Il y a des personnes dont la contribution est aussi discrète que décisive. François Gèze en faisait partie. François, qui participait au conseil d’administration d’Alter-Médias, association éditrice de basta!, est subitement décédé le 28 août.
Il a fondé les éditions La Découverte et les a dirigées pendant plus de 30 ans, jusqu’en 2014, inscrivant La Découverte dans la lignée des éditions Maspero où il a travaillé avant d’en reprendre le flambeau. Les éditions Maspero étaient le fer de lance de la pensée anticoloniale et des idées d’émancipation dans les années 1960 et 1970, faisant connaître une multitude de jeunes écrivains et intellectuels de l’époque.
Que serait le monde des idées d’émancipation et de justice, de l’écologie au féminisme en passant par le monde du travail ou la solidarité internationale, sans les éditions La Découverte aujourd’hui ? Combien de sociologues, philosophes, historien.ne.s, lanceurs et lanceuses d’alerte ou journalistes ont pu y publier leurs travaux, leurs analyses ou leurs investigations, permettant à un plus large public d’y accéder ? François était toujours attentif aux nouvelles idées, aux nouveaux mouvements et soubresauts sociaux. Il accompagnait et conseillait nombre de chercheurs, chercheuses ou journalistes dans l’écriture de leur premier livre – ce fût le cas pour plusieurs journalistes de basta! dont moi-même.
François ne se contentait pas d’être un vulgarisateur d’idées. Militant du Parti socialiste unifié (PSU) – une voie originale entre la molle SFIO (ancêtre du PS) et le PCF stalinien –, il était de nombreux combats : documenter et dénoncer les crimes des dictatures militaires au Chili et en Argentine des années 1970, puis l’Algérie des généraux dans les années 1990. Il a été le premier président du Centre international de culture populaire (CICP) fondé en 1976 à Paris, qui existe toujours, et dont les murs ont vu défilé quatre générations de militant.e.s : des causes internationales – des réfugiés chiliens de la dictature Pinochet aux opposants russes à Poutine en passant par la solidarité avec la Palestine –, des combats antifascistes et antiracistes, des mouvements de sans-papiers, des collectifs féministes ou pour la justice climatique.
Quand les premiers médias indépendants en ligne, dont basta!, se sont créés, François a très vite compris ce qu’apportait cette nouvelle presse dans le traitement de l’actualité écologique et sociale, dans la manière de renouveler l’investigation et de l’étendre à de nouveaux champs jusque-là délaissés, comme les pollutions industrielles – les pesticides par exemple –, la santé au travail ou l’activité des grandes multinationales.
C’est donc tout naturellement qu’il est devenu l’un des administrateurs de l’association Alter-médias qui édite Basta! et qui a fondé l’Observatoire des multinationales.
« Ces "médias de demain" sont d’abord soucieux d’apporter des informations et des idées neuves (et radicales) aux jeunes générations (et aux moins jeunes qui n’ont pas renoncé aux engagements émancipateurs de leur jeunesse) curieuses de mieux comprendre ce monde mortifère de l’idéologie encore dominante, afin d’en vraiment "tourner la page », écrivait-il dans Basta!.
Toute l’équipe de basta! exprime son affection et sa solidarité envers sa famille, ses amis et ses proches.
François, et son regard affûté sur de nombreux sujets, nous manque déjà.
Ivan du Roy, au nom de toute l’équipe d’Alter-médias et de Basta!