France Travail

RSA : « Les agriculteurs vont-ils effectuer 15 heures d’activités avant ou après la traite ? »

France Travail

par Sophie Chapelle

Les agricultrices et agriculteurs qui peinent à tirer un revenu de leur travail sont visés par la réforme du RSA qui conditionnera à partir de 2025 l’allocation à 15 heures d’activités par semaine.

Depuis le 1er janvier, Pôle emploi est devenu France Travail. Mais les autres mesures les plus importantes de la loi plein emploi n’entreront en vigueur que plus tard. Comme le conditionnement du RSA à 15 heures d’activité obligatoires. En décembre, personne ne semblait encore savoir comment cette mesure serait mise en œuvre. Seulement quelques jours avant la création de France Travail, le ministère et Pôle emploi ont annoncé qu’elle ne le serait finalement pas avant 2025.

Le délai supplémentaire ne change rien aux inquiétudes du côté des allocataires du RSA, dont les agriculteurs et agricultrices. « Comment les agriculteurs feront-ils leurs 15 heures d’activité hebdomadaires pour bénéficier du RSA ? Qui paie les kilomètres et où met-on les bénévoles en milieu rural ? Ils vont y aller en tracteur ? C’est une triste blague. » Marie Noëlle Habert, 65 ans, perçoit le RSA depuis 2018. Elle était agricultrice avant que son activité soit liquidée. Elle vit aujourd’hui dans l’Ain, dans un appartement de 40 m2.

Dès qu’elle a commencé à percevoir son allocation, elle s’est très rapidement engagée comme bénévole à Solidarité paysans, une association qui accompagne des agricultrices et agriculteurs qui croulent sous les dettes ou sont en burn-out. Un tel engagement va peut-être devenir obligatoire pour tous les allocataires du RSA.

Déjà des sanctions en cas de non-respect du « contrat »

Quand on évoque le conditionnement du RSA, Marie-Noëlle rappelle que le RSA implique déjà « des droits et des devoirs » : « Le principal devoir, c’est de rencontrer son référent unique. On a avec des contrats d’engagements réciproques, qui n’existent pas dans tous les départements. » Ce contrat, individualisé, est un document qui formalise l’ensemble des actions et démarches que le bénéficiaire du RSA doit mettre en œuvre en « échange » de droits – celui de bénéficier d’une allocation pour un revenu minimum et d’un accompagnement pour aider à régler des difficultés sociales et dans les démarches d’insertion professionnelle.

« Ma référente, précise Marie-Noëlle, c’est l’assistante sociale de la Mutualité sociale agricole que je rencontre tous les trois mois. Mais certains bénéficiaires n’ont pas de contrats. Dans des départements comme le Jura par exemple, il n’y a pas de référent et pas de contrat d’engagement réciproque. »

Son dernier contrat d’engagements réciproques, Marie-Noëlle l’a signé pour un an. À chaque rencontre, « l’assistante sociale me demande comment je vais, comment est-ce que ça fonctionne par rapport à ce que j’ai noté dans mon contrat. Elle reconnaît mon investissement comme bénévole. Je peux lui fournir des traces écrites de mes accompagnements, les formations que je suis. »

Le référent convoque régulièrement l’allocataire à des rendez-vous. Si l’allocataire ne s’y rend pas, « 50 % du RSA saute tant qu’on n’est pas retourné voir son référent, précise Marie-Noëlle. Le versement s’arrête complètement au bout de quatre mois s’il n’a pas repris contact. »

Le RSA, c’est déjà « des droits et des devoirs »

Dans son contrat, Marie-Noëlle indique s’être engagée comme bénévole à Solidarité paysans et a aussi rejoint le groupe ressources RSA du département qui vise à améliorer le dispositif. « Une fois par mois, on se retrouve avec un autre bénéficiaire du RSA, deux assistantes sociales de la Caf, en présence d’une animatrice du département. On a par exemple fait évoluer certains courriers en changeant le vocabulaire. Plutôt que d’écrire ’’veuillez prendre attache avec’’, j’ai proposé ’’prendre contact’’ pour sortir du jargon... »

Elle participe également une fois par mois aux commissions locales d’insertion. En cas de non-respect d’un engagement, l’allocataire est convoqué à cette commission pour venir exposer sa situation et ses difficultés éventuelles.

« Une vingtaine de dossiers sont étudiés concernant des allocataires sous le régime de la Caf ou de la MSA. On est en présence de l’élu du département en charge de l’insertion, de représentant de Pôle emploi... Ce sont des situations qui brassent émotionnellement, mais notre présence en tant que bénéficiaire vient remettre de la situation de terrain dans les instances. » La commission émet ensuite un avis sur la suspension ou le maintien de l’allocation RSA. « Si la personne convoquée ne vient pas, son allocation est suspendue tant qu’elle ne retourne pas voir son référent. »

Des milliers d’agriculteurs visés par la réforme

Que changera la nouvelle réforme du RSA ? L’obligation des 15 heures minimums d’activité serait définie dans le cadre d’un contrat d’engagement qui, s’il n’est pas respecté, pourrait à nouveau entraîner des sanctions allant jusqu’à la suppression de l’allocation. « On n’a aucune info par rapport à ce qui va se passer, constate Marie Noëlle. Est-ce que c’est au bénéficiaire de trouver 15 heures d’activités par semaine ? interroge-t-elle. Pour elle, il y a deux obstacles principaux : la mobilité et la garde d’enfants. »

Cette réforme concernera quelque deux millions d’allocataires du RSA, dont les indépendants, autoentrepreneurs et les non-salariés agricoles qui reçoivent l’allocation. Fin 2021, 2,4 % des agriculteurs (un peu moins de 11 000 personnes) touchaient le RSA, et 9 % (plus de 41 000 personnes) la prime d’activité, d’après la Mutualité sociale agricole. « Il y a environ 7000 bénéficiaires du RSA dans le département, et les bénéficiaires de la MSA représentent 2 % des dossiers soit 140 dossiers, note Marie-Noëlle. C’est difficile de savoir si ceux qui y ont droit le demandent. Pour ceux qui en bénéficient, ils continuent d’avoir une activité agricole qui ne leur rapporte rien. C’est ça le drame ! »

Le gouvernement refuse d’exclure les agriculteurs de la réforme

Durant les débats parlementaires, de nombreuses interventions ont souligné le caractère inadapté, pour les agriculteurs, d’un plan d’action imposant des heures d’activités, incompatibles avec le travail agricole qui demande une présence continue sur la ferme. « En réalité, les exploitants agricoles bénéficiaires du RSA, ainsi que leurs conjoints, travaillent – et souvent de 50 à 70 heures par semaine, a ainsi souligné la députée Aurélie Trouvé, députée de la Nupes. S’ils se trouvent dans cette situation, c’est parce que leurs revenus agricoles ne suffisent pas. Et vous leur demandez 15 heures d’activité supplémentaires ? Devront-ils les effectuer avant ou après la traite ? Avant 6h du matin ou après 21h ? »

Le groupe Nupes a déposé un amendement pour exclure les agricultrices et agriculteurs de la réforme. Mais le gouvernement a rejeté cet amendement. « L’accueil resserré que nous mettons en place a justement pour objet de saisir la particularité de chaque situation », a justifié Paul Christophe, député Horizons, rapporteur de la commission des affaires sociales.

Pascal Cormery, le président de la Caisse centrale de la MSA a déclaré « regretter que la spécificité tenant à nos bénéficiaires ait été écartée malgré notre signalement ». Les agriculteurs ne répondent pas à « l’objectif de redirection vers le monde de l’emploi  » voulu par la disposition qui impose les 15 heures d’activité hebdomadaires « puisqu’ils y sont déjà et ne s’en sont jamais éloignés », insiste la MSA.

Une réforme qui risque d’augmenter le non-recours

Dans une lettre ouverte à Olivier Dussopt, ministre du Travail, la Confédération paysanne demande d’être associée à la rédaction des décrets, « en concertation avec les organisations agricoles, MSA, chambres d’agriculture, syndicats et associations telles que Solidarité paysans ». « Ce qu’on craint c’est que cette réforme augmente le non-recours au RSA, alors que le recours est déjà faible » précise Lucie Chartier, coordinatrice de Solidarités paysans.

Le taux de non-recours est estimé entre 50 et 60 % chez les non salariés agricoles, contre 30 % dans la population générale. Dès 2010, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) alertait sur le fait que, malgré la baisse des revenus agricoles sur les deux dernières années, « le RSA pour les exploitants agricoles [n’avait] pas rencontré le succès escompté (...) se heurtant en partie à des blocages psychologiques chez les intéressés ». Cette année-là, la MSA avait enregistré 9818 bénéficiaires sur 20 120 exploitants agricoles éligibles.

« On demande l’adaptation du dispositif aux réalités agricoles et fiscales », ajoute Lucie Chartier. Dans certains départements comme la Loire, l’application de la loi va se heurter à la réalité de terrain, alerte-t-elle. « Les difficultés administratives pour continuer à percevoir le RSA nous inquiètent », note Marie Ayasse, salariée de Solidarité paysans 42, dans la Loire.

19 territoires avaient été sélectionnés pour expérimenter dès 2023 le RSA sous condition d’activité. « Ce sont surtout des agglomérations qui ont fait les tests, et certains départements se sont retirés [comme la Seine-saint-Denis] », note Marie-Noëlle. Entre vouloir et avoir les moyens, c’est autre chose. »

Sophie Chapelle

Photo de une : L’équipe de Solidarité Paysans accompagne gracieusement les agricultrices et agriculteurs dans leurs formalités administratives. Ici, un formulaire de demande de prise en charge des cotisations pour les exploitations en difficulté/©Sophie Chapelle, octobre 2022.