Mise à jour : le parquet a annoncé ce 29 juin avoir abandonné les poursuites
Un électricien de 40 ans comparaît ce 29 juin devant la chambre correctionnelle de Toulouse. Il est poursuivi pour « provocation publique à un délit ou un crime » et encourt pas moins de 5 ans d’emprisonnement et 40 000 euros d’amende. Il est accusé d’avoir rédigé un texte – non signé – publié sur le média collaboratif et « anti-autoritaire » Iaata.info (Information anti-autoritaire Toulouse et alentours). L’homme est arrêté deux mois plus tôt, le 6 mai, interpellé à son domicile toulousain à 6h30 par trois policiers. Sa garde à vue signifiée, il est placé dix heures dans une cellule sentant l’urine. Durant deux courts interrogatoires, on le menace d’aller chercher son fils au lycée, de prolonger son audition jusqu’à 48h, pour apologie de terrorisme. Il sort finalement à 17h avec une convocation en poche pour son procès.
Les policiers lui reprochent d’avoir écrit un compte-rendu de manifestation, publié sur Iaata.info le 1er mars. Le compte-rendu relate la manifestation du 21 février. A Toulouse, le climat est tendu depuis la mort de Rémi Fraisse, ce jeune homme tué par une grenade lancée par un gendarme à Sivens. Des actions et manifestations en soutien aux « zones à défendre » et contre les violences policières sont organisées tous les mois. Chaque manifestation est durement réprimée. Au moins 54 personnes ont été condamnées à des peines allant d’amendes jusqu’à six mois de prison ferme, comme Gaétan, un étudiant parmi d’autres (Lire notre article).
Des « conseils » pour entraver la répression
Celle du 21 février ne fait pas exception, et dégénère en affrontements. Les gaz lacrymogène pleuvent, des vitrines sont brisées, des magasins saccagés. « Pendant vingt minutes environ, plus d’une vingtaines de banques, agences immobilières, assurances ont vu leurs vitrines attaquées », relate l’auteur anonyme du compte-rendu, qui regrette cependant le manque d’organisation collective des manifestants pour faire face à la répression et commettre « beaucoup plus de dégâts », sans que la nature de ceux-ci soient spécifiés.
Puis l’auteur suggère plusieurs « conseils » pour faire face aux forces de l’ordre. Selon la convocation reçue par l’accusé, ce sont ces extraits qui sont incriminés. Exemple : « À plusieurs, on peut rapidement mettre une voiture en travers de la route, voir l’enflammer », « les banderoles renforcées peuvent être très efficaces face aux bakeux [policiers de la BAC qui interviennent en civil, ndlr], ça les tient à distance, mais on a besoin d’être solidaires », ou « faire en sorte que pendant que certains-es tiennent en respect la police, d’autres s’attaquent à des cibles, dépavent la rue, montent des barricades etc. ». Bref, rien de bien nouveau sous le soleil. Ces « tactiques » sont utilisées depuis des décennies par les groupes militants, se revendiquant souvent du mouvement anarchiste, qui estiment légitimes d’affronter les forces de l’ordre ou de dégrader des symboles du système capitaliste.
Deux poids, deux mesures
« Ces positions peuvent être discutées, et cette discussion fait partie du débat démocratique. Or le procureur en a décidé autrement, et a fait arrêter une personne soupçonnée d’être directrice de publication de Iaata, sur la maigre base d’anciennes traces numériques liant cette personne au site », estiment plusieurs médias liés aux luttes sociales et écologistes (lire leur texte sur Article 11). « Aujourd’hui, si cette infraction de provocation et apologie de crimes et délits est sporadiquement mobilisée, ce n’est pas pour poursuivre ceux qui appellent à brûler des lieux de culte, ceux qui proposent de nettoyer une cité au kärcher, pas plus que les milices d’extrême droite proposant d’aller régler leur compte aux Zadistes de Sivens. Cette loi ne semble servir aux procureurs et juges d’instruction que pour réprimer des propos de ras-le-bol face à la police. »
Dès le lendemain de la publication, le procureur de la République diligente une enquête. Ses conclusions sont contestées par l’accusé. Les enquêteurs seraient remontés au suspect via l’adresse IP, qui identifie un ordinateur connecté à Internet, utilisée lors du renouvellement de l’hébergement web du site. Sur cette base, la police l’accuse d’être d’abord l’auteur de l’article puis le « directeur de publication » de Iaata.info. L’homme consulte régulièrement le média en ligne mais nie être l’auteur de l’article. « C’est complètement ubuesque ! Il arrive que je prête ma connexion wifi aux gens qui viennent chez moi. Peut-être qu’une personne en a profité pour effectuer ce renouvellement » , précise-t-il à Basta!. Le quarantenaire s’interroge sur le sérieux de l’investigation policière : « J’ai demandé aux flics s’ils avaient contacté Iaata, ils m’ont dit : “non car ils n’auraient pas répondu, c’est anonyme” ».
« Menace judiciaire inquiétante »
Les membres de Iaata, eux, n’ont pas eu accès au dossier judiciaire. « On a appris par la presse qu’on avait un directeur de publication », ironisent-ils. En bon média anti-autoritaire, Iaata n’a ni responsable de publication, ni administrateur individuel, ni structure juridique, associative ou autre. Le site fonctionne « à l’horizontale » comme d’autres sites collaboratifs d’information locale Brest Info, Paris-luttes infos, Rebellyon ou la Rotative à Tours. Les contributions anonymes sont postées sur le site, commentées par les modérateurs jusqu’à la validation, puis publiées. L’article litigieux a suivi la « procédure normale », fait savoir le collectif de modération, sans que le risque juridique soit identifié.
Sur son site, Iaata dénonce une politique du bouc émissaire, cherchant à « dissuader des gens "coupables" de pratiques collectives ». D’autres médias militants, collaboratifs ou de la presse indépendante se sont mobilisés pour dénoncer « la menace judiciaire la plus inquiétante de ces dernières années contre un média alternatif français » (lire leur communiqué). En avril dernier, deux lillois de la « mutuelle des fraudeurs », qui revendiquent des « transports gratuits pour tous » et distillent des conseils pour éviter les contrôles, ont été poursuivis pour « incitation à la commission d’un délit par voie de presse » (lire ici).
« En procès pour lire la presse libre », a réagi, sur internet, le toulousain incriminé pour le texte publié sur Iaata. Le comité de soutien en appelle à un rassemblement devant le tribunal le jour de l’audience, le 29 juin. « Je ne pense pas que j’irai en prison. Mais je suis juste en colère : ça prend du temps, de l’énergie et de l’argent. On peut arrêter les gens chez eux sans enquête sérieuse et c’est pas grave ? », commente l’accusé.
Pour joindre le collectif : comitedesoutien@riseup.net