’Office européen anti-fraude (OLAF), le 19 mai 2012. Tous nient avoir commis des actes répréhensibles.
Vers plus de transparence et de règles ?
Ces affaires impactent l’opinion publique puisque quatre citoyens sur cinq (80 %) ont déclaré à TNS Opinion qu’ils faisaient moins confiance à un député pour représenter les intérêts des citoyens si ce député travaillait en même temps pour un groupe de pression ou une entreprise privée. Si l’on regarde plus précisément chez les personnes interrogées en France, 76 % estiment que les députés ne devraient pas être autorisés à travailler pour un groupe de pression ou une entreprise privée pendant leur mandat électif. C’est la proportion la plus importante par rapport aux autres pays.
2013 est l’Année européenne des citoyens. Elle vise à favoriser le dialogue entre les gouvernements et la société, et donc à mieux impliquer les citoyens dans les débats et les décisions qui les concernent. Si la Commission et le Parlement prennent l’Année européenne des citoyens au sérieux, il est grand temps d’améliorer leur propre transparence et leurs règles éthiques. Le code de conduite des députés européens est mal appliqué et il reste de pratique courante que les eurodéputés exercent un emploi ou aient des intérêts financiers dans le secteur privé.
Ce sondage montre que les citoyens ne font pas confiance à l’application des règles et à la surveillance de ces deuxièmes emplois. Mais ces règles efficaces sont plus que jamais nécessaires et urgentes pour éviter les conflits d’intérêts, qui sont préjudiciables à l’image du Parlement. Image qu’il se doit de redorer avant les prochaines élections européennes, qui auront lieu au printemps 2014.
Gildas Jossec, Aitec