Etats-Unis

Barack Obama : l’effondrement de l’enthousiame ?

Etats-Unis

par Cathy Lisa Schneider

Professeur de sciences politiques à l’American University de Washington, Cathy Lisa Schneider livre son analyse de la situation politique aux Etats-Unis après les élections de mi-mandat : la défection des jeunes, qui avaient permis la victoire d’Obama, le poids de la crise, le retour des néo-réactionnaires racistes, avec les Tea Party. Mais aussi une gauche démocrate progressiste renforcée par l’élection.

La récente défaite des démocrates vient d’un phénomène « d’effondrement de l’enthousiasme » : près de 5 à 7% de ceux qui ont voté pour Obama en 2008 ne l’ont pas fait lors de ces élections. Dans les États passés aux mains du Parti républicain, le taux de participation des partisans d’Obama a été de 10 à 14% inférieur à 2008. Comment expliquer cet effondrement ?

Le taux de participation des républicains s’est révélé très élevé. En 2008, ces derniers étaient restés à la maison, et les démocrates s’étaient fortement mobilisés. Cette fois, ce sont les démocrates qui ne sont pas sortis de chez eux, contrairement aux républicains, mobilisés comme jamais auparavant.

La mobilisation du Tea Party pour « reconquérir » le pays

La question raciale est l’un des facteurs de cette forte mobilisation. Les racistes - qui détestaient l’idée d’avoir un Noir président mais qui ne voulaient pas apparaître trop ouvertement comme tels - ont été largement couverts par la chaîne de télévision Fox News, en particulier le « Tea Party ». Le nom de ce mouvement vient de révolutionnaires américains qui, au 18e siècle, ont préféré jeter du thé dans le port de Boston plutôt que de payer un impôt à la couronne britannique. Leur slogan : « Pas de taxation sans représentation ». Certains dirigeants du mouvement ont des liens avec des groupes « suprématistes » blancs. Ils ont tenu des propos ouvertement racistes.

Certains leaders du Tea party n’hésitent pas à se revendiquer du mouvement des droits civiques, inspiré notamment par Martin Luther King. Mais la plupart ont mis en avant des slogans de ralliement comme « nous voulons reconquérir notre pays », « Obama n’est pas né aux États-Unis  » - ce qui veut dire qu’il n’aurait pas dû se présenter à l’élection présidentielle - ou Obama est « un musulman ».

Une perception erronée sur les hausses d’impôts

Trois Américains sur dix considèrent que le Tea Party est avant tout une organisation raciste. Ce mouvement, dont la base est majoritairement républicaine, a fait le jeu des racistes, qui ont toujours voté républicain - au moins depuis le mouvement des droits civiques. Aujourd’hui ils sont mobilisés, organisés et votent en masse.

Le Tea party et le Parti républicain ont aussi profité du fait que la moitié des électeurs ont vu leur situation économique personnelle empirer et pensent que la crise économique globale va s’aggraver. La campagne de matraquage sans relâche des républicains et de Fox News, et l’absence de campagne de réfutation et d’explication d’Obama, amène de nombreux électeurs à imaginer que la crise économique est le résultat du déficit public. Déficit public que Barack Obama aurait volontairement augmenté.

Ces électeurs, influencés par le discours républicain, croient par ailleurs qu’Obama a augmenté l’imposition des personnes et des petites et moyennes entreprises. Alors même qu’Obama a baissé les impôts sur les personnes et n’a pas touché aux impôts sur les sociétés. Dans les faits, aux États-Unis, les impôts sont à un niveau plus bas qu’en 1950 !

Les jeunes désertent le vote démocrate

Si la question de la baisse des impôts concerne en réalité une petite minorité d’Américains, les républicains ont réussi à mettre cette question au cœur de la campagne. A cela il faut ajouter la principale préoccupation des Américains : le taux de chômage, qui demeure élevé et n’a baissé que très lentement. La crise économique, qui a aidé Obama à gagner l’élection présidentielle, a finalement contribué à faire perdre les démocrates. Les électeurs sanctionnent toujours le parti au pouvoir. Et ce d’autant plus que la gauche qui a porté Obama au pouvoir ne s’est pas mobilisée.

Une des plus fortes baisses de participation de la base des démocrates se retrouve parmi les jeunes. Seuls 11 millions de jeunes de 20 à 29 ans ont voté à cette élection, alors qu’ils étaient 20 millions à voter en 2008. Ils s’étaient alors mobilisés massivement pour Obama, tant en raison de l’espoir qu’il avait suscité, que pour la manière dont il avait brillamment organisé sa campagne.

Plan de relance économique ou allégements fiscaux ?

Ces jeunes sont aujourd’hui les plus désabusés. Cette désillusion s’applique aussi à une grande partie de la gauche, qui demeure en désaccord avec la politique actuelle de la Maison Blanche concernant les guerres d’Irak et surtout d’Afghanistan. Ces guerres n’ont pas seulement pour conséquence de tuer et mutiler nos jeunes, elles sont la principale cause de notre croissant et impopulaire déficit national - avec les baisses d’impôt héritées de Georges W. Bush.

La colère de la gauche réside également dans le fait que 50% du plan de relance économique a été « donné » en allégements fiscaux. Cet argent, qui a de nouveau pesé sur le budget national, aurait pu et aurait dû être utilisé pour créer des emplois et réparer les infrastructures nationales délabrées et archaïques. Obama a cru qu’il allait gagner le soutien des républicains au Congrès s’il octroyait des réductions d’impôt. Mais pas un seul républicain n’est monté à bord. Et le plan de relance a généré plus de dettes sans créer plus d’emplois.

Le retour des réacs racistes ?

Le tableau politique est certes sombre : des fondamentalistes chrétiens se mobilisent à Washington pour revenir sur les lois récemment promulguées sur le mariage gay et l’usage médical de la marijuana ; le député Barton - qui s’était excusé auprès de la compagnie pétrolière BP pour le dérangement causé par les autorités suite à la récente marée noire - sera président de la commission parlementaire sur l’énergie ; et le membre du Congrès qui prendra la tête de la commission sur l’Immigration a promis de construire un mur de ciment avec des barbelés électriques pour empêcher les migrants d’entrer sur le territoire, en affirmant que « ça marche bien avec le bétail »…

Il existe cependant quelques éléments positifs. D’abord les démocrates ont mieux réussi ces élections au Sénat que les sondages ne l’avaient prédit. Une des explications semble être le taux de participation sans précédent des Latinos dans les États le long de la frontière mexicaine et à proximité de l’Arizona. Cet État a récemment adopté une loi anti-immigration donnant à la police le droit et l’obligation d’arrêter les gens qui ressemblent à des immigrés.

Les autres Latinos et les Noirs continuent de voter en grand nombre, ce qui a aidé les démocrates dans des élections-clés en Californie, dans le Nevada et dans le Colorado, pour le Sénat. Mais leurs votes sont concentrés dans les grandes villes et n’ont ainsi pas d’influence sur les élections au Congrès dans les zones rurales ou péri-urbaines.

Un soutien plus fort du parti démocrate à la Chambre des représentants

Autre fait positif : la plupart des démocrates conservateurs n’ont pas été réélus. Mais la gauche progressiste démocrate représentée au Parlement (sous forme de « caucus ») n’a perdu que quatre membres. C’est aujourd’hui le plus important caucus du Parti démocrate. Si Obama décide de reprendre l’initiative, il aura un soutien plus fort de son parti dans la Chambre des représentants. Et les démocrates détiennent toujours la majorité au Sénat.

Mais, alors que des économistes comme Paul Krugman prédisent une longue récession, il est à craindre que l’état actuel des forces au sein du Congrès ne permette pas de nouvelles grandes initiatives des démocrates dans les deux prochaines années.

Cathy Lisa Schneider, Professeur de sciences politiques à l’American University de Washington