Sainte-Soline

Au tribunal, biodiversité et espèces protégées pourraient couler les mégabassines

Sainte-Soline

par Guy Pichard

Après la manifestation du 25 mars à Sainte-Soline, la bataille autour de la construction de cette mégabassine se déroule aussi devant les tribunaux. Un nouvel élément pourrait ralentir, voire stopper le chantier : la présence d’espèces protégées.

L’information pourrait être passée sous les radars après la violente réponse policière à la manifestation du 25 mars contre la mégabassine de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, qui a fait 200 blessés, dont deux personnes dans le coma. Quelques jours plus tard, mardi 28 mars, le tribunal administratif de Poitiers a examiné une nouvelle fois les requêtes d’associations de défense de l’environnement contre plusieurs projets de mégabassines, dont celle de Sainte-Soline.

L’attention des médias s’est concentrée sur les volumes d’eau des ouvrages en construction. Mais un autre élément, peut-être encore plus important, a été évoqué à l’audience du tribunal administratif : la présence d’espèces protégées. Selon nos informations, les sites de Sainte-Soline et de Mauzé-sur-le-Mignon seraient concernés par quatre espèces d’oiseaux sous le coup d’une protection du Code de l’environnement : la pie-grièche écorcheur, l’œdicnème criard, le busard cendré et l’outarde canepetière.

« Sur ces projets, la question de biodiversité semble avoir été oubliée par tout le monde, s’étonne Dorian Guinard, enseignant-chercheur et maître de conférences de droit public à Sciences Po Grenoble. Quand la présence d’une espèce protégée est prouvée et qu’un chantier va les détruire ou détruire leur habitat, ou simplement les déranger, une dérogation est potentiellement nécessaire au titre de l’article L-411 du Code de l’environnement. Or à l’heure actuelle, aucune dérogation n’a été demandée. »

Sainte-Soline, au cœur d’une zone Natura 2000

Le 28 mars au tribunal administratif de Poitiers, les associations environnementales ont soulevé « des risques caractérisés » au sujet de l’outarde canepetière, un oiseau des plaines cultivées. « Le rapporteur public du tribunal administratif de Poitiers n’a pas voulu contrer l’arrêté préfectoral, mais c’est le juge qui décidera, explique Pierrot Pantel, ingénieur écologue à l’Association nationale pour la biodiversité (ANB). Aujourd’hui, des travaux ont été réalisés sur des habitats d’espèces protégées. La plainte que nous allons déposer (avec possiblement d’autres associations, ndlr) va poser la question de la destruction d’habitat de ces animaux pour au moins deux espèces, mais peut-être aussi pour d’autres. Car des données naturalistes sont encore en cours de réception et analyse. Si ces infractions sont reconnues par le juge judiciaire, cela rendrait les travaux de fait illégaux », poursuit l’ingénieur.

Relevés du Groupe ornithologique des Deux-Sèvres (GODS) sur l'impact de la mégabassine de Sainte-Soline sur l'habitat du busard cendré, qui est une espèce protégée
Les relevés du Groupe ornithologique des Deux-Sèvres (GODS) sur l’impact de la mégabassine de Sainte-Soline sur l’habitat du busard cendré, qui est une espèce protégée.
GODS

Au centre de ce nouveau volet judiciaire se trouvent les données naturalistes du Groupe ornithologique des Deux-Sèvres (GODS), une association qui a notamment répertorié les lieux de e reproduction des oiseaux en question. Or, certains d’entre eux se trouvent sur les zones actuelles des chantiers ou suffisamment à proximité pour constituer une infraction au Code de l’environnement.

« Le site de la bassine de Sainte-Soline est au cœur d’une zone Natura 2000 et cette commune est l’une des Deux-Sèvres qui abrite le plus d’outardes, insiste Étienne Debenest, coordinateur technique du GODS. Il faut noter, et c’est un bon point, que les travaux ont été faits hors période de reproduction, c’était le bon moment pour les faire. Les quatre espèces en question sont présentes chaque année autour d’une des bassines, même si elles ne nichent jamais au même endroit. »

Des travaux entamés avant même d’en connaître la légalité

Considérée comme illégale par ses opposants et légale par les promoteurs du projet, la mégabassine de Sainte-Soline serait en fait plutôt entre les deux. « C’est étonnant comme jusqu’aux plus hautes responsabilités de l’État on affirme publiquement que ce projet est légal, dénonce par exemple Dorian Guinard. Dès lors qu’un préfet prend une décision, ce n’est pas forcément légal, il n’est pas le juge de la légalité en France. C’est le tribunal administratif qui tient ce rôle », défend le maître de conférences de droit public à Sciences Po Grenoble.

Il faut encore attendre une dizaine de jours la décision du tribunal administratif de Poitiers. Mais les travaux ont eux déjà bien avancé : l’immense trou du site est creusé, au prix d’aménagements colossaux. C’est la plus grande bassine du projet global de creuser 16 réserves d’eau artificielles dans le Marais poitevin, avec une capacité, selon l’organisation qui porte le projet, la Coop’ de l’eau, de plus 620 000 m3. La mise en service de l’installation de Sainte-Soline est prévue pour 2024.

« Dans ce genre de projet, les décideurs commencent les travaux avant même d’en connaître la légalité, regrette Dorian Guinard. Le chercheur en est d’autant plus choqué « qu’une partie des financements provient de l’argent public ». Le coût des 16 mégabassines réparties dans les Deux-Sèvres grimpe à 74 millions d’euros, avec une part d’argent public estimée à 70 %. Que se passera-t-il si le tribunal annule les projets en cas d’infraction avérée pour destruction d’habitat d’espèces protégées ?

Une bassine bientôt rebouchée sur ordre de la préfecture

Relevés du Groupe Ornithologique des Deux-Sèvres (GODS) sur l'impact de la mégabassine de Sainte-Soline sur l'habitat de l'outarde.
Plus gros enjeu de biodiversité autour de la mégabassine, l’habitat de l’outarde canepetière serait là aussi « dégradé ou altéré », selon Pierrot Pantel, ingénieur écologue à l’Association nationale pour la biodiversité (ANB).
GODS

« Si la présence des espèces est parfaitement reconnue et que, demain, les engins sont sur le terrain, l’Office français de la biodiversité pourrait parfaitement saisir les machines en vertu du Code de l’environnement, avance Pierrot Pantel, ingénieur écologue et chargé de mission à l’Association nationale pour la biodiversité. Si les travaux continuaient dans cette situation, ce serait une infraction pénale et il faudrait qu’elle soit verbalisée. Ensuite, les parties civiles et le juge pénal pourraient exiger, en plus des peines d’amende potentielles, une remise en l’état. En clair, le trou pourrait être rebouché. »

Ce ne serait pas totalement nouveau. La mégabassine de Banthelu (Val-d’Oise) va être prochainement rebouchée sur ordre de la préfecture, car elle ne respectait pas le plan local d’urbanisme.

La contestation des mégabassines via les recours juridiques est forcément plus discrète que les manifestations qui réunissent des milliers de personnes. La bataille juridique nécessite aussi de solides connaissances, mais peut s’avérer payante. En Charente-Maritime, cinq bassines ont vu leur légalité contestée. Le 3 février 2023, le Conseil d’État a tranché en interdisant le remplissage en eau de celles-ci, à la suite d’une longue procédure lancée par l’association Nature environnement du département... en 2010.

Depuis, Nature Environnement 17 a vu le domicile de son vice-président vandalisé par les agriculteurs de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs le 22 mars. Tags, pneus, fumier... les mécontents ont même agressé l’épouse du membre de l’association, qui a porté plainte. La pression ne semble pas prête de retomber autour des mégabassines, quelles que soient les décisions de la justice sur leur légalité.

Guy Pichard

Photo : Une outarde canepetière/CC BY-NC-SA 2.0 Andrej Chudý via flickr.