Actuellement au large de la Crète, huit voiliers pointent leurs proues vers Gaza. Sous les vagues qui lèchent leurs coques apparaissent les lettres d’un « Palestine will be free ». Au bruit des nombreux drapeaux palestiniens qui claquent au vent, Maria tient la barre d’un des bateaux. « Mon plus gros espoir est de briser le blocus, que les Gazaouis puissent avoir le contrôle de leur vie et de leur territoire », confie à Basta! la jeune navigatrice italienne, quelques jours avant son départ de Catane en Sicile, ce 27 septembre.
Maria est co-skippeuse et coordinatrice de navigation de la Thousand Madleens, une nouvelle flottille en route pour la côte gazaouie, alors que celle qui la précède, la Global Sumud, composée de 44 bateaux, est, ce 2 octobre, en train d’être interceptée et arraisonnée par la marine israélienne au large de Gaza et de l’Égypte.
La navigatrice trentenaire s’est engagée mi-août pour la flottille Thousand Madleens. Ses 70 membres, qui convoient de l’aide humanitaire, vont tenter à leur tour de briser symboliquement par la mer le blocus total de Gaza. Maria, elle, a été chargée d’acheter et expertiser les bateaux, de les préparer aux 1200 miles nautiques (2222 kilomètres) qui séparent la Sicile du territoire palestinien occupé par l’armée israélienne, et de recruter les skippers. « C’est toute la partie organisation pour être sûrs qu’on a une flottille avec des gens à bord et des bateaux qui flottent bien », résume-t-elle.
Lutte contre la mafia
Derrière les quelques personnalités publiques présentes à bord des bateaux, dont la députée LFI Alma Dufour, ce sont des personnes de la société civile, comme Maria, qui œuvrent au bon déroulement de l’action. « On sait que la mort est un risque, mais les vrais martyrs sont les Palestiniens, qui n’ont pas choisi leur condition. Nous on est juste un outil pour les aider », assure la navigatrice italienne, qui a souhaité témoigner de manière anonyme pour ne pas se réapproprier la lutte des Palestiniens face au génocide en cours.
Elle commence à militer au sein de l’organisation écologiste Extinction Rebellion, puis cofonde le Collettivo Fango, une association d’information sur les luttes du monde agricole italien. Sa cible : le système mafieux du caporalato, l’exploitation de la main-d’œuvre étrangère dans les campagnes italiennes. Rapidement, le collectif se penche sur d’autres formes d’oppressions agricoles. « On a commencé à s’intéresser à la résistance des olives et des agrumes en Palestine, au contrôle des terres », précise Maria.
La militante s’empare rapidement du sujet, elle lit la déclaration Balfour et toute l’histoire palestinienne du XXe siècle. Sa formation en droit lui permet de comprendre facilement les résolutions des Nations unies et la justice israélienne. « Après ses études, Maria n’a pas travaillé comme avocate, elle a toujours utilisé ses connaissances pour de l’activisme », témoigne sa sœur, Veronica.
« Les activistes palestiniens sont une source de lumière incroyable pour moi. La résistance face à l’oppression fait partie de leur ADN », sourit Maria. En 2021, elle organise une première manifestation à Venise, bloquant les rues d’un quartier avec des camarades et associations locales suite à l’expulsion de six familles palestiniennes dans le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est.
Naviguer, de l’Amazonie à Gaza
« J’ai abandonné la profession d’avocat depuis plus de trois ans, et depuis ce moment-là je navigue », raconte Maria. C’est sur l’eau qu’elle se sent la plus active, à réparer son bateau, tendre les voiles et tirer des bouts, « loin de l’enfermement d’un job full-time, de sa petite carrière et de son compte LinkedIn ». Elle se souvient avec douceur de sa première sortie en mer, lorsqu’elle était jeune, sur « une sorte d’optimiste tout pourri », un voilier d’à peine plus de deux mètres.
Pendant dix ans, elle économise pour ce moment, en 2022, où elle lâche tout pour devenir marin. « C’était une relation d’amour-haine au début, j’avais un mal de mer énorme », rigole-t-elle. Maria part des Canaries en « bateau-stop », un objectif en tête : apprendre la voile pour rejoindre l’Amazonie. Un an plus tard, elle met les pieds dans une communauté autochtone en lutte contre l’industrie pétrolière, avec laquelle elle entretient des liens.
C’était inéluctable, sa pratique de la voile devient peu à peu politique. Maria commence à voir que la navigation lui permet de combiner sa vie nomade et ses valeurs. Elle rêve de rejoindre une association de sauvetage des migrants en mer. Puis les premières flottilles pour Gaza commencent à s’organiser. Elle envoie un message à Thousand Madleens, espérant une réponse.
« Ça faisait longtemps que je pensais à m’engager avec mon corps dans le soutien à une résistance. Ce qu’il se passe en Palestine nous impacte aussi, car l’économie de nos pays est liée à celle d’Israël [par un accord d’association entre l’Union européenne et Israël, ndlr]. Humainement c’est inacceptable de vivre nos privilèges en fermant les yeux », affirme Maria. En août 2025, l’ONU a officiellement déclaré un état de famine catastrophique qui frappe directement un demi-million de Gazaouis, conséquence directe du blocus humanitaire imposé par le gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahou.
Exercices de sécurité
« Maria parlait italien et savait expertiser un bateau, témoigne Hanan, au sein de la coordination de la navigation qui l’a accueillie. Surtout elle a su recruter les skippers avec une grande humanité. » Une qualité que lui accorde aussi sa camarade de lutte, Ginevra, avec qui elle avait cofondé Fango. « Elle a une sorte de flamme en elle qui la pousse à faire tout ce qui est dans ses moyens pour combattre les injustices, et ce toujours sans perdre de vue ses privilèges pour ne pas invisibiliser les voix des opprimés. »
Aux côtés d’Hanan et des autres skippeurs, Maria organise la navigation jusqu’à Gaza. Naviguer en flottille avec des personnes qui ne sont jamais montées sur un bateau n’est déjà pas une mince affaire. Devoir faire face à des menaces de sabotage en mer et d’attaques de drones en est une autre. « Personne n’avait jamais fait de mission comme celle-ci sur des petits voiliers, encore moins dans une zone où il y a un génocide en cours avec un État qui se permet d’agir de façon illégale », rappelle-t-elle.
Drones avec des lacrymogènes, bombes sonores, substances urticantes ou encore abordage par un autre navire, perte de la communication avec un bateau. Les semaines précédant leur départ, les membres de la Thousand Madleens font des exercices de mise en situation, encadrés par des professionnels de conflits armés en mer. « On ne peut pas tout prévoir, mais on a imaginé des protocoles pour chaque situation à risque. On a des médecins à bord de chaque voilier et – malheureusement – Starlink [le réseau de communication satellite appartenant à Elon Musk, ndlr] pour être connectés à internet », explique Maria, une pointe d’inquiétude dans la voix.
Une angoisse partagée par sa sœur aînée. « Je suis fière d’elle, mais pour être totalement sincère, je pense aussi qu’il y a un peu d’égoïsme envers sa famille. Son engagement va vers un peuple qui souffre, mais le prix pour sa famille, c’est la peur. » Quelques jours après le départ de la Thousand Madleens, des drones de surveillance ont déjà survolé les bateaux. Maria, elle, attend que l’Union européenne prenne des positions concrètes pour arrêter l’envoi d’armes à Israël et « la machine de guerre et génocidaire ».
La jeune navigatrice reste réaliste quant à la portée de son action. « Je ne pense pas qu’une flottille seule permettra ça. C’est une méthode parmi d’autres qui pose un défi à ce système génocidaire, comme le sabotage industriel, l’occupation des ports, l’arrêt des envois d’armes à Israël ». En attendant le soulèvement, elle garde, à la barre, les yeux rivés sur Gaza.
